VAL DE SAONE
La « Prairie inondable » menacée par une rupture de digue

Faute d’entretien et augmentation du trafic fluvial aidant, les digues de la Saône se dégradent dans le val de Saône Nord. « Il y a urgence encore une ou deux bonnes crues et ça tombe ! », prévient Hugo Danancher, jeune éleveur de St-Bénigne. Agriculteurs et élus ont beau tirer la sonnette d’alarme, personne ne bouge... à part les berges ! Explications.
La « Prairie inondable » menacée par une rupture de digue

Depuis plusieurs années, les éleveurs du nord du val de Saône(1), qui exploitent les terres inondables du lit majeur de la Saône, entre Sermoyer et Feillens, s’inquiètent du manque d’entretien des digues en terre de la rive aindinoise (la rive gauhe).
Dans le même temps, le trafic fluvial a augmenté, avec l’arrivée de gros bateaux de tourisme et le passage de lourdes péniches.
Les vaguelettes qu’ils génèrent sapent imperceptiblement la base des digues.
Au point qu’à plusieurs endroits, la situation s’avère critique.
Comme à Saint-Bénigne ou Hugo Danancher, éleveurs de charolais, vanneur, membre du syndicat Jeunes Agriculteurs, qui exploite des champs dans la Prairie et connaît sa Saône mieux que sa poche, déplore : « A certains endroits, en 10 ans, on a vu la digue reculer de 20m ».
Une digue de 5,20m de hauteur, devenue d’une minceur alarmante sur un tronçon d’une trentaine de mètres (voir photo). « On est parvenu à une situation critique. Ici, encore une ou deux bonnes crues et ça tombe ! » s’alarme l’éleveur. Si une brèche s’ouvrait 1700 hectares seraient menacés par les eaux. Une quarantai,une d’exploitation seraient impactée.
 « Ce serait catastrophique parce que ça voudrait dire qu’on n’a plus aucune protection. On pourrait régulièrement perdre les récoltes de fourrages. Sans cette digue, cela aurait été le cas en 2016. Et ça le serait très régulièrement. Si on perd la récolte on n’a pas la possibilité de rattraper l’affaire. Ici, on a besoin de la Prairie pour nourrir nos bêtes. Si on a plus de digue, on dit adieu à l’élevage. »
Les inondations printanières constitueraient aussi un désastre écologique, dans cette zone classée Natura 2000 ou la fauche est très réglementée, afin de protéger les nichées d’oiseaux, comme le râle des genêts et le courlis cendré. Bref, c’est tout cet écosystème original, né des interactions de la rivière et de ses agriculteurs qui serait détruit.

 

Le silence radio des Pouvoirs publics

Les agriculteurs ont alerté communes, communauté de communes et préfecture. Les messages d’alerte ont bien été reçus, mais personne ne semble en mesure d’agir.
« Qu’on n’aille pas me dire que je ne fais rien », s’agace Guy Billoudet, président de la communauté de communes Bresse et Saône (fusion de Pont-de-Vaux et Pays de Bâgé). « Je suis au courant de ce problème. J’ai alerté le préfet et le préfet de région. J’ai même organisé un tour des digues en bateau pour qu’ils voient ce qu’il se passe. »
Et depuis ? Silence radio des autorités(2), assure le président.
Une inaction d’autant plus rageante, aux yeux d’Hugo Danancher, « que sur le tronçon le plus dégradé, qui fait 10 ou 20 mètres, il suffirait d’emmener quelques remorques de terre. Un enrochement serait plus sécurisant mais c’est interdit de ce côté de la rivière alors qu’on l’autorise de l’autre », souffle t’il.
La complexité de la réglementation en matière de protection des cours d’eau constitue un réel casse-tête.
« C’est un dossier très lourd. S’il suffisait de ramener de la terre, on l’aurait fait. Il faut que tout cela soit cordonné et validé par l’administration. C’est trop facile de pointer du doigt une collectivité. Il faut que cette affaire devienne l’affaire de tous », se désole Guy Billoudet.
D’autant, selon lui, « qu’il ne s’agit pas que de 20 ou 30m. Une bonne partie de la digue entre Sermoyer et Feillens serait à reprendre (...) Ce n’est pas à nous de tout financer. Si les digues se détériorent, c’est à cause du batillage que provoquent les bateaux, de plus en plus nombreux et de plus en plus gros (...) A Feillens, cela a fragilisé la pile d’un pont (...) C’est quand même étonnant que Voies navigables de France (VNF) porte la responsabilité de la régulation du trafic mais ne finance pas l’entretien des digues. »
L’élu du val de Saône invite tous les protagonistes à s’unir pour faire pression sur le préfet de région, en charge de la gestion des bassins versants.
Et de conclure, malicieux : « Seuls, nous sommes impuissants : que les syndicats agricoles se mobilisent sur ce point ! »

Etienne Grosjean

(1) Communes de  Sermoyer, Arbigny,
St-Bénigne et Pont-de-Vaux
(2)La préfecture de l’Ain n’a pas été en mesure de répondre à nos questions

 

La Prairie : une histoire d’hommes et d’eau

Dans le Val de Saône, les agriculteurs ont appris depuis bien longtemps à vivre au rythme de la rivière.
Un cours d’eau majeur, souvent enclin à sortir de son lit et à recouvrir des milliers d’hectares de praire en période de crue.
Pour juguler des recouvrements trop nombreux des terres agricoles situées dans la plaine inondable, des digues ont été érigées.
En dur sur la rive droite, côté Saône-et-Loire, par-dessus laquelle le vieux chemin de halage est toujours visible.
En terre, rive gauche, côté Ain, sur le tronçon nord de son parcours aindinois (schématiquement de Sermoyer à Feillens)
Localement, cette vaste zone de terres inondables, soumise à de nombreuses contraintes environnementales en raison de sa richesse écologique, et sur laquelle l’agriculture constitue la seule activité économique, est appelée « Prairie. »
Dans l’espace qui nous concerne, elle est artificiellement organisée en une succession de champs d’inondation contrôlés ici appelés « casiers ».
Des périmètres endigués dans lesquels l’homme choisi, si besoin, d’ouvrir les vannes des déversoirs ou des vidanges (voir infographie)
Ils permettent ainsi d’amortir les crues, de sorte à protéger les aires urbaines de l’aval comme Mâcon et surtout Lyon.
Ici, les éleveurs récoltent leur fourrage au début de l’été et font paitre bovins et équins tant que la température l’autorise, de mai à octobre. Par chance, les crues majeures, susceptibles de submerger les digues de 5,20 m et d’inonder ces champs, surviennent généralement l’hiver, quand les bêtes sont rentrées et que le foin est récolté.
Ainsi, les hommes sont parvenus à concilier sur cet espace vulnérable, activité agricole, préservation de l’environnement et protection des espaces urbains contre les crues.
Un équilibre essentiel assuré par les agriculteurs locaux, qui de tout temps, actionnent les vannes des casiers et des nombreux fossés qui drainent la Prairie.