SCIENCES
De l'urine pour accélérer la croissance de ses légumes

L’urine humaine est un engrais complet qui contient de l’azote et des minéraux. Renaud de Looze, ingénieur et pépiniériste à la Palmeraie des Alpes en Isère, expérimente depuis longtemps des techniques de recyclage durable. Il livre les fruits de son travail dans un ouvrage intitulé L’urine, de l’or liquide au jardin.
De l'urine pour accélérer la croissance de ses légumes

 

Épandre du lisier ne choque personne, en dehors des nez délicats, mais évoquer l’utilisation de l’urine humaine pour fertiliser son jardin semble complètement farfelu à la majorité. Faites le test autour de vous, les yeux de vos interlocuteurs ont tendance à s’arrondir pour voir si vous bluffez. Pourtant, comme le montre le livre très complet de Renaud de Looze, l’urine est un engrais complet. Elle contient de l’azote assimilable via l’urée, du phosphore, du potassium, du magnésium, du calcium, du soufre, du sodium, du chlore, le tout éliminé par l’organisme humain. Dans son ouvrage intitulé L’urine, de l’or liquide au jardin, et publié aux éditions de Terran, l’ingénieur et fondateur de la pépinière la Palmeraie des Alpes en Isère, livre le résultat de ses expérimentations d’utilisation d’urine comme fertilisant au jardin. 

Un engrais facile à utiliser

Renaud de Looze propose plusieurs usages possibles pour l’urine au jardin, dont un apport en dilution de 1 volume d’urine pour 20 volumes d’eau, soit
50 cl pour 10 l d’eau par m² de culture tous les 15 jours.

 

Un litre d’urine contient environ 6 g d’azote (N), 0,2 g de phosphore (P), 2 g de potassium (K), « ce qui correspond à 100 g d’engrais organique du commerce », explique l’auteur qui décrit une manière de l’utiliser au jardin.
« En plein air, les doses à apporter au jardin sont comprises entre 1 et 3 litres d’urine par m² appliqués en une fois avant les cultures ou bien tous les 15 jours dans une dilution de 20 fois à l’eau. » Le pépiniériste conseille d’amender le sol avec 3 l ou 1,5 kg de compost/m² à incorporer dans les 5 premiers cm du sol et de fertiliser avec de l’urine. « En l’espace de quelques heures à quelques jours, l’urine est décomposée par l’eau en ammoniaque, qui est ensuite oxydée grâce à l’action de micro-organismes qui s’en nourrissent. À 20°C, elle est dégradée en deux semaines en minéraux assimilables par les plantes. C’est comme un purin d’ortie, sauf que l’urine est plus facile à obtenir et disponible tous les jours.» D’après Renaud de Looze, la production d’urine d’un adulte s’élève à 500 litres par an et représente l’équivalent de 3,4 kg d’azote, 1,2 kg de potassium, 0,2 kg de phosphore et permet de fertiliser 370 m² de culture sur l’année.

Casser les idées reçues

Pour beaucoup et d’abord d’un point de vue réglementaire, l’urine est un déchet, sale, porteur de germes, de médicaments ou encore d’hormones. Or, Renaud de Looze insiste sur le fait que l’urine séparée des fèces est stérile. Elle est consommable, certains pratiquent d’ailleurs l’urothérapie, le fait de la boire pour récupérer les minéraux qu’elle contient. Par ailleurs, certaines études montrent que « les résidus médicamenteux contenus dans l’urine de personnes sous traitement se dégradent au cours de la minéralisation, dégradés par les micro-organismes du sol », cite l’auteur. Si l’urine humaine n’est pas utilisée aujourd’hui, c’est qu’elle est considérée réglementairement comme un déchet. Pour l’agriculteur professionnel, il est interdit d’utiliser l’urine humaine, car elle ne fait pas partie de la liste des intrants autorisés en agriculture. Seules les urines animales peuvent être utilisées. Un paradoxe réglementaire lié à une vision hygiéniste héritée du début du XXe siècle ! Au lieu de valoriser l’urine pour son pouvoir fertilisant, nos sociétés ont choisi de mélanger l’urine humaine aux matières fécales. Cela revient à souiller l’urine, une ressource précieuse en minéraux par les bactéries et autres germes fécaux, et de mélanger le tout à de l’eau potable qui est ensuite traitée dans des stations d’épurations pour « environ 200 euros par kg d’azote », quand il n’y a pas de recyclage agricole, souligne l’auteur.

Des initiatives existent

Grâce à ce WC à séparation, l’urine est collectée sans être souillée des bactéries des matières solides et peut ainsi être utilisée au jardin.

 

L’auteur a cherché à déterminer quelles seraient les plantes qui supporteraient le mieux un épandage d’urine en continu afin de traiter des urines en grande quantité. Il s’est notamment intéressé à la canne de Provence, qui présente plusieurs atouts, notamment pour les éleveurs. Elle résiste bien au sec, aux inondations, aux grandes chaleurs et au grand froid (- 10 °C). Elle peut servir de fourrage ou de litière pour les animaux. Elle pousse très vite, ne craint pas les ravageurs ou les maladies. Elle ne se ressème pas mais se multiplie par la propagation de ses racines. Dans des conditions idéales sous serre, 1 m² de canne de Provence irrigué et fertilisé à l’urine donne 7 kg de matière aérienne en quatre mois de culture. Face au changement climatique, cette plante pourrait présenter un avantage non négligeable sur des sols pauvres. Ailleurs, on voit fleurir des initiatives de valorisation de l’urine en engrais. Le Danemark et la Suède épandent l’urine humaine sur des terres accueillant des cultures qui ne sont pas destinées à l’alimentation humaine comme l’exige la réglementation européenne. Pour cela, des toilettes à séparation (liquide d’un côté, matière solide de l’autre) dans les immeubles d’habitation permettent de récupérer les urines sans les contaminer par les bactéries fécales. Ailleurs, au Canada, une société commercialise un engrais sous le nom de Crystal Green issu du recyclage de l’urine. En Suisse, l’Institut Eawag commercialise depuis 2016 un engrais horticole, l’Aurin, à base d’urine humaine. En France, MR.Organics, une start-up de Giraonde travaille à la mise au point d’un engrais à base d’urine collectée dans des festivals dans des toilettes sèches. Le procédé d’hygiénisation est tel qu’il détruit les éléments potentiellement non désirés comme les métaux lourds ou les résidus de médicaments. L’engrais final pourrait être certifié bio.

CP