ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES
Audrey Bourolleau : « Il n'y a pas de changement de paradigme »

Margaux Legras-Maillet
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Loi d'avenir pour l'installation et la transmission, chèque alimentaire, « virage écologique » d'entre-deux-tours... Dans un entretien réalisé le 19 avril, la coordinatrice du groupe agriculture et alimentation de la campagne d'Emmanuel Macron, Audrey Bourolleau, livre les derniers détails du programme agricole du président-candidat à la présidentielle.

Audrey Bourolleau : « Il n'y a pas de changement de paradigme »
Audrey Bourolleau, coordinatrice Agriculture de la campagne LREM. Photo/DR

Le programme du candidat Emmanuel Macron est-il définitivement ficelé ?

Audrey Bourolleau : « L’intégralité des mesures ont été présentées, en deux temps. L’idée était d’abord de donner une vision et de réassurer les acteurs sur les transitions et les moyens nécessaires pour les mener. Cela a été fait entre le Salon de l’agriculture, le Grand oral et les dernières prises de parole du Président de la République, avec trois angles majeurs : les enjeux de souveraineté, l’accompagnement des transitions et la loi d’avenir pour préparer les futures générations. Le tout dans un contexte particulier, celui notamment de la crise ukrainienne qui témoigne de l’importance stratégique et géopolitique de l’agriculture. Les dernières mesures, présentées au Caf, relèvent plutôt de la simplification. Elles sont beaucoup remontées lors des auditions de notre groupe de travail. L’objectif est d’éviter les surtranspositions, pour un passage de toute nouvelle mesure devant le Corena. »

Durant l’entre-deux-tours, Emmanuel Macron a évoqué l’idée d’un « virage écologique ». Quelle incidence sur l’agriculture ? Cela peut-il réorienter le Plan stratégique national (PSN), la déclinaison de la future Pac ?

A.B. : « Il n’y a pas de changement de paradigme, nous resterons dans la ligne de l’accompagnement des transitions, pas d’interdiction sans solution. Le discours de Marseille pose un enjeu de méthode, celui de la planification pour accompagner tous les secteurs dans les transitions. L’agriculture a un rôle à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique par la capacité par exemple de stocker du carbone dans les sols. Ce qui a été annoncé sur la planification énergétique va aussi bénéficier aux agriculteurs. Deux tiers des fermes vont produire de l’énergie d’ici quelques années. »

Quelles mesures sur les énergies vertes ? Peu de choses concrètes ont été annoncées en matière de biogaz, alors que l’on se serait attendu à des mesures rapides après la guerre en Ukraine.

A.B. : « Ce sera tout l’objet des prochains appels à projets qui sont à venir dans des déclinaisons de planification écologique. Mais une campagne, c’est donner une orientation, ce n’est pas entrer dans le comment. Les énergies vertes oui, mais cela passera par de la concertation. Il faut rappeler que beaucoup de choses ont déjà été initiées dans le quinquennat précédent. La loi Agec, la loi Egalim 2, la loi Climat et résilience entrainent déjà des changements forts à opérer. Il s’agit déjà de les mettre en œuvre. Nous sommes sur une ligne de crête sur laquelle il faut rassurer du cap, sans rajouter des surcouches de législation. Il faut de la visibilité pour les acteurs, c’est qui est notamment ressort de la centaine d’acteurs que nous avons auditionné dans le cadre du groupe de travail. »

Une « loi d’orientation agricole » a été promise par Emmanuel Macron ? Quel serait son périmètre ?

A.B. : « Cette loi d’avenir porte sur l’installation et la transmission. L’idée est de mettre en place d’une politique d’installation pour renouveler les générations et installer 20 000 nouveaux agriculteurs par an. Il n’y a pas encore de délimitation précise des contours de la loi. Mais l’idée est d’ouvrir sans tabou, à 360 degrés, l’ensemble des sujets qui puissent servir l’installation. C’est une entrée qui peut toucher aux sujets du foncier, des cédants, des diagnostics carbone… »

Pourquoi donner la priorité à l’installation dans votre programme ? L’agrandissement n’est-il pas un gage de compétitivité ?

A.B. : « La thématique du revenu a été au cœur du premier quinquennat. Il faut poursuivre cette bataille et consolider les agriculteurs en place, mais aussi préparer l’avenir. Sur la politique d’installation, le syndicat Jeunes agriculteurs dit qu’il y a des simplifications à faire pour être plus efficace, pour mieux accompagner les nouveaux entrants. C’est dans cette optique que nous voulons travailler. Nous voulons aussi mettre en œuvre le fonds de portage du foncier qui a été annoncé. L’objectif n’est pas seulement l’installation, mais aussi la transmission, l’accompagnement des cédants, que leurs exploitations aillent à l’installation ou à l’agrandissement. Bien transmettre c’est avoir quelque chose à valoriser économiquement. »

Rien dans le programme sur la séparation vente-conseil, qui est en œuvre depuis janvier 2021 et qui est un échec sur le terrain.

A.B. : « Le dernier décret a été publié il y a quelques mois. Il y a le temps de la mise en œuvre sur le terrain, il faut laisser encore un peu de temps sur l’audit et l’analyse. Nous verrons si elle a été efficace. »

Face au Parlement, il y a quelques mois, Julien Denormandie évoquait l’idée de travailler davantage sur la nutrition pour un éventuel second mandat. De quoi s’agit-il ?

A.B. : « C’est notamment l’idée du chèque alimentaire. L’idée était de garantir que l’on n’ait pas demain une alimentation à deux vitesses dans notre pays et de garantir une approche nutritionnelle pour tous. Nous avons commencé à le faire avec le marquage de l’origine des produits, il faut poursuivre avec le chèque alimentaire. »

Que mettre dans ce chèque alimentaire ? Peut-il être un outil de relance de la bio, qui connait de graves crises ?

A.B. : « Ce doit d’abord être un outil d’accès à tous à une alimentation de qualité. C’est la vision du groupe de travail agricole : on a besoin d’une mesure sociale, la Covid a accentué ces inégalités, notamment chez les plus jeunes. Ce n’est pas à un groupe de travail de campagne de rentrer dans les modalités de distribution, l’éligibilité de tel ou tel produit.  Dès qu’on prend une décision comme celle-ci, il y a des conséquences pratiques. Cela doit se faire en concertation avec les acteurs. »

Faut-il faire un rapport avec le plan fruits et légumes, annoncé dans le cadre du plan de résilience et dont on ne sait encore rien ?

A.B. : « Il y a effectivement un sujet à éclaircir sur les politiques européennes de promotion des fruits à l’école. Pour atteindre une alimentation de qualité pour tous, il y aura de nombreux leviers, dont les plans de filières – et les fruits et légumes peuvent être un levier – mais il y a aussi les plans alimentaires territoriaux. Ils ne contiennent pas tous un volet social. C’est quelque chose sur lequel on peut travailler. »

Ce volet nutritionnel touche-t-il la restauration collective ?

A.B. : « La restauration collective est un dossier qui a déjà été travaillé lors du précédent mandat, avec nos objectifs d’approvisionnement plus locaux et plus durables. Nous voulons aussi poursuivre une tarification sociale des cantines, pour faire face aux stratégies d’évitement des cantines chez les familles modestes qui n’ont pas accès à la cantine. La réduction de la viande paraît être un sujet tabou au ministère. Pourtant le Giec recommande d’actionner ce levier pour protéger le climat, tout comme 800 chercheurs pour baisser les tensions sur le marché des grains. Sur l’élevage, nous avons mis en avant les clauses-miroirs, rappelé que nous avons des systèmes d’élevage herbagers qui peuvent avoir des bénéfices pour le climat, et prôné l’idée de « manger mieux » des viandes de qualité. Mais ce que nous observons, c’est que c’est la diminution de la viande qui permet de passer des coûts de repas accessibles à tous. Quand on dit que l’on ne veut rien faire, ou qu’on est contre la viande, c’est faux, ce n’est pas ça. Nous sommes dans une stratégie d’accompagnement.  Il ne suffit pas de mettre des objectifs de bio ou local pour que cela se fasse. Il faut là encore accompagner à la relocalisation de l’approvisionnement. Le marquage de l’origine des viandes va permettre de faire bouger les familles, tout comme les aides aux plans alimentaires territoriaux. »

Est-ce qu’il n’y a pas un risque à ce que l’effort de manger moins de viande soit fait davantage à Roubaix que dans le 16e arrondissement de Paris ?

A.B. : « Il existe une tarification sociale, que nous voulons faire perdurer pour les foyers les plus modestes, mais l’Etat n’est pas toujours décisionnaire. Il y aura le chèque alimentaire, mais aussi le plan stratégie pauvreté, avec notamment l’accompagnement des familles monoparentales. »

Est-ce que le poste de ministre de l’Agriculture vous intéresserait ?

A.B. : « J’ai souhaité accompagner ce groupe de travail par fidélité et loyauté auprès du Président. Je pense qu’il est important que la société civile puisse aussi s’engager. Après cette campagne, je resterai à la tête d’Hectar, qui est mon projet. »

Propos recueillis par Mathieu Robert