PASTORALISME
Maintenir une économie agricole par la pression pastorale

Margaux Legras-Maillet
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L’Assemblée générale de la Société d’économie montagnarde de l’Ain (Sema) s’est tenue vendredi 14 octobre à la salle des fêtes de Pressiat dans le Revermont, haut-lieu des premières luttes de défense du pastoralisme. L’occasion de célébrer les soixante ans de l’association et de revenir sur la problématique de l’eau sur le département.

Maintenir une économie agricole par la pression pastorale
Adrien Bourlez, président de la Sema, et son prédécesseur François Cognat ont célébré ensemble les soixante ans de l’association. Photo/MLM

« L’année 2021 a été marquée par un regain d’activité pour le pastoralisme de notre département», a rappelé Adrien Bourlez, président de la Sema, dans son discours d’ouverture. À commencer par la création d’un nouveau plan pastoral territorial (PPT) sur le massif du Bugey et du Revermont. C’est l’une des victoires emblématiques de l’association. Son objectif en 2021 était en effet de couvrir l’ensemble de la montagne de l’Ain par des plans pastoraux. Un seul existait jusque-alors sur le département, celui du PPT historique des Crêts du Haut-Jura situé à l’extrême Nord-Est du territoire. Depuis sa validation le 18 mars 2022, le PPT Massif du Bugey et du Revermont couvre désormais pas moins de 40 % de la surface de l’Ain (voir carte). Pour rappel, ce dispositif de la Région Auvergne-Rhône Alpes permet de définir des priorités en faveur des espaces pastoraux sur un territoire donné (aménagements, études, actions, etc.) pour cinq années. Celles-ci seront financées grâce à la mobilisation de fonds publics. Et le président de l’association de préciser : « Ça a été un moment important pour nous, parce qu’historiquement on n’avait pas de PPT sur cette région donc dans les arbitrages européens, elle n’était pas dans le silo des subventions. » Autre avantage pour le pastoralisme local, ce PTT va permettre à des projets individuels de voir le jour. Jusque-là sur cette zone, des plans de soutien n’étaient octroyés que dans le cadre de groupements pastoraux (GP) ou d’associations foncières pastorales (AFP). 
 
Un nouveau conseil d’administration 
 
2021 a également été une année charnière pour la Sema avec l’instauration de nouveaux statuts. Ils ont permis à d’autres acteurs de faire leur entrée au conseil d’administration de l’association. À savoir, les intercommunalités, Aintourisme, la Fédération départementale de chasse et le Parc naturel régional du Haut-Jura. « Le but, c’était de permettre aux collectivités d’être représentées à travers des commissions de territoire. Dans chacune d’elles, il y a un élu d’intercommunalité et un agriculteur », a précisé Louise Ivanez, animatrice technique. La présence des autres nouveaux membres est quant à elle une volonté politique de la Sema d’intégrer les acteurs concernés par des enjeux actuels. En préambule, Adrien Bourlez précisait d’ailleurs à ce titre : « Le maintien d’une activité de production rentable (permise par le pastoralisme, NDLR) est aujourd’hui confrontée à de nouvelles problématiques telles que le développement des sports de pleine nature ou le tourisme. Avec nos partenaires, nous continuerons à rechercher les équilibres qui permettront à ces activités de coexister. » 
L’association a profité de cette réorganisation pour clarifier ses missions en lien avec la Chambre d’agriculture. La Sema s’est ainsi spécialisée dans la réalisation d’aménagements visant à améliorer la productivité des espaces pastoraux. 

 

Le territoire du massif du Bugey et Revermont va pouvoir bénéficier de 2,3 M€ de subventions pour la réalisation de son plan d'actions et notamment pour la réalisation d'aménagements pastoraux. Carte/Sema

Reconquérir le territoire par une pression pastorale
 
Mais ce ne sont pas les seules nouveautés de la société d’économie montagnarde. À son actif, la Sema a déposé quatre dossiers pour des travaux d’aménagement qui représentent environ 94 000 €, et suivi 19 dossiers en cours. L’année dernière, elle a par exemple aidé au débroussaillage, à l’achat de clôtures sur l’AFP de Chavornay. Ces travaux ont permis à des éleveurs d’accéder à des pâturages sur des parcelles alors délaissées car inaccessibles (5 ha au total). « Pour nous aujourd’hui, tout l’enjeu est d’avoir une pression fourragère, une pression pastorale la plus forte possible. Concrètement, il faut charger en bovins et reconquérir l’espace si tout se passe bien. C’est un enjeu d’économie agricole », a souligné Adrien Bourlez. Et Robert Serpol, président de l’AFP d’ajouter : « Il y a aussi un enjeu de sécurisation des villages vis-à-vis des incendies ». Autre cas concret sur l’alpage de Narderans à Thoiry. La Sema a accompagné la réhabilitation d’un sentier très accidenté situé en zone protégée Natura 2000. Enfin, l’année s’est soldée par la création de deux AFP sur le territoire : celles de Germagnat et de Grand-Corent. La première s’étend sur 128 ha et réunit 85 propriétaires ; la seconde sur 104 ha avec 71 propriétaires. 
 
Vers la création de collectifs pastoraux
 
En 2022 et pour les années à venir, la Sema poursuit sa mission d’accompagnement des AFP et GP qui seront notamment bientôt confrontés à la réforme de la Pac pour le calcul des DPB (Droits à paiement de base). L’association souhaite également se consacrer à de nouvelles priorités. Entre autres, rencontrer les offices de tourisme pour mieux valoriser le pastoralisme local et sensibiliser le grand public. Mais aussi, la création de collectifs pastoraux, une nouveauté dans l’Ain. Ces derniers regroupent des éleveurs sous forme d’association loi 1901 gérant individuellement des espaces pastoraux (pas de mélange de troupeaux, foncier et Pac en nom propre), mais avec une gestion concertée. Pour l’heure, il n’en existe aucun sur le département, mais la Sema travaille aujourd’hui à leur déploiement. 

Les structures pastorales collectives de l’Ain

21 AFP, créées entre 2014 et 2021 avec :
-        3 471 ha et 10 977 parcelles ;
-        1 752 propriétaires. 
17 GP avec : 
-        4 223 ha où pâturent 3 470 bovins ;
-        119 membres actifs ;
-        5 bergers employés.  

Des aménagements de stockage pour faciliter l’abreuvement

Après un été marqué par la sécheresse, la Sema a longuement évoqué la problématique de l’accès à l’eau en pâturage lors de son assemblée générale. Dans l’Ain, l’accès à l’eau en estive ou au pâturage se fait de trois façons : grâce à des goyas naturels ou bâchés, des points de captage ou par d’autres aménagements de stockage tels que les citernes enterrées. Lorsque les éleveurs ne sont pas équipés, ils charrient eux-mêmes l’eau, parfois chaque jour sur des dizaines de kilomètres. Mais le charriage a un coût et il n’est pas négligeable. Thomas Niogret, conseiller à la Chambre d’agriculture, a réalisé une étude à ce sujet en prenant le cas concret d’un élevage de 20 vaches nécessitant 60 rotations (une tous les deux jours) avec une tonne de 2 000 litres. D’après ses estimations, le coût annuel de charriage de l’eau s’élève alors à 8 544 € pour un trajet de 30 km aller-retour, sans compter le coût humain en temps et en stress. C’est pourquoi, la Sema appuie aujourd’hui pour que des aménagements de stockage se développent sur le territoire, notamment dans le cadre des PPT qui donnent accès à des financements à hauteur de 70 % des coûts. Une solution pour laquelle a opté David Maréchal, président de la Sica pour les pâturages du Mont Myon, site classé à cheval sur les communes de Courmangoux et Val Revermont. Il y a fait creuser un goya bâché de trois mètres de profondeurs pour un volume de 650 m3. Pour ce projet de 50 000 €, en partie financé grâce aux subventions, les communes ont dû réviser leur PLU. Un mal nécessaire pour garantir la pérennité de l’élevage, lui-même garant d’une activité touristique sur le sommet. Par gravité, le goya alimente tous les pâturages en contrebas et a permis cet été d’abreuver en continue les 80 bovins du cheptel. Auparavant, le salarié de la Sica montait chaque jour 3 000 litres d’eau à raison de trois heures par jour.