BRESSE
Aire de captage Péronnas – Lent : Grand Bourg agglomération veut préempter des terres agricoles

Margaux Balfin
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FONCIER/ Le 18 décembre dernier, le conseil communautaire de la CA3B a voté, à 101 voix pour et une voix contre, le projet de protection de la ressource en eau du bassin de captages en eau potable de Péronnas et Lent. Dans le cadre de son plan d’actions, la collectivité a décidé d’user de son droit de préemption de terres agricoles pour instaurer des baux ruraux environnementaux. 

Le projet a été présenté par Jonathan Gindre, vice-président délégué à l’eau et à l’énergie, lors du dernier conseil communautaire de l’année 2023*. Un plan d’actions vendu comme le meilleur moyen de protéger la ressource en eau potable de l’aire de captage de Péronnas-Lent qui alimente 48 000 personnes. L’activité agricole du secteur, génératrice de « résidus de pesticides » est clairement mise en cause dans l’altération de la qualité de l’eau. « Le bilan du premier programme d’actions agricoles (2016-2021) est mitigé. Si certaines actions ont bien fonctionné, la mobilisation des agriculteurs a été très inégale et les résultats en matière de qualité de l’eau ne sont pas à la hauteur », décrie Jean-François Debat. Par ailleurs, les mesures curatives sont devenues trop onéreuses** et insuffisantes, souligne le président de la collectivité. 

La fin justifierait-elle les moyens ? La doxa purgative de la CA3B veut éradiquer le problème à la base : pas de pollueur, pas de pollution. Simple. Celle-ci envisage donc d’user de son droit de préemption de terres agricoles pour instaurer des baux ruraux environnementaux (BRE) et des obligations réelles environnementales (ORE) autant que faire se peut. Concrètement, après préemption, les exploitants repreneurs auront obligation de respecter les objectifs des BRE et ORE imposés par la collectivité. Il s’agirait aussi de soutenir le développement de filières à bas niveau d’intrants (BNI)/ et ou bio en cultures. À noter qu’un droit de préemption s’applique exclusivement dans le cadre d’une vente.  

1 720 ha de surface agricole utile concernés

Sur les 4 800 ha de la zone d’aire de captage, 1 720 ha de foncier agricole sont concernés, de même qu’une quarantaine d’exploitants dont 16 représentent 80 % de la SAU. Et la communauté d’agglomération spécule déjà sur leur âge de départ à la retraite : 40 % des exploitants ayant plus de 20 ha sur l’aire d’alimentation de captage ont plus de 56 ans, quatre exploitations pourraient donc être mises à la vente dans les dix prochaines années. « On ne va pas acheter 48 km2, on parle de quelques dizaines d’hectares, progressivement au moment de cessions », garantit Jean-François Debat. 

Pas de quoi rassurer un Alain Chapuis ulcéré : « Là-dessus on ne pourra plus mettre de cultures si j'écoute ce qui a été dit puisque l'on risque de repolluer, donc on va travailler sur de l'herbe, on va faire du pré, on va faire du foin. Là, il va falloir nourrir des vaches. Vous n'étiez pas trop pour parce que cela dégage du méthane et que ce n'est pas trop bon ni pour l'environnement ni pour la santé humaine mais, croyez-moi, 1 720 hectares de foin cela en fait beaucoup. » Seul à avoir voté contre le projet, le maire de Saint-Étienne-du-Bois invite plutôt à « travailler intelligemment et simplement avec les agriculteurs » avant de passer par le droit de préemption. 

Projet ambitieux, budget parcimonieux 

Côté budget, le conseil communautaire a voté plusieurs enveloppes pour 2024-2026 en validant le projet : 320 000 à 480 000 € par an pour l’acquisition d’exploitations ; 14 400 € par an d’études et de prestations ; 6 000 € par an pour le financement d’étude pour le développement de filières BNI existantes et 8 000 € par an de rémunération des ORE pour les propriétaires. Sur ce dernier point, la collectivité n’a pas encore statué sur les modalités d’attribution (8 000 €/ha ; 8 000 €/exploitant ; indexation sur le prix du foncier sur le marché, etc.). Difficile d’imaginer que cela suffise à compenser les investissements qu’engageront les agriculteurs pour respecter les baux ruraux et obligations environnementales. D’ailleurs, la collectivité n’a pas non plus établi les règles qui seront induites par les BRE et ORE. Quant à la question de savoir si ces nouvelles contraintes risquent de faire baisser le prix du foncier agricole, Jonathan Gindre admet que pour l’instant les élus ne se sont pas penchés sur la question. « Aujourd’hui nous n’en sommes pas là. Nous essayons de définir une méthode de travail », souligne-t-il.

« Ce n’est pas cavalier »

Une méthode pour le moins cavalière ? « Ce n’est pas cavalier, puisque nous ne faisons pas cavalier seul », rétorque l’élu. Jonathan Gindre rappelle par ailleurs que faire évoluer les pratiques agricoles sera un travail de longue haleine. « Nous en avons bien-sûr conscience et ce n’est pas le fait de préempter quelques parcelles qui changera les choses », insiste-t-il. Plusieurs partenaires****, dont la Chambre d’agriculture, la FDCuma et la Safer seront sollicités pour accompagner la transition des agriculteurs vers des pratiques plus vertueuses au sens de Grand Bourg agglomération. La collectivité a par ailleurs voté une enveloppe budgétaire supplémentaire de 120 700 € par an d’aides aux agriculteurs, investissements dans du matériel et prestations externes. 

Du reste, force est constater que plus que d’assurer ses arrières, la CA3B prend les devants. Prochaine étape, l’autorisation de recourir au droit de préemption qui doit impérativement passer par la préfecture. La demande a été récemment déposée et la collectivité attend le retour des services de l’État. En parallèle, des réunions sont organisées avec les agriculteurs de la zone pour étudier la réalisation du projet. 

 

* Dans le cadre de la délibération-cadre Agriculture-Alimentation 2024-2026.

**1 à 1,5 million d’euros par an. 

***Droit introduit par l’article 118 de la loi n°2019-1461 du 27 décembre 2019, pour la préservation de la ressource en eau destinée à la consommation, avec la création d’un nouveau régime de préemption dans le Code de l’urbanisme. À noter que ce droit ne peut s’appliquer qu’en cas de mise en vente et dès lors que l’aire de captage est classée comme « prioritaire », ce qui est le cas pour Péronnas-Lent. 

****Les coopératives, l’ADDEAR, l’Adabio, Mission haies, les syndicats de rivières, Alter agro conseil, Alimentec, des EPCI, la Safer, Terres de lien, la Banque des territoires, etc. 

L’avis des agriculteurs

Aimé Nicolier, vice-président délégué à l’agriculture, et Jonathan Gindre ont rencontré les agriculteurs de la zone d’aire de captage le 12 janvier dernier. Agriculteur à Lent, Étienne Fauvet-Messat est l’un d’entre eux. S’il partage la volonté de l’agglomération de faire évoluer les pratiques agricoles, c’est en revanche « énervé » qu’il a accueilli la présentation du projet. « Ils veulent maîtriser le foncier, et nous, on ne laissera pas faire ». Lui et quelques autres agriculteurs de la zone étudient aujourd’hui la possibilité d’une opposition plus organisée. 

Quant à Gilles Brenon, éleveur à Saint-Martin-du-Mont et élu à la Chambre d’agriculture n’est lui non plus pas fermé aux évolutions. Il s’interroge en revanche sur la viabilité des systèmes qui seront sous la houlette. Et d’avertir : « Ce sera donnant-donnant. Nous devons construire ensemble ou je me mettrai en travers. N’oublions pas que ce sont les agriculteurs qui épandent les boues des stations d’épuration. »