SOCIETE
L’engagement varié et dynamique du monde agricole

Treize millions de Français (Étude de France Bénévolat*) ont choisi d’intégrer le monde associatif, soit 25 % de la population nationale. Dans le monde rural, les agriculteurs sont nombreux à être investis dans une association. Mais l’engagement des citoyens ne passe pas que par les associations, il peut se manifester aussi dans d’autres types d’organisations comme la participation à la vie politique locale, l’implication dans les coopératives ou encore les services de secours et de lutte contre les incendies.
L’engagement varié et dynamique du monde agricole

S'il est facile de trouver des chiffres généraux sur l'engagement associatif en France, il est bien plus difficile d'en trouver sur l'engagement particulier des agriculteurs. Pourtant, ils font partie de ces professions où l'implication bénévole représente de nombreuses heures. Selon une étude réalisée par l'Insee, les agriculteurs se distinguent par une propension plus importante à s'engager que les ouvriers, les employés, les professions intermédiaires et les cadres supérieurs. « Les paysans n'ont pas beaucoup de temps en dehors de leur travail mais historiquement, ils ont très souvent l'habitude de s'entraider et d'agir collectivement », explique Dan Ferrand-Bechmann, sociologue et professeure émérite à l'Université Paris 8. C'est pour cette raison qu'ils n'hésitent pas à s'engager de manière individuelle, sans forcément intégrer une structure associative. « J'ai rencontré beaucoup de militants coopératifs investis dans la vie locale de leur village. Ils prennent part très souvent à l'animation des fêtes et participent aux chorales. Tout le monde travaille ensemble dans un esprit d'action communautaire », reprend la sociologue, ayant réalisé une partie de ses études sur l'engagement en milieu rural.

 

Selon l’Insee, les agriculteurs se distinguent par une propension plus importante à s’engager que les ouvriers, employés, les professions intermédiaires et les cadres supérieurs.

Le bénévole, acteur de son territoire

Les motivations des bénévoles sont variées : elles sont souvent de l'ordre du plaisir, de la recherche de l'éthique et du sens mais aussi du lien social. C'est exactement ce qui a motivé Thierry, éleveur laitier à Santans (Jura), à s'engager dans une association de réinsertion en milieu rural spécialisée dans le paysage. Celle-ci aide les personnes en fin de droits de couverture sociale ne pouvant plus prétendre au chômage, à retrouver un emploi. « Je voulais être acteur de mon territoire. Nous aidons des hommes et des femmes à reprendre confiance en leurs capacités, à retrouver le goût du travail et à s'épanouir dans leur métier », affirme le trésorier de l'association, ancien président de groupement de développement agricole. Il a décidé de consacrer son temps à cette structure associative, il y a une quinzaine d'années. « Ce qui me plaît, c'est que je rencontre des personnes qui ne viennent pas forcément du monde de l'agriculture. Elles ont tout âge et viennent de tous horizons. Elles sont parfois même en reconversion professionnelle. Nous les accompagnons dans leur projet, les aidons dans leur déclaration d'impôts, simulons des entretiens d'embauche avec des entreprises locales qui viennent jouer le jeu », reprend-il.

S'engager pour d'autres paysans

Laurent Barras, vice-président de l'Afdi Aura est bien placé pour le savoir. Cela fait presque 50 ans que cette association de solidarité internationale accompagne les agriculteurs des pays de l'hémisphère sud à développer et à structurer leur agriculture. « Nous sommes une sorte de passerelle économique. Grâce à nos connaissances et à notre réseau nous leur apportons les clés pour qu'ils puissent vivre de leurs productions », explique-t-il. La genèse du premier projet dans lequel s'investit cet ancien vice-président de JA de Haute-Savoie voit le jour en 1984 à l'île Maurice. Suite à une première mission d'identification, l'Afdi se rend sur place pour étudier toute la filière lait mauricienne. « Nous nous sommes rendu compte qu'il y avait beaucoup de vaches mais qu'à une certaine période de l'année leur lait n'était pas vendu. La consommation ne suivait plus. Nous avons alors aidé les agriculteurs locaux dans toutes les étapes, de la transformation à la vente, dans une politique d'organisation professionnelle agricole », explique-t-il. Nicole Bruel, présidente de l'Afdi Aura et ancienne maraîchère à Andrézieux-Bouthéon, s'est, elle, investie dans un projet de jardins collectifs dans la région de Kaffrine au Sénégal. « Mon engagement passe par la volonté de maintenir une agriculture familiale, en empêchant l'exode rural dans les pays défavorisés. J'ai toujours été tournée vers les autres. J'aime entreprendre », ajoute cette femme qui n'hésite pas à multiplier ses engagements en dehors du monde agricole. Elle est également élue dans sa commune à la vie associative et aux animations.

Sourire arraché, mission accomplie

Autre femme, autre histoire. Celle de Chantal Saget, ancienne présidente de la chambre d'agriculture du Jura, aujourd'hui présidente de l'association d'aide à domicile en milieu rural (ADMR) de Montmirey-le-Château (Jura). S'occuper des autres fait partie de son quotidien depuis son plus jeune âge. Aînée d'une fratrie de sept, elle s'est occupée de ses frères et sœurs pendant de nombreuses années. Alors, lorsqu'on est venue la chercher pour prendre ces fonctions, elle n'a pas hésité. « La plupart de nos clients sont des personnes âgées dépendantes. Lorsqu'on arrive à leur arracher un sourire, on a accompli notre mission », s'exclame-
t-elle. Une gratification que le professeur Dan Ferrand-Bechmann résume en une simple expression : « don et contre don ». « On s'aide soi-même en aidant les autres. C'est le plaisir d'être soi et de se sentir exister », conclut-elle.

Alison Pelotier

* France Bénévolat est une association d'utilité publique qui a pour vocation le développement de l'engagement bénévole associatif.

 

 

 

Conjuguer son métier d’agriculteur et sa fonction de maire

Les agriculteurs comptent pour moins de 2 % de la population active en France mais ils sont pourtant particulièrement bien représentés et investis dans les collectivités locales.

13,7 % des maires sont agriculteurs. À Freycenet-la-Cuche, en Haute-Loire, Angèle Rochette, éleveuse de vaches laitières, est à la tête de sa commune depuis deux mandats déjà. Elle a décidé de se lancer dans cette aventure lorsque son mari, après avoir passé 19 ans dans le conseil municipal a décidé d’arrêter. Au départ, elle ne voulait pas être maire, elle souhaitait juste participer à la vie de sa commune. Mais suite à un concours de circonstances, elle s’est retrouvée élue maire. « Mon mari m’avait fait promettre de ne pas être maire pour ne pas empiéter sur notre vie de famille et sur le travail de l’exploitation. J’ai demandé conseil à mon père pour prendre une décision et il m’a dit que si les gens m’avaient élu c’est parce qu’ils avaient confiance en moi. Je n’ai pas regretté d’avoir accepté le poste puisque je me suis représentée par la suite. » Grâce à cet engagement l’agricultrice vit une expérience très enrichissante, mais également très prenante. Freycenet-la-Cuche est une petite commune relativement tranquille mais selon Angèle Rochette, il faut tout de même être prêt à prendre des responsabilités. En 2008, elle a d’ailleurs vécu une période assez compliquée avec ses jeunes enfants, à qui leur mère manquait. Tous les 15 jours elle a une réunion avec la communauté de commune, sans compter le travail quotidien qui lui prend environ une demi-journée, avec tous les imprévus qui nécessitent des horaires souples. Avec une exploitation de 80 ha et une trentaine de vaches laitières avec la traite matin et soir, ce n’est pas toujours simple. « Être maire, c’est une fonction pas un métier, il faut donc aussi savoir mettre une barrière sinon on se fait bouffer ! » À la fin de son deuxième mandat, l’agricultrice n’est d’ailleurs pas certaine de rempiler pour un troisième mandat.
Elle retient cependant une chose de cette expérience : «  Il est important que des gens originaires de la région s’investissent dans la communauté, car ils sont les mieux placés pour comprendre ce dont les habitants ont besoin. Dans une région qui se vide de ses habitants il faut rester solidaire. C’est pourquoi j’incite les habitants à s’engager. En général, quand les parents s’investissent les jeunes le font aussi plus tard. »

« Être maire cela demande un grand engagement personnel »

Daniel Martin, céréalier et maire de la commune de Blyes dans l’Ain.

 

À 67 ans, Daniel Martin est proche de la retraite. Agriculteur céréalier depuis 1972, il a eu des postes à responsabilité aux seins d’organismes agricoles (FDSEA, JA, chambre d’agriculture, président national des Irrigants de France). Dans la continuité de ces engagements, en 2001, il a eu envie de participer à la vie de sa ville. Il a été élu conseiller municipal et adjoint au maire. « Mon objectif était de représenter le monde rural car il n’y avait plus d’agriculteurs au conseil depuis longtemps. » En 2014, il est élu maire avec une large majorité, et devient également responsable de la communauté de commune et responsable du parc industriel de la plaine de l’Ain. Les questions de gestion de territoire l’ont toujours passionné, mais lui ont également demandé des sacrifices. Depuis les années 90, il s’est toujours organisé. Il a embauché un salarié pour le remplacer sur l’exploitation, pour les travaux physiques, mais a continué à prendre les décisions avec sa femme et son frère. « Être maire et agriculteur cela signifie que bien souvent il faut faire face aux grands moments de décisions qui se télescopent dans l’année (vote du budget, semis, moissons…). Je tenais avant tout à rester un agriculteur et un chef d’entreprise. J’ai dû jongler toute ma vie avec les horaires et courir après le temps. Je ne peux pas nier que le temps consacré à ma famille et à mes loisirs en a pâti. »  Pour autant, pour Daniel Martin, c’est une satisfaction personnelle de pouvoir participer à la gestion de la commune et de collaborer avec différentes personnes. C’est également un grand moyen pour faire passer les préoccupations du monde agricole et de se connaître mutuellement entre différents métiers. « Être maire cela demande un grand engagement personnel. Mais pour être un bon maire, il faut savoir dépasser ses ambitions personnelles pour atteindre des ambitions communes. »

Manon Laurens