PATRIMOINE
« Le Paysan du Revermont », une ode à l’agriculture rignatie

Margaux Legras-Maillet
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Petit-fils d’agriculteurs rignatis et ancien directeur des archives départementales, Paul Cattin raconte dans un ouvrage, publié il y a quelques mois, l’agriculture et le quotidien dans un Revermont rural qui n’a que peu changé entre l’Antiquité et l’arrivée de l’électricité. 

« Le Paysan du Revermont », une ode à l’agriculture rignatie
Paul et Odile Cattin habitent depuis 2003 dans l’ancienne ferme familiale à Rignat. Archiviste de métier, il est le premier à avoir Photo/MLM

Fin cordon bleu, sa femme Odile avait préparé une part de cheese cake aux myrtilles et un café court. À sa demande, elle s’installe tout près de lui, dans un des fauteuils du salon, aménagé dans l’ancienne écurie familiale. Depuis 2003 et son départ à la retraite, Paul Cattin habite la ferme de ses grands-parents au cœur du vieux village de Rignat. Fils d’un père ingénieur à la SNCF, il y a passé enfant la plupart de ses vacances et aidait aux travaux agricoles. Il ne reste plus grand-chose de cette époque, si ce n’est les souvenirs bien ancrés dans la tête de l’ancien directeur des archives départementales. 


Il les a couchés sur papier, dans de courts écrits avant de les réunir sous formes de chapitres, dans un ouvrage intitulé Le Paysan du Revermont. Il a été publié il y a quelques mois avec le soutien de l’union départementale Patrimoine des Pays de l’Ain (PPA) et l’association L’Héritage de nos villages. Très discret, Paul Cattin s’est volontiers prêté au jeu de l’interview pour expliquer le sens de cette ode à l’agriculture rignatie : « C’est la région que je connais le mieux. Mes grands-parents parlaient le patois entre eux et à force, nous comprenions ».
Du travail aux champs et de la vigne, à la fabrication du pain, en passant par l’habit et le logement, Paul Cattin retrace plusieurs siècles d’une vie presque figée au cœur du Revermont. 
 
Un devoir de mémoire 
 
Il a fallu pas moins de quarante ans à l’archiviste pour reconstruire l’histoire de ce village et de ses alentours. C’est dans sa mémoire et dans les inventaires après décès qu’il classe à son travail qu’il déniche ses premières trouvailles. « On y décrivait les intérieurs de maison jusqu’à la petite cuillère. C’était précieux pour connaître la vie locale de tous les jours aux XVII et XVIIIè siècles. Il y avait des mots en patois et en ancien français », détaille-t-il. Chartiste de formation, Paul Cattin a suivi des cours de paléographie, l’étude des écritures anciennes, ce qui lui a permis de déchiffrer des textes historiques.
Il s’est également appuyé sur les récits d’un ancien paysan du village, Charles Berger, décédé en 2021. « Il parlait très bien le patois, il m’a surtout appris beaucoup de mots techniques, et j’ai fait des quantités de listes. Son cas m’a frappé parce qu’il vivait comme au Moyen-Âge », poursuit l’auteur. 
Ces termes en patois, il a pris soin de les retranscrire dans son livre, de manière la plus lisible possible pour les lecteurs non-initiés à la compréhension des langues anciennes. « J’ai pris beaucoup de mots de Rignat, parce qu’il fallait bien partir d’un point, mais les mots variaient d’un village à un autre », ajoute Paul Cattin. Une fois rédigé, il a fait valider ces mots par l’institut Pierre Gardet à Lyon. Jean-Pierre Gerfaud, de PPA et spécialiste des français locaux, l’a également relu. 
« C’est un devoir de mémoire, puis c’était aussi important pour les techniques. Elles n’ont pas évolué depuis l’époque romaine, souligne Paul Cattin. Il y a eu une révolution en quelques dizaines d’années avec l’arrivée de l’électricité »
 
Un socle iconographique fourni 
 
Grâce au numérique, l’impression d’images ne coûtent aujourd’hui pas plus cher que le rédactionnel. Paul Cattin en a profité pour inclure de nombreuses sources iconographiques à son ouvrage. Beaucoup proviennent des archives, d’autres sont des photographies prises à partir d’objets recueillis par l’association L’Héritage de nos villages. De quoi en faire une mine d’informations sur la vie revermontoise unique.

L’Héritage de nos villages, une association pour raconter l’histoire

Instituteur, ancien directeur de l’école primaire de Jasseron, et habitant de Rignat, Gilles Berger a fondé l’association il y a onze ans. « Je l’ai créée avec l’appui d’autres personnes, comme Paul [Cattin, NDLR], qui était à la mairie, Jean-Luc Luez, ancien maire, etc. Non pas par nostalgie, je ne suis pas du tout un nostalgique, mais je suis pédago et j’ai toujours pensé qu’il était de notre devoir de raconter notre histoire », souligne le Rignati. 
« Nos villages » pour Bohas, Meyriat, Rignat, trois bourgs qui forment depuis quarante-neuf ans la même commune. Gilles Berger les connaît très bien et les arpente depuis son enfance, sa famille s’étant installée à Rignat au XVIIIè siècle. Il s’est d’ailleurs longtemps investi pour les faire vivre et a été pendant près de vingt-cinq ans adjoint au conseil municipal. 
« Avec Paul, on s’est rendu compte que certains outils, certaines façons de faire, dans la vie de tous les jours disparaissent parce qu’on ne les utilise plus à cause de l’électricité. » L’ancien instituteur revoit son propre grand-père moudre le café au moulin très tôt le matin. « J’ai encore le bruit dans la tête », se souvient-il tendrement. Lui-même a bien essayé de rompre le sort et de se remettre à utiliser ces outils, mais il le conçoit, on ne peut pas revenir en arrière. Pourtant, s’il ne craint nullement la modernité, il ne peut se résoudre à laisser ce patrimoine tomber dans l’oubli. 
 
De grands projets pour l’avenir 
 
Si elle s’essouffle par moments, l’association vit toujours et un scieur originaire du village a repris le flambeau. « Il est plus jeune et il a la fibre », se réjouit Gilles Berger. 
Outre la préservation du petit patrimoine, L’Héritage de nos villages projette aujourd’hui d’installer un grand arboretum sur un terrain de Bohas mis à disposition par la municipalité. L’objectif, y planter et inventorier toutes les essences historiques rgionales avec le parrainage des enfants du village
Traditionnellement, l’association propose également plusieurs animations à l’occasion des Journées du patrimoine. Si le thème de cette année n’est pas encore arrêté, une idée trotte déjà dans la tête de Gilles Berger : une rétrospective de la musique depuis les années 50 et concert à la clé.  
Aujourd’hui, il n’en est plus le président, et c’est un scieur originaire du village qui a repris le flambeau. « Il est plus jeune et il a la fibre », se réjouit l’ancien.