INONDATION
Les zones agricoles au premier rang face aux crues

Les grands phénomènes de crues font peser un risque majeur sur les fermes dont les bâtiments ou les champs sont situés en zone inondable. Parfois situé dans les zones d’expansion de crue qui permettent de ralentir ou d’affaiblir les inondations pour protéger l’aval, le secteur agricole n’est pourtant pas du tout accompagné financièrement pour cela.
Les zones agricoles au premier rang face aux crues

Avec les aménagements sur les fleuves et rivières d'après-guerre, l'illusion de la domestication du risque d'inondation sur les principaux fleuves et rivières de France a pu s'installer dans l'esprit des populations riveraines. De nombreuses installations humaines agricoles, industrielles ou urbaines, se sont établies dans les lits majeurs des cours d'eau très exposés aux inondations importantes. Entre les années 1950 et 1990, il y a eu très peu d'inondations autour du Rhône. En février 1990 sur le Haut Rhône, en octobre 1993 et janvier 1994 en Drôme et en Ardèche, le Rhône déborde de manière importante et réveille brutalement la mémoire du risque d'inondation. Depuis, un gros travail de réflexion autour de l'aménagement et de l'occupation de l'espace dans les zones inondables a été fait, conduisant à la définition d'une stratégie globale de prévention des inondations.
Le premier axe de cette stratégie consiste à permettre de réduire les inondations en favorisant l'accueil au maximum de la crue par le fleuve, notamment par l'optimisation des zones d'expansion de crue (ZEC). On en compte par exemple treize le long du Rhône (voir carte ci-contre). En période de crue des fleuves et rivières, les ZEC, constituées le plus souvent de secteurs inondables peu ou pas urbanisés, tels des parcelles agricoles ou boisées, accueillent des volumes importants d'eau pour limiter l'impact de la crue en aval. Ces zones jouent un rôle très important pour l'écrêtement des crues afin de réduire les risques ou les niveaux d'eau des zones urbanisées situées en aval. Mais cela pose la question de la reconnaissance et de la couverture du risque pour ces zones souvent agricoles. Le risque n'est actuellement pas reconnu pour une couverture financière des dégâts. « Les agriculteurs s'engagent pleinement dans cette solidarité de l'amont vers l'aval qui néanmoins n'est pas sans conséquence sur leurs cultures », rappelait la FNSEA dans un communiqué du 26 janvier lors des crues de la Saône et de la Seine.

Les zones d’expansion des crues permettent de limiter les inondations en aval. Un service rendu par les agriculteurs pas encore reconnu.

Des risques non assurablespour les agriculteurs

Les viticulteurs, les éleveurs et les producteurs de grandes cultures situés en zone inondable ne peuvent avoir recours ni à l'assurance, ni au fonds de calamité agricole pour couvrir ce risque. Pour les cultures maraîchères, si elles sont situées sur un territoire reconnu en état de catastrophe naturelle, elles sont éligibles au fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA). Les cultures céréalières considérées comme « assurables », disposant d'une offre suffisamment consolidée en matière d'assurance, ne sont, elles, pas éligibles au FNGRA. « Mais pour les exploitations situées en zone inondable, les assureurs n'assurent pas, ou alors avec des offres de prise en charge insuffisantes », rappelle Thierry Fellmann, le directeur de l'APCA. C'est ce qui a poussé l'APCA à publier un communiqué le 19 février pour demander que le « rôle des terres agricoles en zone inondable soit reconnu comme outil de régulation des cours d'eau dans l'intérêt général et bénéficie d'une solidarité territoriale ». L'institution souhaite que les « agriculteurs concernés par des terres inondées du fait d'écrêtage de crues » disposent « d'un dispositif de politique publique » permettant de « compenser les pertes et préjudices de production dus aux inondations ».

Des dispositifs d'indemnisations absents sur certains territoires

« On en appelle à un dispositif qui serait stabilisé au niveau national », précise l'APCA. Il existe déjà des dispositifs locaux. Depuis le 1er janvier 2018, la Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi) est devenue une compétence exclusive des intercommunalités. Mais certains agriculteurs restent exclus de ces systèmes. « C'est déjà un problème qui avait été soulevé en 2016. La situation, cette année, montre qu'on n'a pas suffisamment avancé », note Thierry Fellmann. C'est également une demande forte de la FNSEA qui indiquait fin janvier qu'il « est urgent de soutenir les agriculteurs dans leurs missions de solidarité, dans un contexte de changement climatique qui engendre des inondations de plus en plus intenses et dont la fréquence pourrait augmenter dans les années à venir. »

CP

 

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Zone inondable : des contraintes techniques et des risques

Les cultures d’automne peuvent résister à une inondation entraînant quelques jours d’immersion totale sans trop de dégâts, si l’eau peut s’évacuer rapidement ensuite.

 

De nombreuses parcelles agricoles sont situées en zone inondable souvent dans des plaines fertiles le long des fleuves ou de rivières. Un risque connu par les exploitants agricoles qui est néanmoins très variable selon la récurrence des inondations liée à la météo. « L’impact économique d’une crue avec inondation des parcelles peut-être beaucoup plus important pour les cultures pérennes que sur les cultures annuelles, explique Benoît Sarrazin, enseignant-chercheur Isara Lyon département d’agroécologie et environnement. Sur des vignes ou des arbres fruitiers, les dégâts peuvent être considérables et aller jusqu’à la destruction de la parcelle si l’inondation est associée à une force importante de l’eau. » Les prairies enherbées résistent mieux aux crues, car elles sont mieux implantées qu’une culture annuelle avec un réseau de racines plus résistant.

Adapter les cultures au risque

Pour les cultures annuelles comme les céréales, les dégâts d’une crue vont de presque rien à très importants en fonction de la force de l’inondation et de la durée de l’immersion. « Le long de la Saône par exemple, il n’est pas rare que les blés aient les pieds dans l’eau comme cette année fin janvier, début février. La culture peut supporter de rester jusqu’à quinze jours inondée à cette période de l’hiver. Au printemps en revanche, si cela arrive en avril par exemple, quand le stade de la plante est bien avancé, c’est quasiment la fin de la culture », indique Jean Pauget de l’Institut technique du végétal Arvalis. « C’est pour cela qu’il faut privilégier les cultures de printemps. Quand les champs sont couverts d’eau, le cycle des plantes s’arrête ou fonctionne au ralenti. Les plantes entrent dans une sorte de léthargie. Au-delà d’une trop longue immersion, les plantes peuvent s’asphyxier, les champignons se développent ensuite. « La durée du ressuyage est également importante, poursuit Jean Pauget. En fonction de la nature des sols et de la hauteur de la nappe souterraine, l’eau va disparaître plus ou moins vite laissant aux plantes la capacité de récupérer ou pas. » Les inondations, comme les périodes très pluvieuses, peuvent également retarder certaines interventions aux champs car les engins agricoles ne peuvent entrer sur une parcelle si le sol n’est pas suffisamment porteur.

Vers des inondations plus régulières ?

Dans le cas où l’inondation a un caractère violent suite à une rupture de digue, par exemple, ou dans les zones de montagne lorsque des ruisseaux se transforment en torrents dévastateurs, le risque est plutôt lié à la force de l’eau qui peut endommager les bâtiments, noyer le cheptel ou emporter la culture, voire les couches de sol fertile. « Avant l’agriculture moderne, les agriculteurs accueillaient les crues des fleuves avec bienveillance, car elles déposaient un limon fertile », souligne Jean Pauget. Aujourd’hui, les crues sont plutôt des sources d’anxiété. » D’autant plus que pour améliorer la gestion des crues, après la politique du tout aménagement, les différents intervenants sur le fleuve, comme la CNR, tentent de redonner de la place aux rivières et aux fleuves. L’idée est de leur permettre d’occuper leur lit majeur plus facilement sans faire de dégâts trop importants dans les zones urbaines. « Les aménageurs veulent redonner de la liberté au fleuve, explique Benoît Sarrazin de l’Isara. Certains secteurs vont être inondés plus souvent et ceci pour éviter les dégâts en aval. Cela permet également de calmer l’énergie du fleuve et de mieux redistribuer les matériaux (limons et sédiments) véhiculés par l’eau. » À cela s’ajoute l’incertitude créée par le changement climatique qui rend les références historiques moins pertinentes pour prévoir le risque, ce qui laisse penser que les inondations liées aux crues pourraient voir leur nombre augmenter dans les années à venir.

AP et CP

 

Le point sur...

Fonte des neiges : quel impact sur les crues de printemps ?

L’hiver n’est pas encore fini que les hauteurs de neige atteignent déjà des records dans les massifs alpins du nord. Le début de l’année 2018 a connu un cumul de neige très important, comme dans le Beaufortain, où il est tombé jusqu’à 4,50 mètres de neige au mois de janvier, ensevelissant les voitures jusqu’au-dessus du toit sous un épais manteau blanc. Si les propriétaires des véhicules ont été interloqués par ce spectacle peu commun, ils n’ont pas été les seuls. Les skieurs se sont eux aussi retrouvés face à un spectacle improbable sur les pistes. La neige avait fini par atteindre les sièges du télésiège, censés se balancer à plusieurs mètres de hauteur au-dessus du sol. Il semblerait selon les experts météo qu’il soit tombé en un mois et demi, l’équivalent de cinq mois de précipitations. Les valeurs enregistrées actuellement seraient donc pour un hiver normal, des valeurs de fin de saison.
La fonte des neiges
Face à cette abondance de neige stockée sur les sommets alpins, il est naturel de s’interroger sur ce qu’il va se passer au printemps, lorsque les températures se radouciront et que glace et flocons commenceront à fondre. Lors d’une fonte des neiges classique, le dégel commence au début du printemps et se poursuit jusqu’au début de l’été. Le retour des températures positives entraîne la fonte de la neige des bassins d’altitude qui alimentent les cours d’eau de la région. La neige qui retourne à l’état liquide va alors venir augmenter le débit des ruisseaux, rivières et fleuves. Mais cette augmentation de débit ne se fait pas brutalement. L’alternance de périodes fraîches et chaudes à différentes altitudes, va permettre une répartition de la fonte des neiges sur plusieurs mois. C’est pourquoi le phénomène de dégel ne provoque pas de crues chaque année. En revanche, comme l’explique Guillaume Thirel, hydrologue à l’Irstea, « si les précipitations neigeuses sont très abondantes en hiver et que les températures augmentent rapidement au printemps durant plusieurs semaines consécutives, alors la fonte des neiges sera rapide, car il y aura un dégel aux différentes altitudes. L’eau dégelée viendra saturer les cours d’eau qui atteindront des débits records. Si des précipitations pluvieuses viennent s’ajouter à l’équation, alors la région pourrait faire face à des crues d’intensité exceptionnelle. Mais il s’agit seulement pour le moment d’un scénario possible et d’un cas qui reste extrême.»
La prévention des crues
Le réseau hydraulique de la région est géré par EDF et la CNR. S’ils n’ont pas vocation à la protection des crues, ils sont en revanche soumis à certaines règles. Régulièrement ils doivent effectuer des prévisions hydrologiques et des relevés de débits. Dans la région Aura, le service de prévision des crues des Alpes du nord établit à chaque printemps les débits attendus. Il en informe le SCHAPI basé à Toulouse, l’organisme qui gère le site Vigicrues. Ce dernier est chargé de coordonner les prévisions de toute la France, et de relayer les informations aux préfets, qui ensuite les relaient aux communes qui préviennent les populations. Actuellement, EDF commence déjà à vider quelques barrages afin de libérer de la place en prévision de la fonte des neiges, dans le but premier de protéger ses structures hydroélectriques, mais également d’atténuer une potentielle crue.
Manon Laurens