LE LOUP
Une prédation au coût faramineux

Margaux Balfin
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Alors que la dernière attaque attribuée au loup dans le département a eu lieu le 18 novembre à Vieu-d’Izenave, la Société d’économie montagnarde de l’Ain a consacré une conférence-débat sur le sujet lors de son assemblée générale pour mieux comprendre ce prédateur. 

Une prédation au coût faramineux
Dans l’Ain comme en France, la quasi-totalité des loups sont de lignée italienne, et à très faible proportion, d’origine d’Europe centrale. Photo/mariof

« Il ne s’agit pas de dire si nous sommes pro ou anti-loup. La question, c’est de savoir comment trouver un équilibre pour que le pastoralisme soit préservé », a rappelé Michel Joux, président de la Chambre d’agriculture en préambule du débat organisé par la Sema. À l’aube du nouveau Plan national loup (PNA 2024-2029), et face à la difficulté de protéger ses troupeaux, la profession agricole s’interroge sur l’avenir de l’élevage, notamment dans les alpages. « Le dernier PNA avait un objectif de maintien de 500 loups pour préserver la viabilité de l’espèce. Je dis que le prochain PNA doit avoir un objectif de viabilité de l’élevage et du pastoralisme. Nous sommes en péril et il est hors de question d’avoir des charges supplémentaires sur nos exploitations », a martelé le président de la Chambre d’agriculture.  
 
La prédation coûte 66 M€ chaque année
 
L’année dernière, 10 728 animaux ont été prédatés dans toute la France, toutes espèces confondues, dont 1 428 en Auvergne-Rhône-Alpes et 32 dans l’Ain selon la DREAL. Opportuniste, le loup s’attaque aujourd’hui aussi bien aux ovins, caprins, qu’aux bovins et équidés. Avec 20 % de reste à charge à l’éleveur pour l’achat et le dressage d’un chien de protection, ou encore la conditionnalité des indemnisations à la mise en place de moyens de protection, l’impact financier de la présence du loup fait grincer des dents. L’effort national lié à la politique d’encadrement des effets de la prédation atteindrait un montant minimum de 66,08 millions d’euros (M€) par an, dont presque 8 M€ de reste à charge supporté par les éleveurs au titre des mesures de protection et environ 2,2 M€ de dépenses liées à la mobilisation des chasseurs (matériels et frais liés aux opérations de tirs). La masse salariale annuelle de l’État dédiée à la prédation coûte à elle seule 5,15 M€ environ chaque année1
Un poids financier d’autant plus lourd à porter pour les éleveurs face à la complexe protection des troupeaux sur le territoire. « J’ai toujours milité pour faire reconnaître le massif du Jura comme difficilement protégeable, que ce soit pour les bovins ou les ovins », a rappelé Emmanuel Blanc, éleveur à Belmont-Luthézieu et président du syndicat des éleveurs de moutons de l’Ain. Dans le département, l’élevage ovin a la particularité de se faire sous forme de petits lots, disséminés dans des parcs parfois très éloignés et situés au cœur des villages. Protéger les troupeaux en y intégrant des chiens de protection ou en installant des clôtures électriques devient alors rapidement compliqué au milieu des habitations et coûteux pour les éleveurs. Dans ces conditions, les tirs de défense (simple ou renforcée) sont également compliqués à mettre en œuvre. 
 
La protection des troupeaux : une charge mentale supplémentaire 
 
Cyril Prevent, président de l’entreprise Cistole, consacrée à la protection des troupeaux, le reconnaît lui-même, « la protection doit passer par une adaptation des pratiques pastorales. Il ne s’agit pas seulement de mettre des chiens et de poser des clôtures. » Du reste pas de solution miracle. Selon l’expert, la protection doit passer par plus de présence humaine, mais celle-ci ne saurait éviter 100 % des attaques. Sans compter la difficulté de recruter des bergers et d’aménager les espaces pastoraux pour les accueillir en alpages. Quant aux chiens de protection, Cyril Prevent estime que c’est la solution la plus efficace, mais il faudrait selon lui en moyenne dix ans pour monter une meute de chiens efficace. Et Cyril Prevent n’a pas plus de solutions pour la protection des bovins, jugée aujourd’hui impossible par l’État en France. Dans la mesure du possible, il préconise toutefois aux éleveurs de prioriser les naissances à l’intérieur des bâtiments, de réaliser des « parcs refuges », c’est-à-dire des parcs dans les parcs autour desquels peuvent circuler les chiens de protection, mais aussi d’ouvrir des zones de fuite dans les parcs pour limiter le stress des animaux et les dérochements, ou encore le mélange des lots, les mères ayant tendance à protéger les génisses et les veaux. 
Un discours qui a fait bondir Pierre-Henry Pagnier, président de l’Association régionale de développement agricole et rural (Ardar) : « Si on avait de jeunes éleveurs laitiers candidats à l’installation, je ne suis pas certain qu’ils emboiteraient le pas s’ils apprenaient qu’il faut encore remettre une couche d’astreinte. » Éleveur laitier dans le Haut-Doubs, près de Mouthe, il vit encore mal une prédation survenue l’année dernière sur son troupeau. Au-delà de l’impact financier, Pierre-Henry Pagnier a lourdement insisté sur les conséquences psychologiques de la prédation du loup. « En ce qui me concerne, j’ai été prédaté le 11 septembre et j’ai été indemnisé le 5 mai de l’année suivante donc il y a un gros challenge pour réduire ce délai et mieux prendre en compte la valeur génétique de l’animal. Il faut aussi prendre en compte les pertes indirectes, c’est-à-dire le stress. Alors qu’il y avait de l’herbe dans les parcs, j’ai dû rentrer mes vaches. On les descendait, on les trayait, on les remontait, on courait après les veaux, je n’en pouvais plus, j’ai tenu trois semaines… »
 
Pourquoi l’OFB sort deux recensements par an ? 
 
Le dernier recensement du nombre de loups annoncé par l’Office national de la biodiversité cette année n’a rien arrangé à la grogne de certains éleveurs. Alors que le nombre provisoire avancé en juillet dernier était de 906 loups, il a été revu à la hausse pour atteindre 1 104 individus, à une dizaine de jours de la présentation du nouveau PNA. L’OFB s’est toutefois justifié en expliquant que deux recensements avaient lieu chaque année : un estival et un hivernal, les deux se complétant. En plus des indices de présence collectés (traces, photos, cadavres ou carcasses), l’OFB se base également sur une identification génétique des individus ou meutes à partir d’excréments ou de poils. « Le suivi hivernal se termine au mois de mars et en juin nous donnons un chiffre provisoire. Un an plus tard, une fois que nous avons les résultats de tous les tests génétiques, nous sortons le second recensement », explique Florie Bazireau, de la direction régionale Aura. 
Entre le 1er novembre 2022 et le 31 mars 2023, l’OFB a recensé 179 zones de présence permanente du loup en France, dont 157 sont occupées par une meute. Le noyau de la population se concentre sur l’arc alpin, avec deux meutes dans le massif du Jura : celle du Risoux et du Marchairuz. D’après les indices de présence collectés, l’OFB estime que soit trois meutes reproductrices sont sur le secteur, soit quatre groupes. L’information devrait être divulguée lors du prochain comité loup départemental le 12 décembre prochain. 


1 Chiffres issus d’un rapport d’information (N° 5122) relatif aux conséquences financières et budgétaires de la présence des grands prédateurs sur le territoire national, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 23 février 2022.