Le Sénat a rejeté à une large majorité, le 21 mars, l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada. Le texte pourrait revenir à l’Assemblée nationale au mois de mai
Le rejet du Ceta est-il une victoire pour le monde agricole ? Il est encore bien trop tôt pour le dire car le parcours juridique de cet accord n’est pas encore terminé. Il faut cependant reconnaître que les sénateurs ont fortement compromis son avenir en le rejetant à une forte majorité. Ils ont massivement voté contre l’article 1 qui autorisait « la ratification de l’accord économique et commercial global (AECG), entre l’Union européenne et le Canada » : 211 voix contre 44 pour. 79 sénateurs n’ont pas pris part au vote. Ils ont en revanche adopté (243 voix pour) son article 2 qui autorise la ratification de l’accord de partenariat stratégique (APS), négocié parallèlement à l’accord Ceta. Cet APS renforce les liens en matière de développement, de recherche ou encore de lutte contre le terrorisme. Ce qui ne change rien sur le fond.
Mauvais signal
Les débats ont été particulièrement houleux avec des prises de bec entre les sénateurs de la majorité présidentielle et ceux des oppositions. Les sénateurs centristes ont ainsi demandé un renvoi en commission parce que les débats n’étaient pas « sereins ». Ce qui leur a été refusé. Par l’intermédiaire de leur porte-parole, Emmanuel Capus (Horizons, Maine-et-Loire), ils ont tenté de convaincre leurs collègues communistes et LR que le « Ceta est un bon accord. Il faut évidemment voter cet accord, car c’est le Canada. Ce sont nos cousins, c’est un bon accord pour notre économie ». Après un énième incident de séance, les centristes ont fini par quitter l’hémicycle. Alliés de circonstance aux parlementaires communistes, les sénateurs LR ont dénoncé le risque que cet accord faisait peser sur de nombreux produits agricoles, en particulier la viande bovine, même si « le Ceta s’est avéré bénéfique pour quelques produits agricoles français qui ont largement pénétré le marché canadien », a souligné la sénatrice Béatrice Gosselin (LR, Manche), évoquant les produits laitiers et le camembert normand. À l’issue du vote, le ministre délégué chargé du Commerce extérieur, Franck Riester, a déploré que le Sénat envoyait « un très mauvais signal à nos agriculteurs, nos exportateurs et aux Canadiens ».
Bénéfices limités
Dans un communiqué de presse, la Fédération nationale bovine (FNB) a salué le rejet de cet accord qui n’incluait « aucune clause de réciprocité » et voit dans ce refus une « prise de conscience politique ». Pour son président, Patrick Bénézit, « il n’est pas honnête de favoriser, au travers d’accords toujours plus nombreux, les imports de produits ne respectant pas les normes de production françaises et européennes ». Pour l’Interprofession bétail et viandes (Interbev), « cette décision est un signal fort envoyé en faveur de la protection des standards français et européens, dont les normes sanitaires, environnementales et de bien-être animal sont les plus strictes du monde ». D’une manière générale, l’ensemble des syndicats agricoles a salué, à des degrés divers et pour des raisons divergentes, ce vote négatif. Il faut rappeler que lors de l’examen de l’accord par la Commission des affaires étrangères du Sénat le 13 mars, celle-ci avait estimé que « les bénéfices macroéconomiques de la mise en œuvre provisoire de cet accord depuis 2017 restent limités et ne contrebalancent pas les risques qu'il fait peser sur l'agriculture française ».
Encore neuf pays
Que va devenir le Ceta ? Selon toute vraisemblance, le gouvernement n’envisage pas de réunir les deux chambres dans une commission mixte paritaire pour trouver un accord. Il ne souhaiterait pas non plus le réinscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Cependant, les députés communistes, André Chassaigne en tête, veulent profiter de leur niche parlementaire le 30 mai prochain pour qu’il soit examiné. En cas de nouvel échec, le gouvernement serait probablement contraint d’acter l’échec de la ratification. Cependant l’accord provisoire continuerait à s’appliquer. Si les députés votaient le Ceta, il faudrait attendre la ratification des neuf autres pays qui ne l’ont pas approuvé, dont l’Italie et Chypre. Le Ceta ne s’appliquerait définitivement qu’une fois que l’ensemble des 27 pays l’auront ratifié.