INAUGURATION
Le Comté, un modèle vertueux entre tradition et modernité
La Maison du Comté à Poligny a été inaugurée en grande pompe ce vendredi 2 décembre en présence de Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture, de nombreux élus locaux et des représentants de la filière. Le ministre s’est montré « très intéressé » par le lieu et par la révision du cahier des charges du Comté qui pourrait servir de modèle à l’ensemble des AOP. Face au succès de la filière, il a aussi évoqué la présence du loup et le réchauffement climatique comme autant de « grains de sable pouvant gripper des rouages bien rodés ».
Journée d’effervescence ce vendredi 2 décembre à la Maison du Comté, inaugurée avec faste en présence du ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire Marc Fesneau. Il s’agit de son second déplacement en six semaines sur le massif jurassien, après sa venue au super-comice de Pontarlier fin octobre.
Alain Mathieu, président du Comité interprofessionnel de gestion du comté (CIGC) a servi de guide au ministre, lui faisant visiter la succession de salles retraçant la fabrication du Comté, des paysages jurassiens jusqu’au fromage élaboré. « Cette inauguration est tardive mais le Comté sait prendre son temps. Depuis son ouverture au public en mai 2021, le lieu connaît un véritable succès avec déjà plus de 65 000 visiteurs », a-t-il précisé. « Nous sommes dans la fourchette haute de notre objectif ».
Tous égaux devant le cahier des charges
Marc Fesneau a d’abord pu échanger avec l’architecte du cabinet Amiot-Lombard qui a conçu le bâtiment en bois local, revisitant le bâti traditionnel des fermes du Haut-Jura et avec un représentant de l’agence Klapisch qui a imaginé la scénographie des lieux. Dans la salle suivante, il a rencontré deux éleveurs en lait AOP, Loïc Ménettrier, de Déservillers (25) et Milène Racle, du Gaec des vignes à Montain (39) qui sont revenus sur la coopération et les enjeux collectifs : « Même si les problématiques sont différentes entre les producteurs du bas et du haut du massif jurassien, nous sommes tous égaux devant le cahier des charges, » ont-ils expliqué. « En refusant de rejoindre des grands groupes, en favorisant l’humain, nous avons pris du retard, mais grâce à cela, nous sommes devenus précurseurs : les petits magasins de producteurs sont à la mode actuellement, mais il y a trente ans, nous avions déjà des fruitières ».
La visite s’est poursuivie par les salles dédiées aux fromagers et aux affineurs ou là encore, des professionnels ont pu s’entretenir avec le ministre et lui expliquer leur métier.
« Une coopération formidable »
« C’est un très beau lieu par son esthétisme, sa logique et le sens qui lui a été donné, » a déclaré le ministre à l’issue de sa visite. « Les ambiances bois sont souvent confortables. La succession des salles, des paysages à l’élevage, des fromageries aux caves, montre bien la fabrication du comté. J’ai trouvé la scénographie très moderne. Vous m’avez donné à voir, à goûter, à entendre, à sentir tout ce qui fait le caractère d’un fromage … Nos cinq sens sont convoqués pour apprécier le travail de chaque maillon de la filière. Le modèle de coopération que vous avez construit est formidable, vertueux, à bien des égards. »
Alain Mathieu, président du CIGC, a évoqué la révision en cours d’instruction à l’Inao du cahier des charges de l’AOP. « Pérenniser le succès de la filière, c’est cultiver et enrichir la confiance que les consommateurs ont dans notre fromage et le regard que la société porte sur nos modes de productions. Cela nécessite d’aller plus loin dans nos engagements et de préserver notre modèle agricole familial, clef de voûte de notre identité fondamentalement coopérative, maintenir le nombre des fermes transmissibles et de fruitières sur notre territoire, préserver nos ressources naturelles pour préserver la diversité des goûts du Comté, mais aussi participer à la restauration de la qualité des eaux de nos rivières, sauvegarder la biodiversité et lutter contre le changement climatique. Les cahiers de charges doivent intégrer des éléments de durabilité économique, sociale et environnementale. Ce n'est pas un hasard si nous en sommes à notre dixième cahier des charges ».
« Un modèle qui fonctionne mais … »
Ce cahier des charges est, pour le ministre, source d’inspiration : « C’est un paradoxe. Vous tenez les lignes, sans céder à la modernité et à la facilité, tout en les bougeant et en évoluant en même temps. Le travail fait sur ce cahier des charges est préfigurateur des questions que doivent se poser les AOP pour préserver leur durabilité dans des moments parfois difficiles et incertains ».
« Votre modèle fonctionne, avec de la valeur ajoutée bien répartie entre les différents acteurs, mais ce n’est pas parce qu’un modèle fonctionne qu’il n’est pas fragile, » a mis en garde le ministre. « Un minuscule grain de sable peut gripper des rouages bien rodés. J’en vois deux : la prédation et le réchauffement climatique. »
Enilbio, le numérique au service de l’agroalimentaire
Le matin, le ministre de l’Agriculture a visité l’Enilbio de Poligny. Cette école forme aux métiers du secteur laitier et fromager, mais aussi de l’agroalimentaire et des biotechnologies, 120 élèves et 107 apprentis, du CAP à la licence (Bac +3). La sécurité alimentaire et le contrôle qualité sont des priorités pour l’établissement.
Guidé par Thierry Berrard, directeur technique de l’école, Marc Fesneau a pu découvrir toutes les formations proposées par l’Enil, les différentes étapes de fabrication du Comté et du Morbier mais aussi les produits créés par les étudiants, comme la bière la Polinoise et les fromages Grimont et Polinois. Olga Nosur, formatrice en technologie laitière, a montré au ministre les nombreux outils numériques utilisés par les élèves et a insisté sur leur importance dans les formations dispensées.
Samuel Bitsch, directeur des Enil de Poligny et de Mamirolle, a évoqué avec le ministre les difficultés de recrutement et l’attractivité de la filière agroalimentaire. Dans les six Enil de France, le nombre d’élèves diminue d’année en année depuis 2017 alors que, rien qu’en Bourgogne Franche-Comté, 25 000 offres d’emploi ne sont pas pourvues dans l’agroalimentaire.
Saisonniers et emplois permanents
Sur la loi Pacte de 2019, qui modifie le décompte des effectifs d’une entreprise en matière de cotisation et contributions sociales, et prend en compte les effectifs réels pour les groupements d’employeurs, en faisant passer certains de TPE à PME, Marc Fesneau insiste sur leur statut particulier : « Ces groupements d’employeurs sont une forme de coopération et ont un réel intérêt pour l’agriculture. Nous avons essayé de prolonger le TODE, un dispositif qui permet l’allègement de charges sur les saisonniers, les Cuma bénéficient aussi d’un allègement. La question de savoir comment on traite les saisonniers et les emplois permanents sera évoquée durant la loi d’orientation que je vais porter devant le Parlement pour qu’on ait quelque chose de global ».
Ils ont dit
Dominique Bonnet, maire de Poligny : « La capitale du Comté est heureuse de vous accueillir. Ce noble fromage a aujourd’hui son temple qui accueille des milliers de visiteurs et valorise la première AOP fromagère de France. Ici la modernité côtoie la tradition. »
Clément Pernot : « Ce lieu symbolise l’âme jurassienne. On retrouve dans le comté toutes les qualités des Jurassiens : le travail, la passion, la patience… Ce lieu symbolise aussi la pleine réussite de la filière. Ce fromage est fait par un couple, par une vache et un homme. Mais ils connaissent chacun leurs soucis : la vache subit la prédation du loup, jusque dans la plaine. Nos terres jurassiennes ne peuvent devenir le garde-manger privilégié d’un prédateur. Et les agriculteurs voient les services publics disparaître, en particulier ceux de la santé, les urgences. »
Marie-Guite Dufay, présidente du Conseil régional (présente en visioconférence) : « La maison du comté est une vitrine de l’excellence, un monument d’histoire, de culture et de terroir dédié à tous les maillons de la filière. Éleveurs, fromagers et affineurs représentent plus de 14 000 emplois dans la région. »
Alain Mathieu, président du CIGC : « Le but de cette maison est de doter la filière d’un outil adapté pour accueillir un public de plus en plus nombreux, mais aussi pour l’activité administrative. Un projet à l’image de la filière : ce bâtiment allie tradition et modernité, il est remarquable avec humilité, il utilise des matériaux de construction locaux, en l’occurrence le bois et s’intègre parfaitement dans l’environnement ».
« L’angoisse et le traumatisme liés à la prédation ne faiblissent pas. Il y a urgence, l’élevage n’est pas à relayer au second plan. Le soutien que nous demandons ne fait pas appel aux finances publiques, ce n’est ni accessoire, ni très courant ».
Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture : « La prédation est un sujet très puissant, c’est un débat que nous devons avoir sans caricature, sans le laisser aux experts. Dire « il suffit de laisser faire la nature » est une erreur : le plus menacé n’est pas celui auquel on croit. Il y a des situations d’incompatibilité et de non-protégeablilité qui donnent aux éleveurs un sentiment de stress, d’incompréhension, d’impuissance et parfois de mépris. C’est un sujet interministériel. Ce n’est pas simple car nous sommes dans des cadres. L’allègement du statut demande du temps car il nécessite l’unanimité. Avant d’alléger, qui est une perspective d’ici un à quatre ans, il y a l’été 2023 à passer. Je ne veux pas qu’on revive la même situation, nous pouvons travailler sur les modalités de tir, le comptage, l’équipement des louvetiers, la protection du troupeau. Nous devons trouver un équilibre pour ne pas faire totalement disparaître une population de loup tout en maintenant l’élevage. Les militants qui vont sur les terrains d’autrui empêcher des mesures de protection sur un troupeau prédaté, au-delà du fait que ce soit illégal, ce n’est pas acceptable. Ces actions rajoutent de la tension et de l’incapacité de dialoguer à des situations déjà compliquées ».