Zones de non-traitement
Sous pression, le gouvernement va-t-il tenir bon ?

Les projets d'arrêtés et de décret sur les zones de non-traitement (ZNT) et les chartes de bon voisinage ont été mis en consultation depuis le 9 septembre.
Sous pression, le gouvernement va-t-il tenir bon ?

Le gouvernement souhaite légiférer pour instaurer une distance minimale autour des habitations ou les épandages seraient bannis. Un projet de réglementation a été mis en ligne pour consultation publique. Le débat se révèle particulièrement âpre et s’invite jusque dans nos collectivités locales, ou des maires, comme celui de St-Genis-Pouilly, propose de bânnir purement et simplement les pesticides de leur commune. Zoom.

Le gouvernement était attendu au tournant. Les projets d’arrêtés et décrets sur les ZNT ont été dévoilés le 9 septembre. Initialement prévue pour octobre, la consultation a été avancée d’un mois, signe que le sujet a pris une importance considérable, avec la multiplication des arrêtés municipaux anti-phytos ces dernières semaines, qui ont fait monter la pression sur l’exécutif.
Au grand désarroi des organisations agricoles, le texte fixe unilatéralement des distances de non-traitement. Pour les substances les plus dangereuses, classées cancérogènes, mutagènes ou toxiques, ainsi que pour les substances considérées comme des « perturbateurs endocriniens », le projet impose une zone de non-traitement de 10 mètres non négociables autour des habitations.
Pour les autres produits phytosanitaires, la distance de non-traitement est fixée à 10 mètres pour le traitement
des « parties aériennes pour l’arboriculture » et « la viticulture », les « petits fruits», les « cultures ornementales de plus de 50 cm », les « bananiers » et le « houblon». Pour les autres cultures, les grandes cultures notamment, le texte impose 5 mètres de zone de sécurité. Selon le cabinet du ministère de l’Agriculture, les zones de non-traitement telles que prévues par l’arrêté mis en consultation (de 5 à 10 mètres) représenteraient environ 2 % de la surface agricole utile (SAU) française. Le chiffre pourrait être abaissé ensuite par les chartes jusqu’à un niveau non connu. Dans le cas de ZNT fixées à une distance de 150 mètres, la surface concernée aurait représenté environ 20 % de la SAU, assure le cabinet.

Marge de manœuvre locale

Si on excepte les substances considérées comme dangereuses, les agriculteurs gardent une certaine marge de manœuvre pour définir les distances de non-traitement au niveau local. Celles-ci pourront être en effet « adaptées », grâce aux chartes de bon voisinage, négociées au niveau départemental par les organisations agricoles, les organisations de riverains et les élus.
Deux cas de figure sont prévus. Premièrement, lorsque les agriculteurs s’engagent, au sein de la charte, à mettre en place des équipements « anti-dérives » (buses, panneaux récupérateurs, etc.), listées dans une annexe au décret ; la charte pourra, dans ce cas, aménager la distance, sans toutefois descendre en deçà de 3 mètres pour les cultures basses et 5 mètres pour les cultures hautes.
Deuxièmement, si des dispositifs de protection alternatifs « permettant de maîtriser le risque d’exposition » et « d’adapter les conditions d’utilisation » (murs, haies, etc.) sont mis en place ; un dossier doit être déposé au ministère de l’Agriculture, qui décidera d’homologuer, ou pas, ce dispositif, après un avis de l’Anses. Dans ce cas de figure, aucune distance minimale n’est indiquée, ce qui semble ouvrir la voie à la possibilité de déroger totalement aux ZNT.

Restriction de la pulvérisation pendant la pluie

Le texte présenté par le gouvernement prévoit une restriction à la pulvérisation de produits phytosanitaires par les agriculteurs quand « l’intensité des précipitations est supérieure à 8 mm par heure au moment du traitement », et lorsque  « les prévisions météorologiques annoncent des précipitations supérieures à 8 mm dans l’heure suivant le traitement ». Les juges du Conseil d’État avaient en effet déploré l’absence de restriction d’usage « en cas de forte pluviosité », dans leur décision censurant l’arrêté de 2017.

 

Réactions /

Ni les organisations agricoles ni les ONG environnementalistes n’ont finalement crié victoire après la mise en consultation des projets de réglementation sur les zones de non-traitement (ZNT). À la FNSEA, affine sa stratégie syndicale.


ZNT : chacun garde ses distances

 

La publication des projets de décret et d’arrêté sur les zones de non-traitement (ZNT) n’a finalement été saluée par personne. On aurait pourtant pu s’attendre à un sort différent. Lors de sa conférence de rentrée le 4 septembre, la présidente de la FNSEA Christiane Lambert avait qualifié de « pragmatique » une solution de « 5 ou 3 mètres, puis les chartes ». Puis, à l’AFP le 9 septembre, elle s’était dit, juste avant parution des textes, « satisfaite que les 150 mètres n’aient pas été retenus ». Finalement, au lendemain de sa parution, le texte sera qualifié « d’inacceptable » par la FNSEA, qui explique dans un communiqué que « les distances ne sont en aucun cas une réponse à la nécessaire protection des riverains ».


La FNSEA durcit le ton

 

Christiane Lambert, présidente de la FNSEA : « les distances ne sont en aucun cas une réponse à la nécessaire protection des ruisseaux. »


« Il y a eu quatre durcissements depuis le précédent projet d’arrêté », explique Christiane Lambert. La présidente de la FNSEA désigne la liste des produits concernés par la distance de 10 m, les mesures liées à la pluviométrie, la consultation publique des chartes, et la validation des éléments anti-dérive. « C’est pour cela que l’on durcit le ton », assure-t-elle. En interne, un courrier a été envoyé la veille du communiqué, à tous les présidents de FDSEA. Un besoin de « précision » est remonté du terrain, rapporte Joël Limouzin, vice-président de la FNSEA.
Le même jour que la FNSEA, d’autres organisations proches se sont exprimées sur le même ton, par communiqué. Le syndicat des Jeunes agriculteurs explique qu’il s’oppose à « tout cadre réglementaire national pour instaurer des zones de non-traitement » et estime que « le gouvernement préfère le réglementaire hors-sol au bon sens des acteurs locaux ». De même, pour l’AGPB, « le discours présent dans les médias ces derniers jours laisse parfois entendre que les distances [...] proposées par le gouvernement sont une victoire pour le monde agricole. C’est tout l’inverse ».


Une mesure très politique


Se faisant le porte-parole des viticulteurs, la Cnaoc considère que ce sujet des distances clive les professionnels et les citoyens, sans pour autant apporter quoi que ce soit en termes de santé publique. Pour son directeur, Éric Tesson, « aucun cas de cancers de riverain de cultures agricoles n’a été répertorié. Les seuls cas de cancers imputables àdes pesticides concernent des applicateurs ». Et d’ajouter : « Si l’on veut vraiment s’attaquer à un problème de santé publique, fermons le boulevard périphérique de Paris, car là la pollution et les particules entraînent des maladies chez les enfants et les personnes vulnérables ». Plus localement, le président de la FDSEA de l’Ain, Adrien Bourlez, estime « qu’ il est urgent de faire confiance aux agriculteurs qui utilisent des pesticides dans le respect des normes et jouent le jeu de la diminution de l’utilisation de ces produits… Ce débat devrait être guidé par le pragmatisme. Or, il est conduit sous le coup de l’émotion, sans tenir compte d’une partie des enjeux. On entend moins parler des opérations de dératisation, des ondes électromagnétiques et autres potentielles nuisances. On ne dit pas non plus que sans alternatives, l’abandon de certaines molécules peut se traduire par des problèmes de santé publique, comme c’est le cas chez nous avec l’ambroisie.

 

Ain : des initiatives locales très diverses

 

Plusieurs communes de l’Ain ont engagé des initiatives pour en limiter l’utilisation des pesticides.
Ainsi, à Saint-Maurice-de-Beynost, la mairie, qui souhaitait bannir tout épandage sur une parcelle proche de l’école, a trouvé un accord avec l’agriculteur concerné, Christian Juffet.
« Le maire avait publié un édito dans le bulletin municipal, ou il râlait contre ma parcelle à côté de l’école. On se connaît bien. Alors en février, je lui ai proposé de laisser cette parcelle en jachère. Je ne voulais pas gagner d’argent, mais pas en manger non plus. J’ai estimé qu’il fallait 1500 euros pour une parcelle d’1,5ha. Le conseil municipal a fini par accepter. J’ai donc implanté une prairie que j’entretient en la broyant quand c’est nécessaire», résume l’agriculteur. Une solution qui permettrait d’apaiser les débats parfois tendus localement. « Moi, je n’ai rien contre la règle des 5 ou 10m, à condition que l’on soit indemnisé pour le manque à gagner. Tout agriculteur, préfère que les gens lui disent bonjour plutôt qu’ils l’insultent. »
Le maire, Pierre Goubet, « attend de voir » les dispositions législatives qui seront adoptées à l’issue du débat » avec impatience. En espérant que des dispositions soient prises pour l’agriculture urbaine.
« Ce n’est pareil de traiter en rase campagne et au milieu des habitations… Cela me semblerait relever du bon sens que l’on impose dans ces endroits, des cultures bio. »
A Saint-Genis-Pouilly, le maire, Hubert Bertrand, a suivi son homologue breton en publiant la semaine passée un arrêté qui interdit l’utilisation des produits phytosanitaires sur toute la commune. Arrêté en vigueur, même si, précise le maire, « on ne va pas courir après nos cultivateurs. Mais nous ferons valoir cette décision en cas d’abus manifeste. »
Trois des cinq agriculteurs de la commune pourraient être impactés, « parce qu’ils exploitent des parcelles aux alentours de l’école ». « Je leur ai adressé un courrier, auquel seul un a répondu», regrette M. Bertrand, qui se dit « disponible pour en discuter, sachant qu’il faut que nous travaillions au côté des cultivateurs sur ce sujet. »
L’idée d’une indemnisation compensatoire le laisse de marbre. « Je ne suis pas d’accord pour indemniser des gens pour qu’ils arrêtent de polluer. Chez nous, les agriculteurs exploitent 12ha de terrains communaux sans qu’on leur demande le moindre loyer. »
Et n’allez pas lui sortir l’argument, qu’il faudrait dans ce cas interdire les produits ménagers sous prétexte qu’ils peuvent présenter un risque.
« La démagogie est aussi dans le monde agricole. Je ne vois pas l’intérêt d’être négatif. Nous devrions tous aller dans le même sens pour l’intérêt commun. »
Un travail qui passerait notamment, « par un meilleur accompagnement des agriculteurs vers des solutions alternatives aux pesticides. »
A Montluel, le conseil municipal a décidé en début d’année, de favoriser les exploitations bio du territoire en les exonérant de Taxe sur le foncier non-bâti. Une décision avant tout symbolique, d’autant que la TFNB est payée par les propriétaires, et non par les exploitants.
 EG