Entre l’augmentation des prix des machines agricoles, celui des matières premières et pour faire face aux changements climatiques, de nouvelles formes de mutualisation de matériel agricole voient le jour. Pour réduire à la fois les coûts et le stress qui pèsent sur les agriculteurs, des plateformes d’entraide et des fermes collectives se développent.
« L’idée d’une ferme collective, c’est que le poids des investissements liés à la production ne soit pas porté par un seul agriculteur », explique Nicolas Gohier, membre de « La clef des sables », ferme collective située à Saint-Lattier (Isère). « Fonctionner collectivement, c’est s’organiser d’une toute autre manière et pallier les imprévus », explique-t-il. Créée lors de la reprise d’une ferme de 50 hectares, six agriculteurs y sont désormais installés à titre principal. L’objectif étant d’en accueillir deux nouveaux d’ici deux ans. La ferme est historiquement en noix et en grandes cultures avec transformation (farine, pain, huile). Elle s’est développée en maraîchage diversifié, petits fruits, plantes aromatiques et médicinales, mais également en vaches laitières et transformation fromagère. « Les membres actuels sont installés en tant que jeunes agriculteurs », explique Nicolas Gohier, en place depuis 2019, avant la création de la ferme collective un an plus tard. « Le réel intérêt de cette ferme est de pouvoir compter les uns sur les autres en cas de panne, d’imprévu, de pic de travail, ou en fonction des aléas climatiques », assure-t-il. « Je m'occupe de la partie nusciculture, j’ai donc de grands pics de travail lors de la saison des noix. Pendant cette période, les membres de la ferme me soutiennent au titre de l’entraide agricole. Par la suite, on rééquilibre cette aide grâce au partage du matériel agricole. » La clef des sables compte une palette riche en matériels dont les ateliers de maraîchage et petits fruits peuvent notamment bénéficier sans avoir à investir. Par ailleurs, cette entraide permet de réduire les risques : « l’année 2021 a été très pluvieuse, les maraîchers ont fait une très mauvaise année. Le fait de ne pas avoir investi dans des équipements onéreux leur ont permis de limiter la casse », affirme Nicolas Gohier.
S’entraider pour réduire les risques
Du côté de l’entraide, il existe également des plateformes d’échange de matériel agricole. Créée en 2017 en Côte d’Or, Agri-échange en est un bon exemple. « C’est une plateforme d’échange de matériel, de travaux, de matières premières, sans obligation de réciprocité. Chaque adhérent a un compte, qui peut être crédité ou débité, selon s’il rend un service, prête du matériel, ou si au contraire, il en bénéficie. Cela permet d’échanger en toute confiance, sans sortir de trésorerie », explique Catherine Rabiet, co-fondatrice de la plateforme. C’est son frère, Jean-Michel Rabiet, agriculteur céréalier en Haute-Marne depuis 1986, qui a souhaité actionner le levier de la baisse des charges de la mécanisation, après un constat alarmant des coûts de revient des agriculteurs. Ce projet a donné naissance à la banque d’entraide. « Cela permet d’être dépanné en cas de problème, d’éviter l’achat de certaines machines, ou de faciliter les tests de nouvelles cultures, en réduisant les risques », explique la co-fondatrice. « On a parfois des fenêtres de tir météo très courtes : deux jours pour semer ou pour moissonner, on tombe en panne, c’est la catastrophe. Avec agri-échange, des agriculteurs vous prêtent du matériel et vous aident même parfois à réaliser votre chantier. » Le réseau compte actuellement 250 agriculteurs adhérents sur la plateforme et plus de 1500 inscrits gratuitement. « Des réseaux émergent en Saône-et-Loire, en Haute-Marne, en Côte-d’Or, dans l’Allier, la Nièvre ou encore dans le Loiret ou l’Isère. Un réseau peut démarrer n’importe où, sous l’impulsion d’un agriculteur qui en a besoin », précise Catherine Rabiet. Daniel Desvignes, éleveur bovin allaitant dans l’Allier, fait partie du réseau depuis cinq ans. « Dans mon métier, il faut être présent tout le temps. Nous avons beau avoir du matériel performant, nous ne sommes jamais à l’abri d’un problème. Lorsque l’on prévoit 30 à 40 hectares de récolte par jour, on n’anticipe pas toujours une panne : si ça tombe un vendredi, on doit attendre la fin du week-end pour pouvoir récupérer son matériel », explique l’éleveur de 56 ans. « C’est un soulagement de savoir que dans ce cas, on peut être dépanné dans la journée », témoigne Daniel Desvignes. Une entraide qui permet d’importantes économies et de capitaliser sur ses besoins agricoles en temps réel : « nous avons tendance à adapter nos cultures à notre matériel. Maintenant il est possible d’adapter notre matériel à nos besoins culturaux ». Un concept qui prend tout son sens avec la conjoncture économique qui touche l’agriculture, mais également les changements climatiques qui impactent de nombreux rendements.
Charlotte Bayon