GESTION DE L'EAU
L’Asia noyée sous la hausse des coûts de l’électricité

Patricia Flochon
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Conjuguée à une hausse des températures et des sécheresses à répétition, la flambée des prix de l’électricité fragilise l’Association syndicale d’irrigation de l’Ain (Asia). La prochaine campagne d’irrigation s’annonce difficile. Décryptage. 

L’Asia noyée sous la hausse des coûts de l’électricité
Michel Joux, président de la Chambre d’agriculture et Gérard Raphanel, président de l’Asia. PHOTO/ PF

« L’année 2022 restera gravée dans les mémoires, marquée par plusieurs périodes particulièrement sèches, et une campagne d’irrigation très compliquée. » C’est par ces propos introductifs que Gérard Raphanel, président de l’Asia (Association syndicale d’irrigation de l’Ain), donnait le ton de l’assemblée générale organisée le 9 février à Pérouges. Et Fabien Thomazet, le technicien de l’association, de revenir en détail sur le bilan de l’année : « Entre le 1er janvier et le 30 octobre 2022, sept mois présentent moins de 50 millimètres. Ce qui a conduit à démarrer les périodes d’irrigation avec des réserves en Plaine de l’Ain plutôt proches de la moyenne, et très basses en Dombes et ce pour la quatrième année consécutive. L’année 2021-2022 est la 16ème année la plus sèche depuis 1966. Seuls les mois de décembre 2021, juin et septembre 2022 ont été plus arrosés que la normale. À l’automne, la pluviométrie reste déficitaire de près de 33 % par rapport à la normale. » Au final, en 2022, les cultures d’hiver auront été irriguées avec quatre à six tours d’eau. Concernant celles d’été, l’irrigation débutait dès le début du mois de juin, avec une interruption fin juin, pour prendre fin globalement au 15 août (seules quelques parcelles de maïs et de soja ayant été irriguées fin août). Fabien Thomazet ajoute : « En fonction des parcelles, huit à douze tours d’eau de 25 à 35 mm ont été effectués. En Dombes, un apport d’eau a été réalisé sur les blés et trois à quatre sur les cultures d’été. Sur les cultures maraîchères, en Dombes comme en Val de Saône, ils ont été réalisés tout au long de l’année jusque mi-octobre. »
 
Flambée des prix de l’électricité : des mesures drastiques pour préserver l’avenir de l’Asia
 
Conséquence directe de la flambée des prix de l’électricité, l’Asia s’est vue contrainte de ranger trois projets en cours dans les cartons (projets Sud Dombes, Nord Plaine de l’Ain et de Balan). Pour rappel, l’achat d’électricité sur la base de l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique) consiste à acheter de l’énergie nucléaire dont le prix est fixé réglementairement à 42 €/MWh. Suite à une annonce gouvernementale du 14 janvier 2022, pour la mise en place du bouclier tarifaire, le plafond de l’Arenh était relevé de 100 à 120 TWh et le prix des 20 TWh supplémentaires fixé à 42,2 €/MWh. Fabien Thomazet de préciser : « Les prix de fourniture pour 2022 se sont finalement consolidés à 77,91 € HT/MWh en heures pleines et à 82,28 €/MWh en heures creuses pour la période estivale. Le coût du tour d’eau se situe entre 20 et 25 € HT/ha en Plaine de l’Ain et entre 27 et 30 € HT en Dombes ». Des coûts qui montent en flèche cette année, avec des chiffres qui donnent le tournis : « Dans la loi de finances du 30 décembre 2022 pour 2023, et dans le décret 2022-1774 du 31 décembre 2022, l’État met en place un amortisseur tarifaire qui prend en charge 50 % de ce qui dépasse 180 €/MWh. Les prix de fourniture pour 2023 se consolident donc à 220,11 € HT/MWh en heures pleines et à 222,31 € HT/MWh en heures creuses pour la période estivale. » Conséquence : un prix du tour d’eau de 30 mm annoncé pour cette année entre 55 et 65 € HT/ha en Plaine de l’Ain et entre 65 et 75 € HT en Dombes. Et Gérard Raphanel d’expliquer : « Dans ces conditions tarifaires, avec un niveau de consommation équivalent à 2022, le budget électricité à l’Asia sera de l’ordre de 4,1 millions d'euros (M€) en 2023. Le fonds de roulement de l’association (environ 800 000 €) ainsi que les avances de trésorerie fournies par les banques ne permettront pas d’avancer une telle somme. C’est pourquoi le conseil d’administration s’est résolu à procéder à un appel de fonds, calculé au plus juste, dès la fin janvier 2023. Afin d’essayer de préserver l’existence même de l’Asia, ceux qui ne seront pas en capacité de payer cet acompte au 1er mars ne pourront pas irrigués en 2023. On ne peut pas se permettre d’emmener toute l’Asia dans des situations irréversibles. »

Un prix du tour d’eau de 30 mm annoncé pour cette année entre 55 et 65 € HT/ha en Plaine de l’Ain et entre 65 et 75 € HT en Dombes. Photo/ PF

Les prélèvements en chiffres

Plaine de l’Ain : 

Avec 21,328 millions de mètres cubes, les prélèvements réalisés par l’Asia en 2022 en Plaine de l’Ain sont plus faibles de 5,4 M de m3 comparés à ceux réalisés en 2020. Exceptées les stations de Chazey-sur-Ain (réduite en 2018) et Lagnieu-St-Martin (créée en 2018), ces prélèvements sont globalement proches de ceux réalisés en 2016 et 2017. En 2022, 65 % de l’eau distribuée en Plaine de l’Ain par l’Asia provient du Rhône. 

Plateau de la Dombes :

Les 265 882 m3 prélevés en 2022 par l’Asia dans la nappe des Cailloutis de la Dombes sont quasiment équivalents à ceux réalisés en 2018. Ils représentent 18 % de plus que la moyenne de ceux enregistrés au cours des dix années précédentes.

Ressource en eau : des enjeux à tiroirs

L’Asia ayant choisi pour thème cette année « la gestion de la ressource en eau », l’invité du jour, Sébastien Vienot, directeur adjoint de la DDT de l’Ain, précise : « L’eau est à la croisée d’un ensemble d’enjeux, des enjeux qui évoluent dans le temps. Le changement climatique est à l’œuvre. Les courbes d’évolution des températures moyennes, que ce soit en France ou du département, montre une évolution faible jusqu’au milieu des années 90, mais on constate de manière très claire depuis 2000 une augmentation des températures très linéaire, en moyenne de 0,5 °C tous les dix ans. Cela pose la question de la ressource en eau. La recharge des nappes va se faire de manière différente avec des impacts notables ». Autres enjeux évoqués, un enjeu de santé publique, un enjeu géopolitique, des enjeux sociétaux ainsi que l’enjeu de la préservation des milieux. Selon Michel Joux, le président de la Chambre d’agriculture de l’Ain, « on sent des inquiétudes, qui sont totalement légitimes. Mais il faut que l’on puisse continuer à avoir des moyens de production, d’avoir des solutions alternatives. Des solutions, nous en avons, comme par exemple la diversité des assolements, mais il nous faut pouvoir continuer à arroser pour produire. Le niveau de consommation d’eau dans le département représente 1 ou 2 % de l’eau qui tombe. Un prix de l’électricité à 220 € le MWh, c’est trop cher ! Sur l’énergie, les aides de l’État ne suffiront pas. »