La moissonneuse ne trouve plus de place sur les routes de campagne

Les engins agricoles sont de plus en plus gros. Ils ont du mal à circuler sur des routes aux aménagements parfois mal adaptés. A cela s’ajoute l’incivisme des automobilistes. Les professionnels souhaiteraient être concertés et entendus sur les réfections de voirie avant qu’elles ne se fassent.
La moissonneuse ne trouve plus de place sur les routes de campagne

La taille et la puissance des engins agricoles ne cessent d'augmenter, au même titre que la surface moyenne des exploitations. Les tracteurs « mastodontes » demeurent minoritaires sous les hangars français. Mais leur nombre augmente constamment. Ils pèsent 14 tonnes, l'équivalent d'une dizaine de voitures de taille moyenne. Lorsqu'ils roulent sur une départementale, ils font l'objet d'une signalisation particulière afin que l'automobiliste puisse rouler derrière ou le croiser sans risquer l'accident. Mais les routes de campagne se sont embellies de nouvelles normes, chicanes, dos d'âne, rétrécissements, limitation de vitesse, lignes téléphoniques et panneaux trop bas... qui rendent la circulation des engins difficile, voire impossible. Ces équipements mettent en danger le matériel (pincements des pneumatiques, bris de phares...) et leurs chauffeurs. De plus, la circulation agricole sur les aménagements routiers inadaptés entrave la fluidité du trafic et peut engendrer une prise de risque de la part des autres usagers de la route (agression, franchissement de ligne blanche, doublement sans visibilité...).

 

Les chicanes à la sortie du  petit Brens dans le Bugey.

Au temps des paysans

L'usage du tracteur s'est généralisé après la seconde guerre mondiale. Il était financièrement accessible à celui qu'on appelait le « paysan moyen ». Equipé alors de moteurs développant entre 15 et 40 chevaux. Sept décennies ont passé, durant lesquelles les industriels de l'agroéquipement ont rivalisé d'innovations. Ils pulvérisent, d'année en année, leurs propres records en matière de puissance et de taille des outils. Maintenant, le paysan est appelé agriculteur et son confort de travail s'est amélioré grâce aux évolutions du machinisme agricole. La puissance moyenne des tracteurs neufs immatriculés dans le pays suit une courbe ascendante. Elle est passée, selon l'Axema, (syndicat des industriels de l'agroéquipement), de 109 à 141 chevaux entre 2000 et 2017, pour atteindre 250 à 500 chevaux en 2019. Le tracteur, outil emblématique, n'est pas le seul à avoir changer de gabarit. L'évolution des moissonneuses batteuses, des gammes de semoirs, de remorques, de presses et d'outils de récolte répond à une même demande : toujours plus grand, toujours plus sophistiqué, toujours plus cher et bien encombrant sur la route. Au-delà de 4,5 m de large, il n'est plus machine agricole mais devient convoi exceptionnel. Les routes ne sont plus adaptées et les nouvelles normes de sécurité routière mises en place dans les communes empêchent parfois ceux qui vivent de l'agriculture d'exercer leur profession.

Dossier Yolande carron

L’agricole n’est pas pris en compte

Georges Tabouret, entrepreneur de travaux agricoles à la Tranclière

 

Les aménagements de voirie sur la commune de Druillat

 

« J’ai commencé en 1964, les coupes mesuraient 3 mètres, maintenant elles font 6,60 m. Le matériel agricole a beaucoup évolué, surtout ces dernières années, c’est de la folie. Les tracteurs ne sont pas trop pénalisés mais il n’en va pas de même avec la moissonneuse batteuse qui mesure jusqu’à 4 m. Nous rencontrons des difficultés sur les départementales qui vont dans les communes. Rond-point, chicane, dos d’âne, ne sont pas adaptés à nos machines. Je me livre à une vraie bataille avec les communes pour que nous soyons pris en compte dans les aménagements. J’observe les travaux et n’hésite pas à aller parler aux maires. Comme ce fût le cas pour les aménagements de la route qui va de la Vavrette à Tossiat.
Les ingénieurs qui sont en charge des voiries font des croquis mais ne pensent pas à nous ! Mes chauffeurs se déplacent dans un rayon de 15 km mais souvent au bout de 5 km ça coince. Je suis en relation avec des syndicats de l’Isère, ils ont modifié tous les rétrécissements. À Dompierre/Veyle nous avons réussi à le faire, mais cela ne marche pas toutes les fois. Les arrêts des cars ont une plateforme de 20 cm pour les normes handicapé, nous devons monter dessus pour passer. Parfois on laisse du pneu, ça un coût, 5 à 6000 euros.
Au rond-point, même les cars scolaires ont des difficultés à tourner, l’évolution est de tous les côtés. Les gens sont intolérants, il faudrait former aussi les automobilistes aux règles de sécurité.

Un gyrophare à couleur variable

Tous les engins en ont, alors les gens s’y perdent. J’avais soumis l’idée de le faire rouge lorsqu’il y avait un plus grand danger et le laisser orange pour un engin classique. Les conducteurs ne s’engageraient pas de la même façon. Le problème réside aussi dans le fait que de plus en plus de gens des villes viennent s’installer dans nos campagnes. D’où l’incivisme souvent constaté. Avant nous n’avions que des ruraux, ils savaient vivre avec l’agriculture. Les maires n’ont pas le plein pouvoir pour l’aménagement des routes. C’est le Conseil départemental et l’équipement qui décident, tout se fait sur croquis et sans de concertation avec les entreprises, les Cuma, les usagers, c’est dommage ».

 

Vers une augmentation du travail non productif

Nicolas Boinon, directeur des Cuma de l’Ain.
« Les engins utilisent 2 à 3 fois par an sur une période de 1 mois les routes. Les ensileuses au printemps et en été. Les batteuses à l’automne. Les aménagements dans les communes et sur les nationales pour réduire la flux et la vitesse ont une conséquence sur le travail, ils augmentent le temps non productif. Les Cuma sont pénalisées lorsqu’il s’agit de se rendre de la coopérative à la parcelle. L’aménagement au sein d’un village contraint à utiliser des itinéraires de délestage car les structures ne sont pas adaptées. Dans les communes le nombre d’agriculteurs diminue et de surcroît de moins en moins siègent en tant qu’élu au conseil municipal. Aussi lorsque l’aménagement de la voirie existante est à l’ordre du jour ils ne sont pas concertés.
Quelques pistes
Il faudrait anticiper les projets afin de prendre en compte les problématiques. Cela éviterait de s’en apercevoir une fois que les aménagements sont terminés.
Essayer de travailler des terre pleins centraux. Imaginer de les faire dans une largeur de voie allant de 3,50 à 4 m et qui ne soient pas trop anguleux. Les accompagner d’une signalétique verticale relevable par ressort. Penser aux exclusions sur les voiries à restriction.
Les accotements : les tenir en état, les stabiliser afin qu’ils soient portants et propres.
Les glissières : les relever de la voie roulante et faire en sorte que le mobilier urbain soit à une distance raisonnable pour laisser passer les engins.
Chez les autres
Dans d’autres départements, compte tenu du développement des infrastructures des chartes de circulation agricoles ont été mises en place, associant des travaux collaboratifs entre les intenses agricoles et le Conseil départemental, les élus des municipalités et la CAUE (Conseil d’Architecture Urbanisme Environnement de l’Ain). Ce type de projet est en train de se concrétiser dans l’Ain ».

Il faut que chacun puisse s’exprimer

Jean-Yves Flochon, vice-président du CD 01 délégué à l’aménagement, aux aides aux communes et à l’agriculture.

 

«Le matériel agricole a évolué, des points de difficulté nouveaux apparaissent. Chacun à sa perception des choses. Mettre tout le monde d’accord fait partie de nos réelles préoccupations. Dans l’aménagement des communes nous avons une convention avec les mairies qui préconise de prendre en compte le déplacement des engins agricoles sur la route. Malgré tout il peut y avoir certaines difficultés. J’avais émis la mise en place d’une réunion technique annuelle avec la FDSEA, les responsables de Cuma et les entrepreneurs. Une table ronde où chacun pourrait s’exprimer sur les difficultés de rouler dans le département et voir les aménagements en cours. C’est toujours d’actualité.
Nous sommes ouverts au dialogue. Pour preuve le Conseil départemental est revenu sur une décision prise. La deux fois deux voies au sud de Bourg-en-Bresse avait été supprimée. C’était une erreur. Après avoir dialogué avec les agriculteurs nous l’avons remise. J’attends les propositions de la FDSEA qui s’était engagée à dresser une liste des difficultés rencontrées sur le département. Ensuite nous l’instruirons et je propose une rencontre avec la FDSEA, les JA et les entrepreneurs pour faire le point ».

 

Les agriculteurs sont respectueux

Lieutenant colonel Hervé Jayot

« Honnêtement, le monde agricole est très au courant de la réglementation en vigueur. Les agriculteurs sont respectueux. Il est vraiment très rare que nous soyons amenés à verbaliser. Je tiens toutefois à faire quelques petits rappels. Pensez à bien mettre le gyrophare orange visible à 50 m tous azimuts. Gardez en tête le respect de la route même lorsque vous êtes pressés. N’oubliez pas le véhicule pilote pour les gros engins comme les moissonneuses batteuses. Au moment des labours, il vous incombe de nettoyer la route si vous avez mis de la terre dessus. Car en cas d’accident on peut aller chercher votre responsabilité. Et bien sûr ni alcool ni stupéfiant lorsque vous prenez le volant ! ».

Le problème il est aussi avec les autres usagers de la route

Hervé Bridon, responsable des chauffeurs et du matériel à la Cuma de Saint-André-sur-Vieux-Jonc

 

« Nous sommes équipés de tracteurs qui roulent jusqu’à 60 km/h alors que la législation nous autorise 40 km/h sans attelage et 25 km/h avec. Rien ne va dans le bon sens. Rouler avec les moissonneuses batteuses c’est une catastrophe. Il y a des endroits où nous ne passons plus. On écrase les panneaux ou les massifs. On zigzague, les pneus ramassent. Certaines fois nous sommes consultés avant les travaux dans une commune, mais 9 fois sur 10 nos demandes ne sont pas respectées. Alors on empreinte un autre chemin mais cela rallonge les km.
Mais le plus gros problème il est avec les autres usagers de la route. Pas les routiers ni les cars mais les automobilistes. Ils ne se rendent pas compte de l’importance du matériel. Lorsque j’escorte les batteuses, nous sommes obligés de leur foncer dessus pour qu’ils s’arrêtent et nous laissent passer, c’est un convoi exceptionnel, on se range ! Les gens sont intolérants avec le matériel agricole plus que les autres convois. Nos chauffeurs veillent bien à ne pas provoquer de bouchons. Ils ne laissent pas les voitures attendre derrière. Dès qu’ils ont la possibilité de se ranger sur le l’accotement, ils le font. Mais en règle générale les gens n’ont pas de patience. Ils doublent souvent n’importe comment ».

Les consignes à respecter

La signalisation des engins agricoles pour la circulation routière est très encadrée. Certaines règles sont connues, alors que d’autres méritent d’être rappelées.
Règles essentielles
Le gabarit d’un convoi tient compte de trois caractéristiques : la longueur, la largeur et la masse. En France, ces dernières sont réglementées (seule la hauteur est libre). Cependant, attention ! La signalisation des ponts et des tunnels n’est pas systématique au-dessus de 4,3 m. La vigilance s’impose donc dès que la hauteur du véhicule dépasse 4 m.
Au-delà de 4,5 m de large, c’est un convoi exceptionnel vous devez demander une autorisation préfectorale pour circuler.
Les outils portés
Panneau carré (ou rectangulaire) ou bande rétro-réfléchissante rouge et blanche obligatoire vers l’avant (ou l’arrière) du véhicule lorsque le dépassement est compris entre 1 et 4 m. Deux panneaux quand il est compris entre 4 et 7 m (le plus éloigné du tracteur doit être à moins d’un mètre de l’extrémité de l’outil).
Pour les véhicules de plus de 12 m (ou les ensembles de plus de 18 m), il faut utiliser des catadioptres et/ou des feux de position latéraux.
Masse
La masse supportée par un essieu ne doit jamais être supérieure à 13 t.
Jusqu’à 3 000 € d’amende en cas de surcharge
Convoi dépassant les gabarits autorisés
Pour les véhicules du groupe A :
Les feux de croisement doivent être allumés et il faut prévoir des panneaux ou des bandes adhésives rouges et blanches, des catadioptres.
La vitesse est limitée à 40 km/h (ou 25 km/h selon la réception des véhicules).
La circulation est restreinte au département d’activité et aux limitrophes.

Pour ceux du groupe B :
Un véhicule doit accompagner le convoi.
Deux panneaux « convoi agricole » doivent être présents.
La vitesse maxi est de 25 km/h pour tous les véhicules.
Il est interdit de circuler du samedi 12 h (ou veille de fête) jusqu’au lundi 6 h (ou lendemain de fête) sauf lors des semis et des récoltes.
Véhicule d’accompagnement
Un ou deux gyrophare(s), obligatoire et visible à 50 m tous azimuts.
Feux de croisement allumés (le jour comme la nuit).
Un panneau « convoi agricole » vertical, visible de l’avant et de l’arrière.
Ce véhicule peut être une voiture particulière ou une camionnette, sans remorque.
Et pour l’éclairage
À l’avant : 2 feux de position, 2 feux de croisement, 2 clignotants
À l’arrière : 2 feux rouges, 2 clignotants, 2 dispositifs réfléchissants
1 plaque d’immatriculation (avec éclairage)
À bord du véhicule
Pour les chauffeurs, même pour les adhérents d’une Cuma, il faut un moyen de sécurisation en abord de circulation, donc un gilet de haute visibilité. Enfin, un éthylotest doit être présent dans la cabine du tracteur.