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Viande bovine : « La France doit conserver son potentiel de production »

Emmanuel Bernard, président de la section bovins d’Interbev revient sur la conjoncture et les dossiers d’actualité de la filière viande bovine. Interview.

Viande bovine : « La France doit conserver son potentiel de production »
Emmanuel Bernard, président de la section bovins d’Interbev.

Selon FranceAgriMer, la consommation de viande s’est contractée globalement de 1,5 % sur un an et de 1,7 % en moyenne par habitant. La consommation de viande de boucherie recule de 2,1 %. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Emmanuel Bernard : « La baisse de la consommation apparente s’explique avant tout par la forte baisse des importations en 2020. Elle est due à la fermeture de la restauration hors domicile une grande partie de l’année, principal débouché des viandes importées. Toutes espèces confondues, cette baisse des importations est de -7,5 %. Elle atteint même -16,4 % en viande bovine. Il faut en revanche souligner que la consommation de viande française a progressé. Pour la viande bovine, cette augmentation a atteint + 1 %. Cela s’explique par les achats à domicile qui ont fortement progressé, notamment en boucherie traditionnelle, ce qui peut s’analyser comme une demande de qualité et de conseil de la part des consommateurs pour des viandes locales et tracées. De plus, les Français ont aussi redécouvert le plaisir de cuisiner chez eux lors des précédents épisodes de confinement. Ces dynamiques vont perdurer après le Covid. Les Français aspirent de plus en plus aussi à une alimentation plus durable, ce qui est valorisant pour nos éleveurs. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui poussent Interbev à valoriser les viandes de bœuf label rouge et favoriser l’approvisionnement de viandes responsables et de qualité. »

Comment Interbev entend-il reconquérir l’assiette des Français ?

EB : « En continuant à privilégier la viande française, et en valorisant les signes officiels de qualité comme le label rouge ou le bio. Par exemple, les viandes de bœuf label rouge certifient pour le consommateur une qualité organoleptique et des considérations sociétales élevées avec des garanties en matière d’environnement, de bien-être animal et de plus juste rémunération. En 2020, les volumes vendus en label rouge ont augmenté de 13 % par rapport à 2019 et on constate la même progression sur le 1er semestre 2021. Par ailleurs, les importations de viande bovine ont diminué en France et au second trimestre 2021 et la viande bovine française représente toujours 79 % de la consommation. Si la viande piécée profite de cette dynamique (+ 3 % en volume par rapport à 2019 et + 5 % en valeur), c’est encore plus le cas pour la viande hachée, dont les ventes restent en hausse de 11 % en volume et de 16 % en valeur. C’est encourageant et il faut poursuivre ces efforts pour répondre aux légitimes demandes d’exigence des consommateurs. Par ailleurs, l’Interprofession continue à encourager l’achat de viande française en restauration hors domicile et souhaite augmenter la part de viande bovine française à 80 % d’ici 2028. »

L’Insee vient de publier des chiffres peu rassurants sur le revenu des éleveurs de bovins. Quelle politique faudrait-il mettre en place ?

EB : « Les chiffres de l’Insee soulignent une grande disparité entre les territoires de production. Dans un tel contexte, la contractualisation et le développement du label rouge pour mieux répondre aux attentes des consommateurs restent la pierre angulaire du revenu des éleveurs. Cette contractualisation dont les contours devront être affinés, nécessitera aussi que l’on professionnalise toute cette chaîne de valeur, du producteur au consommateur. N’oublions pas que nos filières représentent 500 000 emplois en France. L’enjeu de 2022 sera de ramener du revenu dans les cours de ferme, avec cette contractualisation et aussi en freinant la décapitalisation des cheptels que l’on connaît depuis environ cinq ans, pour préserver une production bovine durable et de qualité sur nos territoires. »

La future Pac et le plan de relance semblent plus miser sur les protéines végétales que sur les protéines animales ? Craignez-vous une baisse de la production de viande en France en Europe ? Si oui, avec quelles conséquences ?

EB : « La future Pac donne un signal négatif en diminuant les aides couplées. En réduisant ce couplage, les producteurs deviennent plus sensibles au prix et il ne faudrait pas que cela accélère une décapitalisation qu’Interbev combat au quotidien. En soi, privilégier les protéines végétales n’est pas un problème si les élevages peuvent assurer leur propre autonomie protéique. On limitera ainsi les importations, notamment la déforestation importée. Je reste plus dubitatif sur la cohérence du schéma global de la Pac qui pourrait remettre en cause notre potentiel de production en France. Or, c’est ce potentiel de production qu’il nous faut à tout prix préserver. »

Quelle est votre réaction sur le volet agricole du Plan France 2030 présenté par le chef de l’État ?

EB : « L’enjeu majeur de ce plan est qu’il puisse favoriser le renouvellement des générations, que ce soit du côté des producteurs mais aussi en bout de chaîne, avec les bouchers. Les annonces faites sur la robotique, la génétique et le numérique sont les bienvenues. Si ces technologies nous permettent de réduire la pénibilité de certaines tâches, d’avoir moins d’astreintes, de mieux tracer le produit pour le consommateur afin qu’il puisse accéder à des informations fiables en temps réel, de créer de la valeur au bénéfice de toute la filière, nous ne pouvons qu’y souscrire. Nous souhaitons que ce plan nous permette de conserver nos traditions tout en poursuivant la modernisation de la filière bovine dans laquelle nous sommes pleinement engagés. Nous espérons en particulier qu’il permettra d’accompagner financièrement la refonte de l’identification des bovins ainsi que la construction de la future Base bovine déléguée, qui constitue un enjeu majeur de modernisation numérique des filières bovines. »

Propos recueillis par C.Soulard