SYNDICALISME
Prix du lait, urbanisme, loup … les éleveurs expriment leur colère

Margaux Legras-Maillet
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Plus d’une trentaine d’agriculteurs, représentants de gendarmerie, Chambre d’agriculture et élus locaux étaient présents, le 25 mai au Gaec de la Tatte à Saint-Jean-de-Gonville pour le dixième rendez-vous des Jeudi de l’agriculture. Une rencontre mensuelle organisée par les syndicats FDSEA et JA 01. 

Prix du lait, urbanisme, loup … les éleveurs expriment leur colère
Plus d’une trentaine de personnes étaient présentes pour la dixième édition des Jeudi de l’agriculture. Photo/MLM

Avec deux jeunes installés, qui plus est en lait, le Gaec de la Tatte à Saint-Jean-de-Gonville fait figure d’exception et de modèle dans le département. Yann Christin, 24 ans, s'est installé avec son père en 2019. Son frère Loïc, 28 ans, les a rejoints l’année dernière, après la construction d’une nouvelle stabulation de 1 800 m2. Aujourd’hui, ils élèvent quelque 80 mères Montbéliardes, le tout pour une production moyenne de 9 500 kg/vache. Ils livrent leur lait aux Laiteries réunies de Genève, en lait standard. Avec 170 ha de SAU, dont 60 ha en alpages et 20 ha de cultures, ils possèdent la surface et la production alimentaire suffisantes pour augmenter leur cheptel. Leur objectif est d’ailleurs d’atteindre 110 voire 120 laitières dans les années à venir. 
 
Pays de Gex : plus que 23 producteurs de lait 
 
Une bouffée d’oxygène et une fierté pour leur père Vincent Christin. « J’étais à deux doigts de m’arrêter, confie celui qui est aussi le président de la coopérative laitière du Pays de Gex. Les jeunes ont dynamisé l’exploitation et la production laitière. » Rassuré pour son exploitation, l’éleveur l’est beaucoup moins pour la production de lait du Pays de Gex : « En 2001, nous étions 70 producteurs de lait, en 2014, nous n’étions plus que 36 et aujourd’hui 23. Dans quatre ou cinq ans, on sait qu’on en perdra encore sept ou huit pour départ à la retraite ou autre. On produisait quelque 38 millions de litres de lait sur la zone franche. Aujourd’hui on atteint difficilement les 27 Ml. » 
 
L’agglomération veut sanctuariser les espaces agricoles
 
Vincent Christin alerte aussi sur les difficultés de s’agrandir dans le Pays de Gex face à la pression foncière et urbaniste. Interpellé sur le soutien à l’investissement de l’agglomération, Patrice Dunand, son président, rappelle toutefois que « l’agriculture n’est pas une compétence de l’agglomération au sens légal. Pourtant des aides à l’installation ont existé. Nous souhaitons sanctuariser les espaces agricoles dans le cadre du PLUiH, signé en 2020, en retirant 300 ou 400 ha de terrain constructible. » À ce sujet, Olga Givernet, députée de la majorité de la troisième circonscription, souligne de son côté l’importance de la loi Zéro artificialisation nette et l’objectif de densification de l’urbanisme. 
L'hôte de la rencontre pointe également du doigt une certaine « tracasserie administrative » qu’il juge désincitative pour l’installation. Pour ce qui est de l’aide à l’installation, Justin Chatard, président des Jeunes agriculteurs du département, note une complexification de la Dotation jeune agriculteur depuis le transfert de compétence de l’État à la Région. 
 
« Le problème de fond, c’est le revenu des agriculteurs »
 
Autre frein à l’installation pour les agriculteurs présents : le prix du lait. Si dans le Pays de Gex, celui-ci est un peu plus épargné, car aux prix du marché suisse, la question reste d’actualité. « Le problème de fond, c’est le revenu des agriculteurs, souligne un éleveur présent. Le lait est au même prix qu’il y a trente ans. » Pour le président de la FDSEA, Adrien Bourlez, le modèle économique dans son ensemble est en cause : « À l’époque, où le libéralisme s’est intensifié cela nous allait bien parce que nous pouvions nous agrandir et nous mettre en Gaec. Aujourd’hui, cela ne correspond plus aux attentes de la société qui veut de plus petits élevages. Nous aussi, nous aimerions bien pouvoir vivre avec moins de vaches… Il nous faut un nouveau modèle économique, basé sur le libéralisme encadré », arrangue-t-il avec une tonalité plus politique. L’élu syndical revient à l’occasion sur l’enjeu de la loi Egalim, dont l’objectif était de sanctuariser la matière première agricole dans les négociations de prix. « Il faut que le système se mette en place », rassure-t-il. Plus pessimiste, Justin Chatard estime lui que le combat syndical n’est pas terminé et qu’une loi Egalim 3 voire 4 sera nécessaire. 
 
Le loup, une prédation haute tension 
 
Sujet pourtant brûlant dans le Pays de Gex, la présence du loup ne s’est que tardivement manifestée dans les discussions. « Il manque l’État pour parler du loup ! », lâche un des agriculteurs présents. Malgré l’absence des services de la préfecture, Adrien Bourlez invite tout de même les éleveurs à s’exprimer sur la question, alors que la saison aux alpages est sur le point de commencer. C’est d’ailleurs sur les hauteurs que Jacky Vibert en a aperçu un le dimanche d’avant. Agriculteur à Ferney-Voltaire, il n’est plus éleveur mais prend des vaches en pension en alpage. « Je ne trouve pas cohérent que l’État indemnise les pertes de vaches. Le problème devrait être traité en amont », a t-il confié. 
Adrien Bourlez et Justin Chatard n’ont de cesse de marteler leur soutien aux éleveurs face à ce « fléau ». « Le vrai débat c’est que certains pensent que le loup va régler tous les problèmes de la faune sauvage, mais il ne faut pas oublier que nos grands-parents le chassaient pour l’éradiquer parce qu’il s’attaquait aux enfants. Ce n’est pas si vieux », ajoute le président de la FDSEA. Un problème de taille pour les éleveurs du Pays de Gex. Non seulement, la protection des bovins est bien plus compliquée que celle des ovins et caprins, mais « la préfecture refuse d’appliquer les 20 % pratiqués en zone franche pour l’indemnisation des éleveurs, parce que la fédération de chasse est contre », ajoute Adrien Bourlez. Un dilemme épineux qui ne doit pas opposer chasseurs et éleveurs, souligne Guy Larmanjat, conseiller départemental, lui-même ancien chasseur. 
Remontés face à la pression de certaines associations environnementalistes pour la réintroduction et la protection de l’animal, certains expriment leur colère sans concession : « Je vous garantis que s’il y a une attaque, nous allons faire du bruit et on ne va pas tirer qu’avec les fusils, mais les poings aussi. »