ENVIRONNEMENT
La disparition du buis : tout le monde s'en fout !

On procédera à la dernière récolte de buis cet hiver, les tourneurs devront vivre sur leur stock qui subviendra à leurs besoins pendant quelques années. Après il faudra aller chercher du buis en Europe de l'Est.
La disparition du buis : tout le monde s'en fout !

Le passage de la pyrale du buis en 2017* sur l'Ain et ensuite sur l'arc jurassien en général a entrainé la destruction des massifs de buis du Revermont et du Bugey. Conséquence les chemins qui tout au long de l'année étaient autrefois bordés de buissons verdoyants sont désormais enserrés de squelettes d'arbustes dénudés aux branches grisâtres. Un constat désolant pour la nature et le paysage auquel s'ajoute un véritable drame économique et culturel. Daniel Raquin est tourneur sur buis à Corveissiat. Depuis 1991, il fabrique des pièces d'échecs et de jeux de dames pour des entreprises du Jura. Il façonne aussi des olives pour la confection de rideau de portes et des boutons pour l'habillement.

On ne mesure par l'impact du phénomène

« Dans l'Ain, je dois le dire, j'ai l'impression que tout le monde s'en fout » confie-t-il avec beaucoup d'amertume. « On assiste à la disparition d'une essence d'arbre caractéristique du Revermont et du Bugey et personne réagit. J'ai tiré la sonnette d'alarme dès le début de la prolifération de ce papillon. Je me suis adressé à toutes les instances concernées, les incitant, tant qu'il n'y avait qu'une petite région infestée, à prendre des mesures de traitement pour éviter la propagation. On m'a répondu "qu'on attendait de voir l'évolution". Bien sûr, les tourneurs sur buis ne représentent qu'un infime pourcentage du secteur du travail du bois. La grande majorité travaillent d'autres essences, chênes, sapins. Mais on oublie que cet arbuste, le bois le plus dur de nos régions, qui pousse entre les rochers assure la stabilité de pans entiers de falaise. Je me sens seul et abandonné », reconnaît-il avec un grand désarroi.
Côté fédération interprofessionnelle du Bois de l'Ain, la directrice Valérie Chevallon, confirme qu'il n'y a pas eu de mesures prises au niveau de la Région Auvergne Rhône-Alpes comme en Bourgogne Franche Comté, « parce que c'est une petit activité qui ne s'exerce que sur une partie d'un seul département de la région. »

La disparition d'un artisanal ancestral

Le jeu d'échec en buis est l'un des produits le plus prestigieux de la tournerie sur buis, une spécialité du massif du Jura.
Le jeu d'échec en buis est l'un des produits le plus prestigieux de la tournerie sur buis, une spécialité du massif du Jura.

 

« Daniel Raquin est "le spécialiste" de la pièce de jeux d'échec et de dames, c'est lui qui les fabrique à partir du buis » déclare Pascal Brantus de l'entreprise Jurabuis à Moirans-en-Montagne, qui vend des jeux d'échecs en buis sous la marque Chavet Chess. « Toutes les pièces sont tournées en buis, ce qui leur assure un poli incomparable et une forte résistance aux chocs. Ce n'est pas sans raison que cette matière a été choisie pour les compétitions d'échecs. C'est le Jura qui a donné de la noblesse à ce bois qui est aussi considéré comme un parasite des forêts. Jusqu'ici nous utilisions exclusivement du buis jurassien. Mais avec le passage de la pyrale, les buis sont morts ou bien détériorés. Nous allons vivre sur nos stocks ». Le constat est moins alarmiste du côté de la Tournerie Roz de Conliège. « Avec mon mari Michel, tourneur sur buis, nous fabriquons des pièces de jeux d'échecs, de dames et de nombreux autres objets en buis. Nous pensons que l'on dramatise trop. On a fait des stocks qui nous permettront d'attendre. Le buis commence à repartir, personne ne peut dire ce que l'avenir nous réserve» explique Brigitte Roz-Bruchon.
C'est le cas de Daniel Raquin qui a fait des réserves de buis. « Aujourd'hui on voit certains buis qui refont des feuilles, signe qu'il y a de la sève, malheureusement, ils sont souvent tachés, ils sont noirs à l'intérieur au lieu d'être jaune. Je passe environ 100 tonnes par an. Actuellement, j'ai un stock qui me permet de tenir trois ans ». Daniel Raquin fait appel à tous les particuliers qui font des coupes de bois. Il est intéressé par le buis qu'ils vont enlever. La tonne de buis livrée est achetée 230 à 240 euros.

L'ultime récolte de buis

Réaction identique dans le Jura voisin. « Les 12 entreprises qui travaillent le buis et qui représentent une centaine d'emplois, ont également sur stocké et disposent d'un volume de matières premières pour les 6 à 7 ans à venir », explique Dominique Retord, président de Créativewood, association qui fédère les entreprises de la filière tournerie sur bois et tabletterie du département du Jura. « Le buis qui a tendance à repartir n'est toutefois pas sain pour être travaillé. Et même s'il y a des repousses, il faut 25 ans pour qu'un buis atteigne une taille suffisante pour être exploité. A l'initiative de Créativewood et de la filière bois Bourgogne Franche-Comté, avec la participation des élus, de l'Office Nationale des Forêts (ONF), on a évalué les fonds nécessaires, pour récolter des buis et stocker tout ce qui pouvait être récupéré, à 2 millions d'euros. Les besoins des entreprises de l'Ain étaient aussi pris en compte. Malheureusement, nous n'avons jamais pu trouver de la main d'œuvre pour effectuer ce travail. Tout a été mis en place pour récupérer ce que l'on pouvait sauver. Cet hiver sur le Jura, on procédera à une petite coupe de buis, mais ce sera probablement la dernière ». Le dispositif mis en place par Créativewood et la filière bois Bourgogne-Franche-Comté reste en suspens et pourra être réactivité dans la mesure oú une récolte de 3000 tonnes de buis sera identifiée. Seuls aujourd'hui les pays de l'Europe de l'Est offrent un tel potentiel.

Magdeleine Barralon
*Introduite accidentellement en Europe dans les années 2000 la pyrale du Buis (Cydalima perspectalis) est une lépidoptère originaire d'Extrême Orient. Elle se nourrit de toutes les variétés de buis.