EAU ET ASSAINISSEMENT
Les Canalisateurs de France appellent à plus d’investissement

M. B.
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Les canalisateurs du Sud-Est ont organisé les rencontres régionales de l’eau et de l’assainissement à Saint-Vulbas le 17 novembre dernier. Restructuration des réseaux d’eau et d’assainissement, décarbonation du secteur, partage de l’eau … plusieurs thématiques ont été abordées par les différents représentants de consommateurs (collectivités, Agence de l’eau, agriculteurs, etc.). 

 Les Canalisateurs de France appellent à plus d’investissement
Photo d'illustration/RSavereux

« Il y a un problème de sous-investissement dans les canalisations et les stations d’épuration. » Lors des rencontres régionales dédiées à l’eau et à l’assainissement, les acteurs du secteur ont pointé un manque de moyens financiers attribué à l’entretien des réseaux d’eau, et ce malgré l’annonce du Plan Eau par Emmanuel Macron le 30 mars dernier. Michel Réguillon, le président des Canalisateurs du Sud-Est, regrette ainsi une « sous-activité ponctuelle » alors que « la restructuration des canalisations n’a jamais été aussi importante ». Pour rappel, parmi les 53 mesures, le plan avait révélé l’existence de 170 « points noirs » où le taux de fuite est supérieur à 50 %. 
 
Des leviers pour décarboner le secteur 
 
La décarbonation est également un enjeu de premier plan pour le secteur, sachant que la majorité des émissions de CO2 sont liées au fonctionnement des infrastructures, ce qui laisse peu de marge de manœuvre, observe le président des Canalisateurs du Sud-Est. Alors que les canalisations pèsent 3 % des émissions au niveau national, Michel Réguillon évoque plusieurs leviers pour décarboner les chantiers : l’utilisation de véhicules et engins électriques, la réutilisation des chutes de canalisation (à la découpe) pour la construction de 1 000 km de réseau supplémentaire (soit une baisse de 1 500 tonnes de CO2 produites), ou encore l’utilisation d’un logiciel pour estimer et donc prévenir le niveau d’émission des chantiers. 
À ce sujet, le président des Canalisateurs du Sud-Est place beaucoup d’espoirs dans la 12ème programmation de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse, en cours de préparation. Celle-ci sera effective au 1er janvier 2025. « Tout ce plan vise à remettre l’eau dans les débats sur la transition écologique », précise Nicolas Alban, directeur de la délégation territoriale l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse. 
 
Une hausse des redevances à horizon 2025
 
Le directeur territorial de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse accueille aussi très favorablement la réforme du système de redevances. Dans les cartons depuis quelques temps, elle a été incluse dans le projet de loi de finances pour 2024. Ces redevances seront donc remplacées par une redevance portant sur la consommation d’eau potable, plus deux autres sur la performance des services (réseaux d’eau potable et système d’assainissement collectif). « Plus les stations d’épuration et les réseaux d’eau potable seront performants moins il y aura de redevance. C’est très vertueux. Cela pousse les collectivités à améliorer leur système de dépollution, leurs canalisations et donc à réduire leurs fuites », s’enthousiasme Nicolas Alban. 
Le directeur concède toutefois à la complexification d’une telle réforme en matière de suivi, en particulier pour les petites communes, qui devront fournir une base de données conséquentes. La réforme pourrait également être moins bien accueillie par les secteurs industriel et agricole, qui seront directement concernés par la hausse des redevances induite par le texte, notamment en matière d’irrigation. L’association Les Irrigants de France a d’ailleurs déjà dénoncé les répercussions que pourrait avoir une telle hausse pour la compétitivité et de pérennité des exploitations. 
 
« L’Agence de l’eau n’est pas un financeur ! »
 
Du reste, pour Nicolas Alban, le combat de l’Agence de l’eau n’est pas du ressort des canalisations ou des services d’eau potable, mais bien du prix de l’eau. « L’agence de l’eau n’est pas là pour combler le manque d’investissement, même si une ligne solidarité existera toujours pour les plus petits territoires. Le prix de l’eau doit suivre, l’Agence de l’eau n’est pas un financeur ! », souligne-t-il. Acerbe en la matière, le directeur de la délégation territoriale de Lyon, se justifie en invoquant la responsabilité des consommateurs, professionnels et collectivités. Et de prôner sans détour un système sous forme de bonus-malus : « il faut prendre l’argent à ceux qui ont un impact sur l’environnement et polluent pour le redistribuer à ceux qui sont vertueux. » 
À ce sujet, Pierre Rampa ne mâche pas non plus ses mots : « L’Agence de l’eau est déjà très ponctionnée par l’État ». Le président des Canalisateurs de France s’est dit scandalisé par le fait « d’aider des gens qui ne payent pas leur eau. Les chiffres sont têtus : au niveau national, on compte 330 entreprises de canalisations pour 5,5 milliards d’euros (Md€) de chiffre d’affaires et pourtant il manque 2 Md€ d’investissement. Qui va payer ? Le citoyen. Il ne faut pas parler du prix de l’eau mais du prix des services de l’eau. » Et d’ajouter : « Actuellement, les perspectives d’activités sont très contrastées selon les territoires, en particulier les territoires ruraux avec une absence d’investissement, parce que particulièrement touchés par l’inflation et le manque d’ingénierie. Il faut désiloter les débats. C’est la même eau pour tout le monde, sinon nous allons droit vers des conflits de territoires. C’est déjà le cas. On peut réconcilier l’irrigation et la protection de la ressource, il faut arrêter cette guerre de religion. Il y a de l’eau, même si elle ne tombe plus comme avant. » 
La question du partage de l’eau est également aujourd’hui sur toutes les lèvres. Elle a d’ailleurs fait l’objet d’une table ronde lors de ces rencontres régionales. Nicolas Alban observe une recrudescence de projets entrepris par les entreprises (hors-agricole) pour gagner en sobriété. « Auparavant, lorsque nous faisions des travaux sur les économies d’eau, on (entreprises de l’industrie, NDLR) nous répondait que cela n’en valait pas la peine, parce que l’eau ne coûtait rien, et aujourd’hui ils se sont rendu compte que ce n’était pas un problème de prix, mais de coupure d’eau. » 
Alors que la population augmente les territoires sont appelés à réduire leur consommation d’eau. La pluviométrie change et certains aménagements modifient la morphologie des territoires. Difficile équation où chacun tire sur la couverture. L’affaissement de la rivière d’Ain en est un exemple concret, constatent Alain Sicard, et Jean-Alex Pelletier, respectivement présidents du syndicat de la rivière d’Ain aval et ses affluents (SR3A) et du syndicat des eaux Dombes-Côtière. « À Vouglans, faut-il privilégier l’eau potable ou le tourisme, alerte Alain Sicard. C’est une vraie question. Nous avons des réunions chaque semaine dès qu’il n’y a plus assez d’eau et deux signatures sont nécessaires : celles des préfets de l’Ain et du Jura. » 
 
Investir dans le pluvial pour ralentir l’eau  
 
Pour le directeur de l’Agence de l’eau*, il est clair que « trop d’eau ne s’infiltre pas et repart trop vite à la mer. Il y a un vrai enjeu à ralentir le cycle de l’eau. » Pour Nicolas Alban, la solution ne réside toutefois pas dans la construction de retenues ou de barrages, des infrastructures qui « ne ralentissent pas l’eau, mais ne font que la réchauffer ». Un sentiment partagé par Jean-Alex Pelletier, le président du Syndicat des eaux de Dombes Côtière : « Il faut ralentir l’eau à tout prix avec de nouveaux tuyaux pour canaliser les eaux pluviales. » Même son de cloche pour Fabien Thomazet, conseiller irrigation à la Chambre d’agriculture et élu municipal à Rignieux-le-Franc, délégué à l’eau et à l’assainissement : « Avec le changement de régime des pluies, il nous faut ralentir l’eau. Dans l’Ain nous ne sommes pas forcément intéressés par installer des méga-bassines mais pour réalimenter les nappes nous devons trouver des solutions au niveau pluvial ». Seul représentant du milieu agricole à ces rencontres régionales, Fabien Thomazet appelle aussi à être réaliste : « nous sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait réduire les prélèvements. Le problème, c’est que quelle que soit la culture, on ne sait pas faire sans eau… Aujourd’hui, nous craignons presque plus la hausse des températures que le manque d’eau, et nous dépendons de la météo mais aussi de l’économique, certaines cultures ne sont pas rentables cette année. »
OAD, sélection variétale pour le milieu agricole, refonte des canalisations, investissements dans les réseaux d’eau et les stations d’épuration, interconnexion et réutilisation des eaux usées traitées (REUT), plusieurs leviers pour réduire la consommation d’eau sont étudiés. Sur le papier, sauce politiquement correcte, tout le monde semble s’accorder. Toutefois la réalité fait souvent montre de discordes exacerbées pour des projets censés accroître la sobriété en matière de consommation d’eau. Et Fabien Thomazet de conclure : « Nous y arriverons mais à condition qu’il n’y ait pas trop d’extrémisme autour de la table. L’État doit aussi mettre de l’eau dans son vin. Quand on voit qu’on parle d’heures dans les arrêtés sécheresse, on peut trouver d’autres solutions …»
 

*Plus précisément de la délégation territoriale de Lyon.