SANTE DES AGRICULTEURS
Maladies professionnelles : une difficile reconnaissance

Pour un exploitant ou un salarié agricole, La reconnaissance d’une maladie professionnelle en lien avec les pesticides relève du parcours du combattant. Pour autant, une prise de conscience émerge au sein du monde agricole.
Maladies professionnelles : une difficile reconnaissance

Le 1er février dernier, le Sénat adoptait en première lecture la proposition de loi « portant création d'un fonds d'indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques ». Le texte souhaite « compléter la prise en charge des soins et l'indemnisation versées par les organismes de sécurité sociale » aux victimes en créant « un fonds d'indemnisation abondé par les fabricants de ces produits ». À l'heure de la feuille de route gouvernementale sur la réduction de l'usage des pesticides, le dispositif repose la question des difficultés d'indemnisation des pathologies développées par les exploitants ou salariés agricoles ayant été exposés à des produits phytosanitaires dans le cadre de leur travail. Si la prise de conscience de la nécessité de réduire l'usage des produits phytosanitaires semble de plus en plus partagée, la reconnaissance du lien entre ces produits et certaines maladies développées par les exploitants ou salariés agricoles reste encore un chemin souvent long et fastidieux. La forme même du processus de reconnaissance des maladies professionnelles rend d'ailleurs très compliquée la possibilité de faire un état des lieux précis de ce que représentent aujourd'hui ces pathologies.

Dans le tableau ou hors tableau

En France, une maladie est dite professionnelle « si elle est la conséquence directe de l'exposition habituelle d'un travailleur à un risque physique, chimique, biologique, ou résulte des conditions dans lesquelles il exerce son activité professionnelle », d'après la définition qu'en donne l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Pour qu'elle soit reconnue comme telle, deux solutions : soit elle figure dans l'un des tableaux de maladies professionnelles reconnues, soit elle doit passer par le système dit « complémentaire ». En agriculture, ce sont les « tableaux des maladies professionnelles agricoles » comprenant 59 pathologies qui ouvrent la voie à une prise en charge par la Mutuelle sociale agricole (MSA). Pour chaque pathologie, le tableau précise la désignation officielle de la maladie, le délai de prise en charge et la liste des travaux susceptibles de la provoquer.

Le gouvernement en place ne cache pas sa volonté de creuser le sujet du lien entre phytos et santé humaine.

Toute la difficulté aujourd'hui autour des maladies professionnelles liées aux phytos se concentre autour de cette simple question : qu'est-ce qui est dans ou hors des tableaux ? Comme le résume Marc Rondeau, médecin conseiller technique national en charge des maladies professionnelles à la MSA : « La plupart des tableaux rapprochent un élément avec la survenue d'une maladie. Quand on arrive sur les pathologies provoquées par les pesticides, cela devient plus complexe. C'est un système ou la notion de preuve entre l'utilisation du produit et la survenue de la maladie n'est pas facile à amener. C'est le cumul sur des années de produits différents, utilisés à des moments différents, qui finit peut-être par provoquer une maladie ».

Deux pathologies font explicitement référence aux pesticides : la pathologie du tableau n°58 « maladies de Parkinson liées aux pesticides » rajoutée en 2012, et du tableau n°59 « hémopathies malignes provoquées par les pesticides », la dernière modification du tableau à l'heure actuelle, qui date du 5 juin 2015. Dans les derniers chiffres fournis par la MSA, ceux de l'année 2016, sur les 4 308 accords de reconnaissance de maladie professionnelle, ces deux pathologies ont représenté 61 cas (36 pour parkinson et 25 pour les hémopathies), « soit à peu près 1,5 % », d'après Marc Rondeau, médecin conseiller technique national en charge des maladies professionnelles à la MSA. À ces situations où les pesticides sont clairement évoqués, s'ajoutent les cas « mentionnant des produits susceptibles d'entrer dans la composition des pesticides » d'après l'Anses, qui en identifie 13 supplémentaires. Sur les années 2013-2016, « 97 % des maladies professionnelles liées aux pesticides sont ainsi représentées sur 4 tableaux : le 58, 59 et un peu le 10 (affections provoquées par l'arsenic) et le 19 (hémopathies provoquées par le benzène) », précise Marc Rondeau.

Le parcours du combattant

Même lorsqu'une maladie est présente dans le tableau, la procédure est loin d'être facile. Le malade doit d'abord faire un certificat médical initial par son médecin traitant puis une demande de reconnaissance auprès de sa caisse MSA. Le dossier sera alors traité par un médecin-conseil qui aura 3 mois pour déterminer si la pathologie est ou non dans les tableaux. Si la maladie n'est pas dans le tableau ou si la situation du malade ne remplit pas toutes les conditions, la MSA renvoie le dossier devant un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP). C'est le système dit « complémentaire ». Composé de trois experts médicaux dont un médecin-conseil de la MSA, le CRRMP va décider si la pathologie a un lien avec l'activité professionnelle du demandeur. Il prend sa décision en fonction d'un dossier contradictoire dans lequel l'employeur peut contester le caractère professionnel de la maladie.

Point essentiel : la charge de la preuve se renverse. À partir du moment où il est hors tableau, c'est au demandeur d'apporter les preuves du lien entre sa pathologie et son activité. C'est ce qui indigne le plus les associations de victimes. L'avis du CRRMP s'impose ensuite à la MSA qui le notifie au demandeur. Si ce dernier est reconnu, la MSA fixera un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) qui déterminera sa rente. Si c'est un refus, il pourra faire appel de la décision devant le Tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) qui peut demander un réexamen par un autre CRRMP.

 

 

A savoir...

COSMAP : les discussions vont reprendre

Peu connue, la Commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture, ou Cosmap, est au coeur du processus de création de tableaux de maladies professionnelles agricoles. Inactive depuis 2015, cette commission vient d’être modifiée dans sa composition et son fonctionnement par un décret du ministère de l’Agriculture publié au Journal officiel le 7 mars. Juin 2015 : c’est la dernière fois que la Commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture (Cosmap) s’est réunie, selon le ministère de l’Agriculture. Une information qui peut surprendre alors que les controverses autour de l’impact sanitaire de l’utilisation des phytos se multiplient. De fait, la Cosmap est obligatoirement consultée par le ministère pour l’adoption des décrets portant création ou révision des tableaux de maladies professionnelles agricoles. C’est donc un rouage central dans le système de reconnaissance du caractère professionnel d’une maladie pour les 5,6 millions de personnes affiliées à la MSA. La publication de l’arrêté de nomination de ses membres attendue avant le 1er septembre 2018 devrait relancer les travaux de la commission.
Des nouvelles données scientifiques et politiques
L’enjeu est de taille : depuis 2015, les études scientifiques apportent de nouveaux éléments sur le lien entre santé humaine et utilisation des pesticides. Pierre Lebailly, coordinateur de l’étude Agrican, prend l’exemple du cancer de la prostate : « Clairement, il n’y a aucune raison scientifique que le cancer de la prostate lié à l’utilisation de phytos n’ait pas un tableau ». Le questionnement ne porte pas que sur la création de nouveaux tableaux, mais aussi sur la modification des tableaux existants. Marc Rondeau, médecin conseiller technique national en charge des maladies professionnelles à la MSA, explique :
« On va faire en sorte d’améliorer les tableaux existants. Le tableau 59 par exemple pour le lymphome malin non hodgkinien : scientifiquement, il y a le même niveau de preuve que les myélomes soient liés aux pesticides. Il serait logique de les inclure dans le 59 ». Un point de vue qui a son importance : la MSA occupe 4 sièges de la commission et sa position lui permet d’avoir une vue d’ensemble des problématiques en cours en matière de maladies professionnelles. Par ailleurs, le gouvernement en place ne cache pas sa volonté de creuser le sujet du lien entre phytos et santé humaine. Ainsi, dans sa proposition de plan phytos, il prévoit de « renforcer la recherche sur les impacts des phytos sur la santé ».
Compromis social
En effet, en intégrant de nouveaux représentants d’organismes nationaux d’expertises (exemple : Anses), le nouveau décret cherche à « renforcer l’approche scientifique » de la Cosmap. Pour autant, du fait de la mixité de ses membres (scientifiques, mais aussi représentants de l’État, syndicats, associations de victimes), les avis qu’elle rend et les décrets qui en découlent ne sont pas une décision uniquement scientifique. Un ancien membre de la Cosmap se souvient d’ailleurs que la commission « ne se prononce que sur les conclusions de débats ayant eu lieu lors de réunions informelles en amont entre les services du ministère de l’Agriculture et les parties prenantes (syndicats, MSA, associations) ». Lorsque les données débattues sont totalement pertinentes, dit-il, il n’y a pas d’opposition. Dans le cas contraire, les discussions se poursuivent. Marc Rondeau lui aussi constate : « Il n’y a pas que du scientifique dans ces décrets. C’est un compromis social, un choix. Sur le plan scientifique, les médecins peuvent avoir des idées en estimant par exemple qu’une durée d’exposition de 10 ans pour le tableau 59, c’est trop ou pas assez, mais le choix a été fait. Chaque tableau a son histoire là-dessus. »