LAIT AB
Une maîtrise technique est indispensable en bio

Les Cerfrance de Rhône-Alpes et d'Auvergne ont présenté des repères économiques et techniques des exploitations laitières bio (hors signe officiel de la qualité et de l'origine : filière AOP ou IGP). Objectifs : renforcer la connaissance des situations économiques des exploitations laitières et identifier les leviers de croissance et les marges de manœuvre possibles.
Une maîtrise technique est indispensable en bio


Alors que 76 % des consommateurs de produits biologiques déclarent « acheter certains produits afin d'assurer une meilleure rémunération des producteurs », que l'essor de la filière lait bio ne se dément pas au niveau national (la collecte a augmenté de 40 % au premier semestre 2018 par rapport au premier semestre 2017), comme régional (l'évolution de la collecte entre 2017 et 2018 est de + 65 %), quels sont les résultats économiques dans les fermes d'Auvergne-Rhône-Alpes et quels sont les leviers possibles ? C'est en ce sens que les Cerfrance de Rhône-Alpes et d'Auvergne ont conduit la deuxième édition des repères économiques clés pour les exploitations laitières bio. L'échantillon de travail porte sur 86 exploitations spécialisées en production laitière ayant terminé leur conversion, soit environ 25 % des exploitations laitières bio de la région, sur leur comptabilité de 2017. Ce groupe a ensuite été segmenté selon le ratio valeur ajoutée/produits, permettant de distinguer les exploitations les plus performantes, les moyennes et les moins performantes. L'analyse de ces résultats économiques et financiers réaffirme l'importance de la maîtrise technique. « En effet, produire sous cahier des charges bio ne suffit pas en soi à obtenir de bons résultats. Une part non négligeable des exploitations certifiées est réellement fragile », précise Cerfrance. Les exploitations les moins performantes présentent de vrais signes de fragilité économique par rapport aux plus performantes : produits plus
faibles, EBE divisé par deux, efficacité économique plus faible de 10 points, revenu disponible divisé par 3, marge de sécurité négative...D'une manière générale, l'effet dilution est bien marqué.

Maîtriser son coût alimentaire

Selon Cerfrance, l'étude révèle que le premier facteur clé de performance semble résider dans la maîtrise du coût alimentaire. Du simple au double entre les plus et les moins performants. Une meilleure gestion de ce poste essentiel peut permettre un gain potentiel de plus de 91 €/1 000 litres. Le potentiel de l'exploitation est évidemment en jeu : plus la part de pâturages permanents est importante, plus il est difficile d'optimiser son coût alimentaire. De plus, il semblerait que produire de l'ensilage de maïs (7 % de la SAU) soit un choix gagnant. Les exploitations concernées sont plus « intensives » (chargement, production / vache, production / UTH) et bénéficient de l'effet de dilution et d'économie d'échelle. En parallèle, produire exclusivement de l'herbe sur l'exploitation serait un peu plus défavorable même si l'écart de performances est limité notamment en matière de marge d'orientation. « Ces arbitrages sont évidemment à ajuster au regard des potentiels agronomiques et pédoclimatiques de l'exploitation », précise Cerfrance. Quant au prix payé au producteur, l'écart entre les moins et les plus performants est de 6 €/1 000 l seulement. Par ailleurs, la productivité (à l'UTH, à la VL ou à l'hectare) n'est pas clairement corrélée à l'efficacité économique pour les exploitations moyennes ou performantes. En revanche, des effets de seuil apparaissent pour les exploitations les moins performantes qui se retrouvent majoritairement en dessous de 150 000 l/UTH, 5000 l/VL et 2500 l/ha.

Les perspectives ?

La collecte de lait bio continue sa progression avec + 15 % au 1er trimestre 2019 par rapport au 1er trimestre 2018. La GMS s'est fortement investie dans ce marché (développement des références bio, magasins spécialisés, prise de capital dans des opérateurs historiques...). Elle commence clairement à peser dans les négociations commerciales. Les perspectives d'évolution du prix payé au producteur seront vraisemblablement influencées par ce contexte ainsi que par l'équilibre offre/demande, l'influence des leaders historiques ainsi que les choix des consommateurs. Dans ce contexte, il sera utile de consacrer les excédents de trésorerie à la constitution d'une sécurité en prévision d'aléas climatiques et des incertitudes de marché et réglementaires. Ainsi, la sécurisation de l'exploitation est essentielle et passe par la maîtrise des facteurs clés, au-delà du choix entre bio et conventionnel.

Marie-Cécile Seigle-Buyat et Cerfrance Rhône-Alpes et Auvergne
 
FORMATION / Dans le Puy-de-Dôme, un groupe de producteurs échange régulièrement sur leurs pratiques et leurs résultats dans le cadre de formations organisées par la chambre d’agriculture.

“ Échanger, se comparer : un besoin naturel à l’heure de la transition ”

 

Après une vague importante de conversion en bio, la filière laitière est actuellement un peu plus sur la retenue.

 

 
Contributeur important de plusieurs AOP fromagères (saint- nectaire, fourme d’ambert, bleu d’auvergne), le Puy-de-Dôme reste un département à forte dominante laitière. Logiquement, comme bon nombre de territoires de la région, ces dernières années, il n’a pas échappé à la vague de conversion en agriculture biologique. Ainsi, d’une trentaine d’exploitations laitières en bio, le département en compte aujourd’hui une centaine. Fort de ce mouvement, impulsé par une demande croissante des filières - les coopératives Sodiaal et Biolait en tête - les besoins d’accompagnement se sont multipliés. La chambre d’agriculture a ainsi mis en place des sessions de formation régulières qui dépassent le cadre strict de la conversion. Très axées sur le volet économique, ces sessions attirent, depuis deux ans, une vingtaine de producteurs. « Nous sommes là pour les accompagner dans cette transition, leur fournir des références pour qu’ils puissent se situer », explique Marie-Claire Pailleux, référente départementale agriculture biologique. Les premières années, pour éviter que les producteurs se sentent isolés, la constitution de ce groupe a été salutaire, comme en témoigne Nicolas Brugère installé en Gaec à Manglieu : « Cela permet de se comparer, d’échanger sur des pratiques et de confronter nos résultats ».Le différentiel de prix, clé de voûte du systèmeLa formation baptisée « Je pilote mon exploitation bio avec la multiperformance pour gagner en efficacité », aborde évidemment en détail le coût de production construit avec l’EDE, mais brosse aussi un panel de sujets très large. Technique, organisation du travail, taux de chargement, gestion du sanitaire… Au terme de deux années en bio, même si des écarts subsistent entre les fermes, la majorité des producteurs a le sourire. Avec un prix du lait supérieur de 100 à 120 euros les 1 000 litres par rapport au conventionnel, pour beaucoup « le pas méritait d’être franchi ». Si certains appréhendaient la phase de baisse de rendement, elle a été atténuée par la plus-value générée. « Cette différentiation est la clé de voûte d’un système certes moins productif mais plus économe en achats extérieurs et donc plus autonome », insiste Marie-Claire Pailleux. Aujourd’hui, après deux années de sécheresse particulièrement sévères, cette question de l’autonomie fourragère est centrale. Elle est d’ailleurs abordée dans un cadre plus large, à l’échelle du réseau des fermes de référence mise en place par le pôle bio Massif central en lien avec l’Idèle. En 2017, pas moins de 22 exploitations laitières bio, dont deux dans le Puy-de-Dôme, ont contribué à fournir des données à ce réseau. En moyenne, ces exploitations ont dégagé 1,5 Smic par unité de main-d’œuvre. Un chiffre qui cache cependant de fortes disparités selon les structures. Pour celles qui étaient relativement proches du cahier des charges bio, le bonus est réel. Pour celles qui ont engagé le plus de changements, il est difficile, pour le moment, de dresser un bilan définitif. Seule certitude, « les producteurs de lait qui suivent nos formations ne regrettent pas d’être passés en bio ».
Sophie Chatenet