AOP MORBIER
La raie noire de la discorde

Margaux Legras-Maillet
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Reconnu caractéristique visuelle discriminante, le trait sombre du Morbier ne pourra plus être utilisé par des fromagerie situées hors zone d’appellation protégée comme signe de qualité. Une première en Europe, gage d’espoir pour les AOP françaises. 

La raie noire de la discorde
Appellation d’origine contrôlée (AOC) depuis 2000, le Morbier obtient une appellation d’origine protégée (AOP) deux ans plus tard, lui conférant une identité propre à l’échelle européenne. Photo/Syndicat du Morbier

La bataille juridique durait depuis près de dix ans. La Cour d’appel de Paris a finalement rendu son verdict vendredi 18 novembre. La copie de l’apparence visuelle du Morbier est bien de nature à induire le consommateur en erreur sur sa véritable origine. Était particulièrement visé le trait sombre et horizontal caractéristique de l’appellation d’origine protégée imité par plusieurs fromageries situées en-dehors de la zone d’appellation. « L’AOC est relativement récente et il y a eu des dérogations jusqu’en 2007 pour les entreprises situées en dehors de la zone qui faisaient aussi du Morbier avant 2000 au lait pasteurisé sans cahier des charges et ils ont eu cinq ans pour arrêter l’AOC, explique Florence Arnaud, directrice du Syndicat interprofessionnel du Morbier. Certains ont simplement changé le nom du produit mais continuaient à produire un fromage avec une raie sombre. »
 
Un cas de jurisprudence européenne 
 
Une fromagerie d’Auvergne est particulièrement visée. Le syndicat du Morbier l’assigne devant le Tribunal de grande instance, mais il est débouté trois ans plus tard en première instance. Ce premier jugement est confirmé en 2017 par la Cour d’appel et le syndicat est même condamné pour procédure abusive. Le syndicat se pourvoit alors en cassation la même année et change son fusil d’épaule en demandant à être jugé, non pas selon le droit des marques mais selon le règlement européen sur la protection des AOP. Ce revirement de situation rabat les cartes du jeu. L’AOP défend-elle seulement le nom, la zone géographique ou peut-elle aussi défendre un visuel ? Face à cette question épineuse, la Cour de cassation saisit la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) au Luxembourg en 2019. Celle-ci tranche en 2020 et confirme que l’AOP n’interdit pas uniquement l’utilisation de la dénomination par un tiers ne respectant pas le cahier des charges. Une décision de jurisprudence qui repose sur l’article 13 du règlement européen 1151/2012 : « Les dénominations enregistrées sont protégées contre toute autre pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit », incluant de facto la fameuse raie noire du Morbier. Après cette victoire européenne, le Syndicat du Morbier décide d’appuyer son dossier en faisant valoir une étude consommateurs auprès de la justice française. Selon ses conclusions, le trait sombre est une caractéristique de reconnaissance du fromage : « Spontanément, pour les consommateurs qui sont en mesure de se prononcer, la raie sombre est le signe d’identification principal du Morbier, loin devant sa forme, sa couleur ou les informations comprises sur l’étiquette. (…) Le visuel est probablement le repère le plus évident pour reconnaitre le Morbier. » Le jugement final est rendu le 18 novembre. 
 
Un petit pas pour le Morbier et un grand pas pour toutes les AOP
 
« C’est une victoire de la filière par rapport à des gens qui faisaient des contrefaçons avec du lait tout venant sans cahier des charges particuliers, explique Joël Alpy, président du Syndicat du Morbier. Derrière l’AOP il y a des acteurs avec des contraintes de production, de transformation et d’affinage et le rôle de la filière c’est aussi de les défendre. » Au total 65 000 € de dommages ont été demandés à la fromagerie assignée en justice dont 50 000 € de frais de procédure. Cette victoire est aussi celle de toutes les AOP. C’est la première fois qu’une caractéristique visuelle est reconnue comme critère discriminatoire d’une appellation d’origine protégée. Et Joël Alpy de se réjouir : « C’est la première fois que l’article 13 sert de jurisprudence et demain d’autres AOP pourront la faire valoir pour se battre contre des gens qui veulent faire des copies ou contrefaçons. »

La filière Morbier en chiffres

4 départements de production : Doubs, Jura, Ain et Saône-et-Loire ;
2 races de vaches : Simmental et Montbéliarde ;
2 000 exploitations ; 
50 000 emplois directs ;
6 maisons d’affinage ;
45 fromageries ;
Près de 107,5 millions de litres de lait transformés en 2019 ;
Soit 13 500 tonnes de Morbier fabriquées.