BLEU DE GEX
Le renforcement du cahier des charges ne fait pas unanimité

Margaux Legras-Maillet
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Le dossier de révision du cahier des charges de l’AOP Bleu de Gex sera bientôt déposé auprès de l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO). Cette mise à jour vise à augmenter la valeur ajoutée de l’appellation fromagère, mais elle n’est pas du goût de tous. 

Le renforcement du cahier des charges ne fait pas unanimité
La filière Bleu de Gex, c’est 500 tonnes produites chaque année par 50 fermes réparties sur l’Ain et le Jura. Photo/Syndicat du Bleu de Gex

Le dossier doit être déposé auprès de l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité) courant novembre. Cela fait plus de deux ans que la profession agricole via le Syndicat du Bleu de Gex œuvre à la révision du cahier des charges de l’appellation d’origine protégée (AOP). Ses grandes lignes ont été largement adoptées lors de l’assemblée générale en avril 2022 à raison de 18 voix pour, deux abstentions et une voix contre.
 
Une révision ambitieuse
 
La mouture votée par le Syndicat du Bleu de Gex en avril dernier s’annonce ambitieuse et s’accompagne d’un renforcement assumé de bons nombres de critères. L’objectif, renforcer l’image de marque du produit et valoriser une production respectueuse de l’environnement et du bien-être animal. S’ils sont adoptés par l’INAO et l’Union européenne, « je pense qu’on sera l’une des AOP avec un cahier des charges les plus riches, ce qui permettra d’aller chercher de la valeur ajoutée », résume Nicolas Cannelle, président du Syndicat et producteur de lait à la Rixouse dans le Jura. Seulement voilà, les évolutions inscrites dans la révision du cahier des charges ne convainquent pas tout le monde. À commencer par Martin Flaugère, administrateur au Syndicat du Bleu de Gex et éleveur au Gaec Combe de communal à Champfromier : « Au syndicat, il y a la volonté d’appliquer un cahier des charges élevé. Ils se disent, parce que ce n’est pas mon cas, que cela va apporter de la valeur ajoutée, mais la valeur ajoutée c’est celle de travail de nos coopératives et de nos fermes. Il y a une limite de prix au-delà de laquelle on ne peut pas aller sinon on perd nos fournisseurs et nos consommateurs. Nous avons déjà un cahier des charges qui protège bien le produit », souligne-t-il. L’éleveur ne comprend pas en particulier le renforcement de certains critères. Parmi eux, l’autorisation de l’affouragement vert pour une durée maximale de 75 jours par an et par exploitation. « Si on autorise la méthode pourquoi ne pas la généraliser notamment pour prévenir les sécheresses. L’affouragement nécessite de semer pour la luzerne ou le sorgho entre autres, et donc d’anticiper avant l’été. On ne comprend pas cet entre-deux », explique-t-il. Selon lui, l’interdiction des engrais chimique est également contre-productive. « On a l’impression qu’on ne peut pas labourer nos prairies permanentes, mais pas non plus mettre de glyphosate. Je n’y cours pas après, je n’en mets pas, mais côté bilan carbone, il vaut mieux en mettre. Le désherbage « chimique » est interdit sur prairie permanente, le problème c’est que le jour où il y a un produit alternatif au glyphosate qui sort, même s’il est moins nocif on ne pourra pas le mettre. Du coup ce n’est pas grave à la place on achète des céréales à l’étranger ou en plaine où il y a du glyphosate… », s’indigne-t-il. 
 
Coop de Chézery-Forens : un gros producteur sur le départ 
 
Celui qui est aussi président de la coopérative laitière de Chézery-Forens a de quoi s’inquiéter. L’un des plus gros fournisseurs de la fromagerie, le Gaec Mont des Anges à Montanges, envisage déjà de sortir du cahier des charges de l’AOP Comté devenu trop contraignant pour son exploitation, et risque de faire de même si celui du Bleu de Gex poursuit sur cette lancée. En effet, Lorie Petellat et Michael Perrot privilégient aujourd’hui le semi-direct au labour qui soulève trop de cailloux et déstructure les sols. En contrepartie ils traitent leurs parcelles à raison d’un litre de glyphosate par hectare. Un système qui ne sera plus autorisé dans le futur cahier des charges. De même que le robot de traite. Un investissement pourtant nécessaire à Michael Perrot qui souffre fortement des épaules.

Michael Perrot et sa compagne Lorie Petellat, du Gaec Mont des anges à Montanges, ont déjà enclenché les démarches pour sortir du cahier des charges Comté. Si celui du Bleu de Gex se renforce comme il se doit, ils projettent également de sortir de ce dernier. Photo/MLM

Sans solution, le couple, pourtant à la pointe de l’automonie, n’a d’autre choix que de sortir. « Si on continue notre système on va devoir sortir. Alors soit on fait comme certain on triche pour avoir le même prix du lait, mais ce n’est pas le but », explique l’exploitante Lorie Petellat. « Nous avons fait les démarches. En Comté c’est sûr que nous sortons du cahier des charges dès 2023. En Bleu de Gex, on attend de voir si on trouve un autre acheteur de lait. On a un acheteur de lait sur les Savoie mais le prix est inférieur, environ 500 € en moins la tonne, ajoute son compagnon Michael Perrot. C’est toujours possible de rester mais ça va nous rajouter de la pénibilité pour des charges en plus. Le prix du lait c’est bien beau mais si on ne produit plus de lait … et puis c’est aussi l’histoire d’être pris de haut et qu’on nous dise comment faire sur nos fermes ». Leur exploitation est la plus pénalisée de la coopérative, mais elle a fourni à elle seule 460 000 litres de lait l’an dernier à la fromagerie, sur les 3 à 3,5 millions de litres transformés par la coopérative. « On s’est battu tous les deux au syndicat pour rien donc je suis juste triste, conclut Martin Flaugère. (Michael et Lorie) doivent produire à peu près 45 tonnes de Bleu de Gex sur les 500 de l’appellation, mais la filière est prête à s’assoir dessus et on ne trouvera pas ailleurs les mêmes volumes de lait. Aujourd’hui en tant que président de coopérative je peux dire que c’est plus facile de faire du Comté. » 
D’autres éleveurs de la zone seront moins impactés par le futur cahier des charges, mais d’aucuns ne comprennent pas son renforcement. À l’instar de Denis Durrafourd sur la commune de Chézery-Forens : « On se tire une balle dans le pied, déjà que le Bleu c’est une petite appellation avec des petits volumes. Qu’on fasse des choses pour se protéger, c’est normal mais on est loin d’avoir la renommée du Comté… C’est dommage, on leur dit qu’on est en train de scier la branche sur laquelle on est assis mais on ne nous écoute pas. Le prix va les attirer mais quand ils vont regarder les mesures ça va coincer. » Alors, le nouveau cahier des charges pourrait-il faire fuir les exploitations de la zone ou les futurs installés intéressés ? Pour l’heure, seul le Gaec du mont des anges projette de quitter le navire. Pour Nicolas Cannelle, s’il ne pense pas en arriver là, le jeu en vaut la chandelle : « le risque c’est de rester sur ses acquis et de ne pas se remettre en question. Les gens recherchent de la proximité, des vaches haut-pâturage. C’est sûr que c’est un pari mais on est obligé de marquer un tournant sinon on risque de le regretter. » L’INAO devrait constituer une commission d’enquête dans l’hiver et plusieurs allers-retours devraient avoir lieu avec le Syndicat du Bleu de Gex avant la validation à l’échelle nationale puis européenne. De son côté, Martin Flaugère attend un retour de bâton. « L’INAO n’est pas là pour faire des dérogations pour la sécheresse ou autre, alors pour une fois, j’espère qu’on va se faire taper sur les doigts. » 

Pourquoi cette révision aujourd’hui

Plusieurs raisons ont poussé à la réouverture du cahier des charges. Tout d’abord, la dernière version datait de 2011, l’objectif était de la mettre à jour selon les pratiques actuelles. Par ailleurs, les autres AOP fromagères du massif jurassien (Mont-d’or, Morbier et Comté), sont également en cours de révision de leur propre cahier des charges, il s’agissait donc de les harmoniser pour faciliter les contrôles sur exploitation puisqu’une grande partie des producteurs sont sous plusieurs appellations. Autre raison, la coopérative de Chézery-Forens a retrouvé des documents attestant de la fabrication historique de Bleu de Gex sur le secteur de la Michaille, actuellement en-dehors du périmètre de l’appellation. Cette révision du cahier des charges est donc assortie d’une demande d’agrandissement de la zone de l’AOP (voir carte). Enfin, la révision vise à encourager la rédaction d’un rapport fondateur car contrairement à d’autres, l’appellation du Bleu de Gex en est dépourvue. « L’INAO nous a autorisés à aller dans ce sens parce qu’il n’y a pas de texte fondateur. Le Bleu de Gex est la première appellation d’origine au lait de vache de France, et c’est toujours le jugement du tribunal de Nantua de 1935 qui fait foi. Dans les années 1970, lorsqu’on a obtenu une AOC, l’INAO a repris les délimitations du jugement, mais aujourd’hui l’institut préfère envoyer un ensemble de consultants, géographes, historiens, etc. afin de définir des critères avant la rédaction d’un rapport fondateur », contextualise Florence Arnaud, directrice des syndicats interprofessionnels du Morbier, Mont-d’or et Bleu de Gex Haut-Jura.

Carte fournie par le Syndicat du Bleu de Gex

Que contient le futur cahier des charges ?

Gestion des prairies : 80 % de prairies permanentes dans la SF de l’exploitation. Destruction chimique d’une prairie interdite (hors adventices localisées) ; 
Doses de fertilisants : 120 uN/ha de SF/an. 20 uN minéral/ha/an en moyenne sur les surfaces en herbe de l’exploitation. Trois épandages de fumure organique par parcelle et par an maximum. L’origine des fumures organiques doit être située dans la zone AOP. En cas de méthaniseur, son alimentation doit se faire uniquement à partir des intrants de la ferme et de sa fromagerie ; 
Conduite des prairies : épandage interdit sur neige et sol gelé. Épandage sur herbe rase. Exploitation de la SF interdite moins de 30 jours après un épandage de fumure organique ;
Maintien des paysages : couverture des sols de l’exploitation pendant l’hiver. Pâture et/ou fauche de toutes les surfaces de l’exploitation au moins une fois par an. Maîtrise des refus. Entretien et maintien des IAE ; 
Production de lait : un producteur de lait à Bleu de Gex Haut-Jura produit du lait toute l’année. Certification de parenté bovine obligatoire. Les génisses sont majoritairement nées et élevées sur l’exploitation (au moins trois génisses/100 000 litres/an). Achat d’animal du troupeau uniquement à une exploitation habilitée pour l’une des quatre AOP fromagères du massif du Jura. Mise en pension sur la zone ;
Superficie herbagère : chargement < 1,3 UGB/ha de SF ;
Productivité et taille de l’exploitation : limitation de la taille des exploitations à 1,2 millions de litres de lait/campagne laitière. Productivité laitière plafonnée à 3 500 litres/ha de SAU. Limitation du nombre de vaches par exploitation (50 VL pour un exploitant, 90 VL pour deux exploitants, 40 VL supplémentaires pour chaque exploitant supplémentaire. Une seule UMO salariée prise en compte pour le calcul du nombre de VL (40 VL/UMO) ; 
Alimentation des vaches laitières : minimum de 50 ares de SFP/VL accessibles dans un rayon de 1,5 km autour du point de traite. En saison de pâturage, les vaches en production utilisent au moins 25 ares de prairie/VL. Stockage du fourrage dans un endroit propre et à l’abri des intempéries. Qualité du fourrage distribué aux animaux. 75 jours d’affouragement vert au maximum/an/exploitation. Maïs vert interdit. Concentrés : 1 800 kg/VL/an au maximum ;
Santé et bien-être du troupeau : le troupeau a accès à un bac d’eau propre en quantité suffisante. Points d’eau stagnante clôturés. Traitement antibiotique et antiparasitaire avec protocole de soins d’un vétérinaire uniquement. Formation nécessaire pour automédication. Rangement des médicaments dans une armoire fermée. Chaque animal dispose d’une place individuelle dans le bâtiment de l’exploitation ;
Traite : Interdiction du robot de traite. Prétrempage désinfectant et graisse à traite interdits. Maintien du lieu et du matériel de traite propres. Branchement des faisceaux trayeurs sur des trayons propres et secs, nettoyage individuel vache par vache. Élimination des premiers jets. Identification des animaux en traitement. Nettoyage et rangement des faisceaux trayeurs entre deux traites. Une analyse annuelle E.Coli et entérocoques sur l’eau de nettoyage du matériel de traite. Contrôles annuels de la MAT et du tank à lait ;
Fabrication :  seuls des laits conformes au cahier des charges ou des laits destinés aux autres AOP du Massif jurassien peuvent entrer dans un atelier de fabrication du Bleu de Gex Haut-Jura. Le lait d’une exploitation dont l’habilitation est suspendue pour une ou plusieurs AOP régionales dans le cadre d’une sanction prononcée par l’OC ne peut être transformé dans un atelier habilité pour l’AOP Bleu de Gex ;
Transformation et affinage : température d’emprésurage : 30°C (+1°C de marge de manœuvre. Le fromage est moulé manuellement avec une toile de jute ou de lin : suppression des exigences sur la taille des moules. Température d’affinage comprise entre 6°C et 14°C durant au moins 21 jours. A partir du soixantième jour d’affinage, l’affinage du « Pérachu » ou « Perassu » peut se faire à partir de 4°C.