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Grandes cultures, ils ont fait le choix de cultiver bio

L’Ain n’échappe pas au boom du bio. En 10 ans, le nombre d’exploitations en production biologique a été multiplié par plus de trois. Idem pour les surfaces concernées. En nombre de producteurs « convertis », c’est, contrairement aux idées reçues, dans la filière grandes cultures que l’évolution est plus flagrante. Pourquoi se convertissent-ils ? Quelles sont les difficultés et les facilités qu’ils ont rencontrées ? Témoignages de trois agriculteurs de l’Ain.
Grandes cultures, ils ont fait le choix de cultiver bio

Convertir une exploitation conventionnelle en bio ne se fait pas du jour au lendemain. Il faut se familiariser avec des méthodes nouvelles.
Certains agriculteurs ont commencé il y a très longtemps, mais on assiste à une explosion des conversions depuis une dizaine d'années. Ils sont accompagnés par la chambre d'agriculture et l'ADaBio. Un soutien essentiel. Aucun de ceux que nous avons rencontrés ne retournerait en arrière. Certains regrettent même d'avoir trop tardé.
Le rendement, même s'il est légèrement moindre, est mieux rémunéré, les factures de phytosanitaires sont réduites à peau de chagrin et tous ont la satisfaction de préserver leur santé et celle des riverains.
Un changement de cap qui suppose, en contrepartie, de consacrer plus de temps à certains chantiers, comme le désherbage.
Au-delà du respect d'un cahier des charges, l'appréhension du bio sur son exploitation est avant tout question de philosophie personnelle, rappelle Claude Barbet, un des pionniers du bio dans l'Ain, qui sillonne le monde pour découvrir ce qui se fait ailleurs.

Yolande Carron

 « J’en avais assez d’acheter des produits »

 

Parce qu’il voyait chaque année ses factures de produits phytosanitaires augmentér avec chaque fois une ligne pour la pollution, Henri-Pierre Lanet en est venu à se poser des questions. « Avec ces produits on est peut être allé trop loin et si le bio était l’avenir ? Est ce que cela ne valoriserait pas mieux mon exploitation ? »

En deuxième année

Associé avec son frère Franck, depuis 1985, le Gaec possède un  atelier de 400 veaux de boucherie en intégration et 130 de SAU dont 82 en bio. Deux tiers des parcelles sont à Trivier-sur-Moignans et un tiers à Saint-Georges-sur-Renom.
Depuis 2018, le Gaec de Bereins est en conversion. L’étude faite par la chambre d’agriculture a pris un an « Il faut présenter une situation financière saine car il y a besoin d’investissement en matériel » précise Henri Pierre. Nous avons investi 25 000 euros de matériel. « On s’en prête aussi avec l’Earl XL de Fareins et nous utilisons celui de la Cuma des Marquises à Baneins. C’est un peu dur la première année car on cultive comme si on était bio mais on n’a pas le tarif ». Le prix payé des cultures en conversion se situe entre le conventionnel et le bio. Aussi, il faut s’attendre à des résultats moindres lors du démarrage.

Ne pas mélanger

Sur l’exploitation, la continuité des cultures conventionnelles a été acceptée à condition qu’elles ne soient pas les mêmes que les cultures bio. Le triticale, sorgo, tournesol, blé sont en conventionnel. « En 2019 j’ai planté de l’orge d’hiver, du soja, du maïs de la luzerne pour améliorer le sol. Je n’ai pas été déçu, j’ai déjà fait quatre coupes et peut être une cinquième. Cela assure un revenu correct, ce n’est pas à banaliser. J’en ai vendu à mes collègues et gardé aussi pour moi en foin » indique Henri-Pierre. Bien que les terres soient drainées, en cas de sécheresse, Henri Pierre envisage de stopper les cultures de maïs et de soja. « J’ai rencontré des difficultés en exerçant le binage ».

Des interrogations

Au Gaec, les frères Lanet on repris la charrue. « On s’est remis au labour mais peu profond ». Sans traitement phytosanitaire, la mauvaise herbe reste le point noir des cultures. « Cela demande bien plus d’heures de tracteur pour arriver à un bon résultat. Le but étant de mettre un minimum d’engrais organique ». Si on veut tout analyser, le bilan carbone serait peut être moins bon lorsqu’on fait du bio car plus de mécanisation ? Entre phyto et carbone il faut choisir ! Et au Gaec de Bereins, la décision est sans appel, « on passe au bio ». Après le 10 mai 2020 tout ce qui sera semé aura droit à l’appellation AB.
« Les produits chimiques ne cessent d’augmenter c’est le meilleur moyen de faire prendre conscience aux agriculteurs qu’il faut s’orienter vers un autre style d’agriculture ». Conclut Henri-Pierre Lanet.

 « Nous aurions dû attaquer 10 ans plus tôt »

Installés en Earl à Fareins, Laurent Raccurt et Xavier Favrot ont décidé de s’orienter vers le bio. « Des soucis de rentabilité et après 3 années de déficit nous avons fait le choix de la conversion en bio » résume Laurent. Elle s’est faite sur 6 ans avec un projet suivi par l’ADaBio et la chambre d’agriculture.

Pas une simplification de travail

Depuis 2014, ils exploitent 200 ha dont les parcelles s’étalent sur 4 communes. Un choix varié de céréales, blé, orge, colza, blé ancien, seigle, sarrasin, lentilles, pois chiche. Le prix d’achat des récoltes par les firmes de stockage est meilleur que sur les cultures conventionnelles. « Par contre le bio nécessite beaucoup plus de travail » estiment les associés, surtout pour lutter contre la mauvaise herbe. « Nous réalisons bien plus d’interventions mécaniques pour désherber, de 6 à 8 passages, on y passe des heures ! ». Les charges de mécanisation sont supérieures.

Détruire sans chimie

L’Earl XL (comme Xavier Laurent), n’a pas lésiné sur l’équipement. Elle a investi massivement 137 000 euros. Sous le hangar il ne manque rien : écimeuse, bineuse, herse étrille, houe rotative et le révolutionnaire scalpeur Treffler qui apporte de la précision et une bonne maîtrise de la profondeur de travail du sol même à quelques centimètres. Il permet de lutter efficacement contre les adventices. Seul manque un tracteur à forte puissance. Aussi celui de la Cuma de Chaleins est sollicité lorsqu’il s’agit de passer le scalpeur.

Le respect des sols

Les terres ne sont pas irriguées et les deux associés ont renoncé à l’emblème paysan qu’est la charrue. « Nous ne labourons plus nos parcelles ». Pas de binage non plus sur les cultures d’hiver. Ils forcent l’assolement. « On sème le colza en cultures associées à 3 légumineuses en couvrant les sols cela pénalise les mauvaises herbes. Le gèle fait le travail, détruit les 3 plantes et laisse exprimer le colza ». Depuis trois ans ils n’ont pas planté d’inter cultures mais utilisent des couverts végétaux.
Satisfaits de leur conversion en bio Laurent et Xavier avouent faire leur travail des champs avec plaisir et regrettent même de n’avoir pas commencé 10 ans plus tôt.

 

 « Je relève des défis tout le temps »

 

N’allez pas lui dire que les agriculteurs sont des pollueurs ! Cela fait 14 ans que Claude Barbet a banni de ses cultures les pesticides. Avec Henri Cormorèche, Hubert Seguin ils ont été les pionniers du bio dans le département. Bon nombre d’agriculteurs viennent chercher des conseils chez Claude, mais pas que, car l’homme peut vous entretenir de bien des sujets pendant que les aiguilles de la pendule tournent. Depuis 2005 ses cultures sont entièrement labéllisées bio. Il cultive seul 160 ha de maïs, soja, blé, luzerne, orge et triticale sur des terres irriguées.
« J’ai un problème de structure des sols, des terrains hétérogènes composés de graviers et de terre d’alluvion » soupire Claude. « Cela demande beaucoup de travail ».

Un départ sans conviction

Autrefois en conventionnel, Claude Barbet s’est lancé dans l’aventure du bio sans trop y croire. L’homme est curieux de tout et c’est en voyant une publicité dans une revue pour un mouvement bio de Colmar qu’il a décidé d’en savoir plus. « Des voyages étaient proposés, je me suis inscrit pour découvrir ce que les autres pays faisaient comme la Suisse ou l’Allemagne ». Les rendements et les prix s’annonçaient plus soutenus que dans le conventionnel. Il se posait aussi un problème de conscience, « je voulais sortir des produits phytosanitaires. Lorsqu’on veut faire quelque chose il faut s’impliquer à 200% s’en donner les moyens. Je suis toujours après jongler car pas une année ne ressemble aux précédentes, au maximum, un agriculteur retrouve deux fois la même mais pas au-delà ».

Le contraire du conventionnel

En faisant du bio on réduit la facture de phyto mais aussi le rendement. « Cela demande plus de travail pour limiter les mauvaises herbes. L’approche est différente, les liserons, on en est pas maître il faut les griffer, les contrôler avec la bineuse. Comme les anciens faisaient avec le chiendent. La mauvaise herbe pousse plus que la bonne ! » observe Claude.
« C’est comme un jardin, il faut jouer avec la nature. Pas trop tôt le matin et pas trop tard le soir, pour laisser sécher, le contraire du conventionnel ». En bio il n’existe pas de solution de rattrapage pour notre agriculteur « il faut toujours être prêt à faire feu pour trouver des solutions, ne pas craindre de repasser avec le matériel. Et bien choisir des variétés plus tolérantes, surtout en maïs pour qu’il démarre bien ».
Bio par conscience
Pour Claude Barbet, passionné de voyages et qui prend sur les périodes d’hiver pour voyager avec l’association Form Agri dont il est président fondateur, aller voir ce qui se fait ailleurs est indispensable. Considéré comme une référence chez les nouveaux installés, lorsqu’ils viennent le consulter sur son exploitation il leur tient ce discours :
« prenez une année de recul, voyagez, partez voir ce qui se fait ailleurs avant de vous lancer. Ne vous précipitez pas, il y a de la demande en bio. Nous produisons que 50% de blé de la demande française ».