ÉLECTIONS EUROPÉENNES
Quelle agriculture vos candidats aindinois défendent-ils ?

Margaux Balfin
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Département prolifique en nombre de candidats aux élections européennes, l’Ain en compte pas moins de huit. Nous leur avons demandé quelle agriculture ils souhaitaient défendre dans l’hémicycle bruxellois. 

Quelle agriculture vos candidats aindinois défendent-ils ?

EUROPE TERRITOIRES ÉCOLOGIE/ Guillaume Lacroix et Sylviane Chêne

Le fondateur localement connu du Parti radical de gauche est en tête de liste aux européennes. Il compte parmi ses colistiers Philippe Meynier, en cinquième position, agriculteur corse et à la tête du Collectif des races des massifs, et Sylviane Chêne, adjointe au maire de Bourg-en-Bresse déléguée à la culture à et vice-présidente de la communauté d’agglomération, qui travaille par ailleurs chez le bailleur social Dynacité. Premier point du programme agricole, « l’harmonisation des normes de production entre les États européens par souci d’équité ». Deuxième axe, la régionalisation des aides de la Pac, orientées à l’emploi et non plus à l’hectare. « Aujourd’hui vous avez des Régions qui sont chargées du Feader mais c’est purement technique, elles sont là pour faire passer l’argent et étudier les dossiers et en réalité ça n’a rien simplifié. Je crois à une Europe qui se définit depuis les territoires. On rentre dans la définition des aides par la proposition des territoires », souligne le patron de la liste. Autre porte d’entrée pour garantir un revenu minimal aux agriculteurs, la définition de prix minimums au coût de production.  « De mon point de vue il faut définir un coût de production moyen ou minimal. La grande distribution doit être vraiment responsabilisée : quand elle se retrouve en situation de vendre des produits à perte ils devraient y avoir des sanctions non pas sur les prix mais sur les bénéfices qui doivent être redistribués aux filières », précise Guillaume Lacroix qui souhaiterait une pleine application de la loi Egalim. Plus original sur la question de l’élargissement de l’Union européenne à d’autres pays, Guillaume Lacroix avance l’idée de mettre en place une Europe à deux vitesses : « dès lors que deux ou trois pays souhaitent se lancer dans une direction, ils devraient pouvoir le faire sans attendre que tous les autres soient prêts ou en mesure de le faire. Sur la question des normes par exemple, on ne peut pas tout faire à 27 en même temps. » 

Fière d’être le « fruit de la parité », Sylviane Chêne tient de son côté à ce que les femmes soient représentées sur la liste de son ex-partenaire à la mairie de Bourg-en-Bresse. Déjà candidate aux législatives de 2017 s’attache fervemment à la préservation de la paix en Europe, à la lutte contre la montée de l’extrême droite et aux droits des femmes. Si elle entend la frustration, notamment de la jeune génération, face à une classe politique parfois déconnectée, elle tient à rappeler que dans ses fondements le système actuel démocratique passe par le vote. Moins sensible aux questions agricoles, elle se dit toutefois attachée à la question de la traçabilité des produits alimentaires et attend de l’Union européenne qu’elle accompagne les mutations du secteur agricole, notamment pour aller vers une agriculture moins utilisatrice de substances nocives dont les agriculteurs sont les premières victimes. À titre d’exemple, la candidate milite pour une politique de l’eau à l’échelle européenne. Elle-même ne se rend d’ailleurs quasiment plus en grandes surfaces et dit privilégier les magasins de producteur ou de proximité. En faveur de la préservation des labels de qualité des produits français, l’élue dit vouloir se montrer très prudente en matière d’accords de libre-échange.   

PARTI ANIMALISTE/ Samuel Bresse 

À 64 ans et diplômé de l’Institut d’études politiques (IEP) de Lyon, ce Gessien a quitté il y a quelques années son poste de chef de produit marketing chez Sanofi avant de s’en détourner pour s’orienter dans le médico-social. « J’ai toujours été sensible à l’environnement et à l’écologie. C’est une des raisons pour lesquelles je ne suis pas resté. » Déjà candidat aux dernières élections européennes à Dunkerque pour Cap 21, son indéfectible volonté de s’engager l’a aussi conduit à s’encarter un court temps chez Europe Écologie les Verts dans l’Ain. Et de couper court : « Je ne m’y retrouvais pas ». Désormais membre actif du Parti animaliste, c’est « la voix de ceux qui ne peuvent pas parler, celle des animaux », qu’il souhaite porter. Végétarien depuis trente ans, il s’oppose politiquement aux « fermes-usines » et veut voir une baisse drastique du cheptel européen pour aller vers une alimentation « plus végétalisée ». Abolitionniste de « l’exploitation des animaux » par l’élevage intensif, Samuel Bresse joue les fins équilibristes et n’en condamne pas plus les « exploiteurs ». Il dit ainsi vouloir tout autant « s’occuper des agriculteurs dont 12 à 25 % vivent sous le seuil de pauvreté. Et je ne parle même pas du taux de suicide. Ceux qui exploitent ces animaux sont pris dans un système, il faut donc commencer par les protéger eux. » Quant à la question du loup, Samuel Bresse admet ne pas être un fin connaisseur, et étonnamment aucune ligne ne figure à ce sujet dans le programme électoral du Parti animaliste. Sans conviction définitive, le candidat avance l’éventualité de stériliser une partie des loups comme alternative aux tirs de défense. S’il concède volontiers que ce type de décision serait difficilement applicable dans le Pays de Gex, Samuel Bresse espère par ailleurs voir sanctuariser une partie des espaces naturels pour les animaux sauvages. Plus globalement, le candidat et sa liste se positionnent en faveur de frontières européennes « plus protégées » avec un objectif de « 60 % d’autonomie alimentaire », la création de 30 % de zones marines protégées, la limitation des plastiques, une régulation du transport d’animaux vivants et la baisse des pollutions lumineuse et sonore. Des idées, c’est bien joli d’en avoir, encore faut-il pouvoir les financer, mais le Parti animaliste a semble-t-il pensé à tout. « Il faut réorienter les financements vers les plus petits, comme l’agriculture de montagne. Aujourd’hui la majorité des financements de la Pac vont vers les plus gros qui sont dans la Bosse mais il faut voir les revenus de ces gens-là », s’indigne Samuel Bresse. Et de conclure : « Je ne pense pas que l’on puisse bien s’occuper des humains si on ne s’occupe pas bien des animaux. » 

LE CAMP DES TRAVAILLEURS/ Vincent Goutagny 

Fils d’ouvrier agricole des Monts du lyonnais, cet ouvrier de 59 ans domicilié à Saint-Maurice-de-Beynost est depuis une quarantaine d’années porte-voix local de Lutte ouvrière dont la liste aux européennes est conduite par Arlette Laguiller. À charge contre l’agro-industrie incarnée dans le milieu agricole par Arnaud Rousseau selon le candidat, le credo du parti fustige « la propriété privée des actionnaires et le pouvoir économique des grandes fortunes ». Et de préciser : « La majorité des problèmes de la société sont insolubles si on ne peut pas disposer des moyens de production pour faire des choix économiques globaux. » Internationalistes, Vincent Goutagny et sa liste s’opposent à la fermeture des frontières européennes arguant que la surenchère de normes réglementaires dépend avant tout du bon vouloir des « grosses entreprises » et « de l’agroalimentaire qui capte les richesses ». Idem pour les traités de libre-échange ou la question de l’élargissement de l’Union européenne à l’Ukraine : « Si on avait à voter à ce sujet, on en profiterait pour dénoncer que la guerre en Ukraine est une guerre pour le contrôle des richesses pour des intérêts occidentaux. Lorsqu’on nous dit que le blé ukrainien va attaquer le blé européen, c’est toujours avec un langage guerrier pour dresser les pays les uns contre les autres. » Candidat, Vincent Goutagny affirme pourtant avoir « l’impression que quoique l’on vote, cela ne changera rien ». 

DÉFENDRE LES ENFANTS/ Colette de Zanet  

Cette grand-mère burgienne, « pas vraiment impliquée politiquement » comme elle le dit elle-même, ne s’est engagée que pour une seule cause : « sensibiliser les pouvoirs publics à la défense des enfants ». Une cause pour laquelle elle a décidé de s’investir après avoir été brutalement coupée de ses petits-enfants après la séparation conflictuelle de leurs parents. Sans la moindre ambition d’être élue aux européennes, elle confie ne s’être inscrite sur la liste Défendre les enfants que pour que cette dernière puisse avoir une chance de se présenter. Si elle est élue, bien qu’avant-dernière sur la liste qui doit obtenir au moins 5 % des voix pour obtenir des sièges, elle dit ne pas avoir vraiment réfléchi aux autres sujets sur lesquels elle pourrait être amenée à voter au Parlement européen. « Je ne me suis pas préparée à ça. Je suis plus dans la défense d’une cause. Mon engagement est purement réactionnel, à la suite d’une injustice ». 

LA FRANCE INSOUMISE/ Émile Fromont

À 24 ans, le jeune diplômé d’un master de sciences sociales à Strasbourg est le seul candidat du département issu directement du milieu agricole. Ce fils d’agriculteur, son père est éleveur de Limousines en allaitant bio à Confrançon, milite assidument à la France insoumise depuis 2019. Son crédo : lutter contre le libre-échange pour mieux protéger les productions. « Notre enjeu, c’est d’envoyer des députés de combat pour arrêter le saccage de notre agriculture », avance-t-il. Avec sa liste, le jeune homme dit fermement s’opposer à l’ensemble des traités de libre-échange et défendre plus de taxes aux frontières de l’Union européenne. « Notre mesure phare, c’est d’instaurer des prix plancher par filière pour les agriculteurs », ajoute-t-il. Il renie pour autant l’européanisation de la loi EGAlim « pour la simple et bonne raison qu’il faut qu’on l’applique déjà dans notre pays. Elle a des contours intéressants mais elle n’est pas appliquée. » Côté Pac, il revendique une rémunération davantage du travail des agriculteurs qu’une rémunération à l’hectare. Des propositions qui sont peu ou prou semblables à celles d’autres partis, de gauche comme de droite de l’échiquier politique. « Il y a beaucoup d’hypocrisie, défend Émile Fromont. Tout le monde a été marqué par le mouvement des agriculteurs qui était un mouvement européen. Tous les politiques se sont mis à défendre les agriculteurs mais il faut voir comment ils votent au Parlement européen. » Autre sujet agricole clivant, la question de la surenchère des normes. Pour Émile Fromont, elle est difficile à mesurer : « Pour moi, il s’agit d’une incompréhension des agriculteurs que l’on oblige à faire des choses sans revenu en face. En France, nous avons une ambition sociale et environnementale plus forte que dans d’autres pays du monde. C’est un atout, il faut le défendre, mais il faut s’en donner les moyens en protégeant le revenu des agriculteurs pour avoir des politiques alimentaires plus ambitieuses ». Le jeune candidat a en tête la baisse du nombre d’agriculteurs depuis au cours de la dernière décennie et le taux de pauvreté élevé jusqu’à 25 % chez les maraîchers et éleveurs bovins, caprins et ovins. Facile à dire pour celui qui s’est détourné du métier. Émile Fromont n’exclut pas de s’installer un jour, en attendant il s’engage politiquement pour l’agriculture. Et de conclure : « Le vote européen est un vote qui doit préparer le vote de changement à horizon 2027 et on ne pourra changer les règles absurdes de concurrence à l’échelle européenne que si on arrive au pouvoir en 2027 ». 

PARTI PIRATE/ Thomas Iglésis

Bibliothécaire, marié et père de deux enfants, le Franvernois est engagé en politique depuis plusieurs années et s’était déjà porté candidat aux élections régionales de 2021 et aux législatives de 2022. Sociétaire de la marque C’est qui le patron (née dans l’Ain), bénévole au sein de l’association Prenons racine avec qui nous menons des projets d’agroforesterie en lien avec des agriculteurs et des pisciculteurs aindinois, Thomas Iglésis s’affiche proche du monde agricole.  

 « L’agriculture est un sujet qui passionne les Français et les Françaises, qui sont plutôt bien au fait des problématiques rencontrées par les agriculteurs et les agricultrices. Je ne crois pas du tout à un agribashing généralisé, c’est même tout le contraire. Il est par contre fondamental de renforcer le lien entre les professionnels et les consommateurs pour faire sens et permettre des échanges constructifs », souligne-t-il dans un propos soigneusement préparé. « Nous devons parvenir à une production alimentaire durable et saine pour tous, aujourd’hui et demain », ajoute-t-il. Inscrit en 48ème position sur la liste du Parti pirate, Thomas Iglésis et ses colistiers revendiquent « un rôle fort » des commissions dédiées à l’environnement, l’agriculture, la pêche, et en charge de la cohésion économique, sociale et territoriale de l'Union et des politiques et fonds qui y sont liés. « Le Parti pirate soutient des modèles adaptés aux enjeux locaux (auxquels il faut reconnecter Bruxelles et Strasbourg) et donc plus diversifiés, comme l’agriculture de conservation. La préservation des sols et des écosystèmes est en effet un enjeu majeur au regard des défis climatiques et agricoles en cours et à venir. Nous soutenons une agriculture de proximité à taille humaine, qui nourrit son territoire », explique le candidat, notant qu’il se rend toujours aux Trophées de l’agriculture de l’Ain, un événement organisé par Le Progrès chaque année. Comme nombre d’autres partis, le Parti pirate plaide pour une réforme de la Pac. « Cette réforme ne doit pas être menée d’en haut, mais de manière horizontale, loyale et transparente, ce qui est l’ADN du Pirate pirate, précise Thomas Iglesis. Pour rendre leur indépendance aux agriculteurs, nous défendons farouchement le principe « pas de brevet sur la vie » en ouvrant plus largement les données publiques pour renforcer la transformation agricole. » La liste du candidat se positionne enfin pour le renforcement de mesures en faveur du bien-être animal par une transparence accrue sur les conditions d’élevage. 

EUROPE ÉCOLOGIE LES VERTS/ Joël Broc

Second Gessien de ce millésime aindinois, le presque soixantenaire milite chez les Verts depuis une dizaine d’années. Européen convaincu, lui-même est professeur d’allemand en Suisse et marié à une Allemande. « L’agriculture est un volet important de notre programme. On parle beaucoup de la Pac, nous préférons parler de Politique agricole et alimentaire commune puisque nous avons besoin des agriculteurs pour nous nourrir. Notre position c’est de dire d’avoir une Pac non pas de subventions à l’hectare mais à l’emploi avec une agriculture plus locale, avec moins de pesticides, c’est aussi notre cheval de bataille. » Outre une refonte de la Pac, qui sera à coup sûr l’un des chantiers majeurs de la prochaine mandature, EELV vise 50 % de pesticides en moins à horizon 2030, le 100 % d’énergies renouvelables d’ici 2040, la chasse aux produits dangereux tels que les polluants éternels (PFAS), la fin de l’élevage pour la production de fourrure, la régulation plus stricte du transport d’animaux vivants et la mise en place du Zéro artificialisation nette à l’échelle européenne. Et Joël Broc de concéder : « Nous sommes bien conscients que cela ne va pas se faire du jour au lendemain, mais c’est un cap vers lequel nous souhaitons aller, et c’est aussi valable pour les engrais de synthèse. » Par ailleurs contre les fermes usines, et en faveur d’une alimentation moins carnée et avec plus de protéines végétales, la liste appelle à à une réduction de l’élevage intensif en faveur de fermes à taille humaine. Mais alors comment concilier réduction du cheptel et augmentation du revenu des agriculteurs ? Joël Broc répond : « Notre objectif n’est pas de faire ce qu’on nous reproche souvent, c’est-à-dire d’être trop directifs, mais d’aller vers une agriculture moins intensive, et avec ça de mettre en place des outils de régulation des prix pour éviter que les éleveurs en l’occurrence soient en concurrence permanente entre eux à l’échelle intra-européenne avec des prix tirés vers le bas. Il faut intervenir pour que la marge de la grande distribution soit répartie équitablement avec le producteur. »  Le candidat garde notamment en mémoire le slogan d’agriculteurs ayant manifesté dans le Pays de Gex : « On veut des prix pas des primes ». Et de rebondir : « Il y a quelque chose à faire de ce côté-là, mais avec une agriculture plus tournée vers le bio et le local. » Joël Broc évoque la volonté de sa liste de pousser pour la création d’un Fonds européen pour financer des projets agroécologiques. Pour ce qui est de l’abonder, rien d’arrêté, mais le candidat évoque l’éventualité de réorienter une partie du budget européen dédié à l’agriculture, notamment au travers de la Pac, ou d’emprunter sur les marchés financiers ou auprès de la Banque centrale européenne (BCE). 

Margaux Balfin