ELEVAGE
Les médecines « complémentaires » gagnent du terrain

Acuponcture, ostéopathie, homéopathie, aromathérapie, huiles essentielles, géobiologie... De plus en plus d’éleveurs s’essayent à ces techniques alternatives à la bonne vieille médecine conventionnelle. Des méthodes qui supposent une approche différente du métier et qui viennent en complément des techniques classiques. Témoignages. Dossier : Etienne Grosjean
Les médecines « complémentaires » gagnent du terrain

Laurent Fort

« Plus on a d’expérience, moins on doute »

Laurent Fort est ses 3 co-exploitants du Gaec du Charron(1), à Champagne-en-Valromey élèvent des vaches laitières. Convertis en Bio en 2007, ils livrent leur production à Biolait. Ils intégreront la nouvelle fruitière à Comté du Valromey en 2020.
Ici, l’argile, les huiles essentielles et les produits homéopathiques occupent l’essentiel de l’armoire à pharmacie.
Des techniques auxquelles Laurent s’est formé lors de la conversion, il y a 12 ans. « Cela allait de pair avec la réorientation de l’exploitation. En bio, l’usage de l’allothérapie est limité. Il faut justifier qu’on a essayé les techniques alternatives avant d’utiliser des médicaments autres, en particulier des antibiotiques. »
Épaulé par des conseillers techniques des fournisseurs « disponibles presque 24h/24 au téléphone » et après avoir suivi des formations via la Chambre d’agriculture de l’Ain et l’Adabio, il a considérablement réduit sa facture de vétérinaire.
« Cela ne veut pas dire qu’on s’interdit de l’appeler. Dans certains cas aigus, on n’a pas d’autres choix. Mais notre premier réflexe est d’abord d’essayer de soigner les bêtes le plus naturellement possible », témoigne Laurent Fort.

Se former et pratiquer

Ces nouvelles méthodes les ont obligés à reconsidérer l’ensemble de leur travail d’éleveurs.
« On observe encore plus nos vaches qu’avant. Notamment les mamelles. Dès qu’on a un soupçon, on intervient pour ne pas que ça s’aggrave, là où on aurait peut-être attendu davantage avant. »
Exemple : « les cataplasmes d’argile sur une mamelle irritée. C‘est magique ! »
D’une logique curative, les associés sont passés dans une démarche préventive.
« On a changé des choses dans nos bâtiments et dans l’alimentation pour réduire les risques sanitaires au maximum. Parce qu’avant même de parler de médecine alternative, la première chose à faire est de limiter les pathologies au maximum. »
 Les soins prennent plus de temps et impliquent une remise en question permanente.
« C’est clairement moins confortable psychologiquement que l’allothéraphie. Au début, nous doutions beaucoup de nos pratiques. Nous avons gagné en assurance au fur et à mesure que nous avons pris de l’expérience. La plupart tu temps, on arrive à soigner nos bêtes correctement. Mais il n’est pas question de les mettre en danger. Si on est obligé de faire appel à des produits conventionnels pour sauver l’animal, on ne va pas hésiter. Ceci dit, les résultats de l’allothérapie ne garantissent pas non plus 100% de réussite »
Malgré le regain de travail que supposent ces pratiques, Laurent Fort estime s’en sortir économiquement. « Nous y passons plus de temps, mais les produits sont moins chers et surtout, nous jetons moins de lait. Une vache qui a reçu une piqure d’antibiotiques, c’est plus d’une semaine de lait qui doit être jetée. Alors que quand je pratique des huiles essentielles sur la mamelle, c’est seulement une journée après la fin du traitement. »
Huiles essentielles relativement faciles à utiliser. « En résumé, c’est assez proche de l’allothérapie. On pause le diagnostic et on sait facilement quoi et comment l’appliquer. Ça peut être des massages des mamelles, l’administration de produits drainants, le traitement des gros cordons en aspersion... Cela ne veut pas dire qu’on peut faire n’importe quoi, parce que mal administrées les huiles essentielles peuvent présenter un danger, mais on est facilement conseillés. L’homéopathie est déjà beaucoup plus complexe. Elle suppose de suivre plusieurs sessions de formation, d’autant que les techniques évoluent très vite. »
Laurent fort résume ainsi la condition de la réussite : « formation et pratique ».
Et s’il fallait une preuve de sa conviction : « depuis qu’on s’est converti à ses techniques, on les utilise aussi pour nous et nos enfants. »


(1) Le Gaec du Charron comprend 2 couples associés : Isabelle et Laurent Fort et Sylvie et Philippe Barral.

 

Nathalie Manigand

« On est plus calmes et plus attentifs »

Nathalie Manigand, élève des vaches laitières et des volailles à Bâgé-la-Ville.

 

 

Nathalie Manigand élève des vaches laitières et des volailles de Bresse à Bâgé-la-Ville, avec son mari et son fils, en système conventionnel. Le soin des animaux l’a toujours passionnée. « Plus jeune, je voulais devenir vétérinaire », se souvient-elle, amusée.
De la médecine conventionnelle, elle a progressivement fait glisser l’exploitation vers des pratiques dîtes alternatives. En se formant tous azimuts à quantité de techniques, via la chambre d’agriculture : argilothérapie, kinésiologie, aromathérapie... « J’ai toujours été attirée par cela. Mais tant que notre fils n’était pas installé avec nous, ce n’était pas facile de libérer des jours pour me former », témoigne-t-elle.
Il lui a fallu convaincre ses associés.
« Il faut démontrer que ces méthodes permettent d’obtenir des résultats. Petit à petit, mon mari et mon fils ont pu voir qu’elles étaient utiles. »
Exemple ? « Suite à ma dernière formation en acuponcture, j’ai pu soigner un petit veau victime de diarrhée. On arrive aussi à soigner les vaches qui ont des retours de chaleur, les problèmes de délivrance, les indigestions et les pathologies des pieds, comme les panaris ».

La facture de vétérinaire a baissé

L’aménagement des bâtiments grâce à l’intervention de géobiologues s’est, selon Nathalie Manigand, révélé décisif : « Cela nous a permis de réduire les problèmes de mammite... Nous avions aussi constaté que nos vaches ne passaient que d’un côté de la salle de traite. Depuis que nous l’avons reliée à la terre, elles passent des deux côtés. »
Les trois éleveurs ont progressivement changé leur approche du troupeau.
« On les observe plus. On fait plus de prévention. J’ai l’impression que les animaux sont mieux. Et cela a joué sur nos comportements aussi : on est plus calme et attentif. C’est important, parce que je suis convaincue que les animaux ressentent quand on n’est pas bien. »
Difficile de mesurer l’impact économique. « On n’a pas encore assez de recul, mais c’est certain que l’on pique moins et que la facture de vétérinaire a baissé. »
Seul bémol : impossible, pour l’heure, de valoriser ces pratiques dans le prix du produit final.

 

Glossaire
Allothérapie : Le terme « allopathie » est un concept utilisé par les homéopathes et désignant un ensemble de pratiques thérapeutiques ne reposant pas sur le principe de l’homéopathie, voire, pour certains, la médecine dans son ensemble.
Ostéopathie : méthode de soins qui s’emploie à déterminer et à traiter les restrictions de mobilité qui peuvent affecter l’ensemble des structures composant le corps.
Homéopathie : thérapie consistant à donner au malade, à des doses très faibles, une substance qui provoque, chez un organisme en bonne santé, des symptômes comparables à ceux du patient.
Géobiologie : la géobiologie est l’étude de l’influence du lieu sur le règne vivant (humains, plantes, animaux).
Acupuncture : thérapeutique consistant dans l’introduction d’aiguilles très fines en des points précis des tissus ou des organes.
Kinésiologie : pratique professionnelle destinée à favoriser un état d’équilibre et de bien-être physique, mental, émotionnel et social.
Aromathérapie : branche de la phytothérapie (phyto = plantes et thérapie = soigner). Elle consiste à recueillir les principes actifs des plantes par un processus complexe de distillation à la vapeur d’eau pour en récupérer la forme liquide et concentrée que l’on connaît et qu’on appelle « huile essentielle ».
Argilothérapie : désigne les soins et les bienfaits de l’argile sur la santé, que cette dernière soit utilisée en voie externe ou interne.

Le boom des formations

L’engouement autour des médecines alternatives se traduit notamment à travers l’intensification des sessions de formation proposées depuis presque 20 ans par la chambre d’agriculture et l’Adabio, qui travaillent en partenariat.
De 2 à 3 stages par an en 2000-2001, le nombre de formations est passé de 10 à 15.
Des sessions de plus en plus pointues.
« Au départ, nous proposions uniquement des formations de base, comme l’initiation à l’homéopathie, à la phytothérapie, ou visant des problématiques précises (soigner les mammites, prévenir le parasitisme en médecines alternatives). Puis les programmes se sont enrichis à la fois sur les sujets (médecines manuelles, géobiologie, médecines énergétiques, kinésiologie, acupuncture...) et sur les niveaux avec des sessions de perfectionnement », témoigne Claire Baguet, référente Agriculture Biologique de la chambre d’agriculture.
Le public s’est diversifié. « Au départ, nous voyions essentiellement un public d’éleveurs engagés en agriculture biologique : le cahier des charges dit qu’ils doivent utiliser ces méthodes en priorité pour soigner les animaux. De plus en plus, nous nous adressons à un public mixte bio/conventionnels. Les éleveurs conventionnels qui suivent ces formations ne sont pas forcément dans une réflexion vers une conversion bio, mais veulent utiliser moins de médicaments chimiques, en particulier les antibiotiques. Ils recherchent une autre approche de la santé de leurs animaux et une certaine autonomie », analyse Claire Baguet.

Contact et renseignement :
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