SPORT ÉQUESTRE
Daniel Blanc et Albert Moissonnier, un parcours sans faute pour ces deux hommes qui ont marqué le jugement du Selle Français
L’un est tombé dedans tout petit, l’autre un peu plus tard, mais tous deux ont la passion du Selle français chevillée au corps. Depuis les années 80, ils jugent souvent les mêmes concours et font depuis cavaler une grande amitié. Portrait.
Qui a dit « qui se ressemble, s’assemble » ? L’un (Daniel) est si grand et l’autre (Albert) beaucoup moins. L’un est distant et réservé (sauf pour ceux qui ont déjà affrontés ses grandes et célèbres colères) bien que chaleureux quand on le connaît bien, l’autre est affable et accueillant. La liste de leurs différences est encore longue et pourtant nous avons affaire aux meilleurs amis du monde, si différents et si proches…Une amitié réelle, qui s’est construite, non pas dans l’enfance comme souvent mais sur les terrains des concours d’élevage Selle Français, précédés et suivis des longs parcours en voiture ou les discussions animés ont forgées cette complicité.
Albert, éleveur et passionné de génétique
Pour Albert tout commence dans les années 80, il est agriculteur, éleveur de vaches et de chevaux à la suite de son père. Qui ne connaît pas l’affixe « Du Biolay » qui a sorti moults produits de haut niveau dont Galopin du Biolay, étalon vainqueur de grands prix coupe du monde sous la selle de Jessica Kuerten. Élevé à l’ancienne, à la dure, dans le travail et le respect, il est passionné par ces chevaux de sports, leur génétique et fait partie des précurseurs qui pensent que le modèle des chevaux est aussi primordial que les aptitudes à l’obstacle. Qu’il faut privilégier à la reproduction les bons et beaux chevaux, qu’il soit étalons ou juments. Et surtout qu’ils correspondent au modèle prédéfini par les Haras Nationaux (à l’époque ce n’est pas le Studbook SF). Il fait sa formation de juge, justement avec les haras nationaux qui ont repéré sa grande acuité et son œil avisé. À cette époque, le jugement est réservé aux fonctionnaires de l’institution mais ils prennent Albert avec eux, ayant repérés son coup d’œil. Au niveau élevage, la saga familiale continue puisque son fils Bertrand fait perdurer avec talent la partie cheval de sport et sa petite fille Chloé étudie dans la filière avec objectif de continuer l’histoire. On n'a pas fini d’entendre parler des Biolay.
Des assurances au sport équestre
Pendant ce temps, Daniel, lui, travaille dans les assurances. Le cheval de sport fait partie de sa vie depuis que son grand-père lui en a donné la passion. Mais comme ses parents n’ont pas hérité de cet intérêt, il va y revenir par lui-même. Il fait de l’élevage par procuration chez les autres, notamment avec son ami Guy Martin. Celui-ci lui permet de naviguer dans le meilleur du milieu équestre (concours et élevages). Daniel arrive même à en avoir quelques-uns chez lui pendant une période et ainsi vivre sa passion d’éleveur naisseur, sous l’affixe L’Amont. Comme Albert il se forme au jugement mais lui c’est à Saumur en 1978 et comme pour son futur ami, il doit forcer pour être admis dans ce corps, alors réservé aux fonctionnaires des Haras nationaux. Ensuite en 2007 il devient secrétaire général de l’ANSF (Association nationale du Selle français) avec son ami Yvon Chauvin et il le suit à la SHF (Société hippique française) pour en devenir administrateur. Il fait partie de ceux qui attachent une grande importance à la qualité des présentations. Il a milité pour que les chevaux soient présentés propres et toilettés et que les présentateurs le soient tout autant avec une tenue uniforme et impeccable. Aujourd’hui Daniel regrette que ce ne soit pas toujours le cas…
Quarante ans de jugements communs
Depuis les années 80, les deux compères ont pris l’habitude de juger sur les mêmes concours, ce qui est facilité par la fonction de Daniel qui est devenu coordinateur des juges et référent sur les régions Aura, Bourgogne et Franche-Comté. Tous les organisateurs de ces contrées ont rencontré au moins une fois dans leur vie ce couple aussi complice que différent. Albert toujours légèrement penché de côté et l’œil acéré car il regarde tout ce qui marche et court, intransigeant qu’il est sur les aplombs. Daniel lui, droit et altier mais surtout taiseux avec le regard des grands, tel une tour de contrôle qui surveille que tout soit parfait.
En matière de jugement, tout le monde sait qu’il n’y a pas de vérité absolue, que c’est très subjectif et que l’on peut en discuter des heures sans jamais être d’accord. Mais personne ne peut mettre en doute leur probité ni leur grande connaissance. Leurs quarante ans de jugements communs ont participé à leur reconnaissance personnelle mais aussi à celle de l’ensemble du corps des juges. Rigueur, impartialité, ponctualité sont les maitres mots de leurs parcours. Aujourd’hui Albert est touché par la limite d’âge accordée aux juges, pas Daniel mais il ne se voit pas juger sans son ami donc il s’arrête avec lui. Le corps des juges et les éleveurs perdent deux grandes figures de la discipline et un hommage unanime leur a été rendu, à Lyon pour Albert, en intimité pour Daniel. Certes, personne n’est irremplaçable mais quand il n’y a plus de phare, la navigation devient plus difficile. Et sans ces deux figures et modèles, il faudra être vigilants afin que leurs valeurs soient la ligne directrice de la fonction.
Pierre Cogne