CLIMAT
Apport d’azote : les agriculteurs face à un calcul complexe

Ludivine Degenève
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Grandes cultures, maraîchage... Comment réagissent les cultures après la douceur hivernale de décembre ? Nous avons dressé le bilan à partir de retours de terrain.

Apport d’azote : les agriculteurs face à un calcul complexe
Les colzas sont très précoces cette année, fortement impactés par les douceurs hivernales. PHOTO/LD

Ça n’a échappé à personne, la fin d’année 2022 a été particulièrement douce pour la saison, avec des températures dans le département allant de 8 à 12 °C entre novembre et décembre. Ce climat a eu des conséquences sur de nombreuses cultures, provoquant une pousse précoce dans beaucoup d’exploitations. Ce phénomène s’explique par le taux de reliquat d’azote particulièrement haut cet été. « Tous les apports d’engrais n’ont pas été bien assimilés, explique Jérémie Pasteur, agent de relations cultures à la coopérative Bresse Mâconnais. Pour bien assimiler un engrais minéral, il faut 15 mm de pluie sur 15 jours ou 20 mm de pluie sur 20 jours. À Pont-de-Vaux, on a eu 100 mm de pluie entre le 15 et le 20 juin mais passé ce délai on n’en avait plus. »
Cet automne, les cultures ont été semées à des périodes classiques (l’orge au 15 octobre, et le blé au 20 octobre) mais la pluie a permis de valoriser l’apport d’azote présent dans le sol, ce qui explique la précocité des cultures. « Sur une date classique, au 15 janvier, on pourrait encore apercevoir les sillons et voir la terre entre les rangs. On serait au tout début du tallage. Là aujourd’hui sur les blés, on est à quatre talles et sur les orges à cinq talles », continue Jérémie Pasteur. Et Daniel Biez, président de la section grandes cultures de la FDSEA d’exploser : « Vu l’automne et le début d’hiver très doux qu’on a eus, les blés, orges, et colzas se sont beaucoup développés et sont dans un bon état végétatif, mais plus en avance que d’habitude. »
 
Un casse-tête pour le premier apport d’azote
 
Mais un taux trop important de reliquat d’azote peut causer des contraintes aux exploitants. En effet, la date du premier apport approche, ce qui peut être compliqué pour certains d’entre eux. « Vu qu’on a pas mal de reliquat azoté, les céréales vont trop se développer. Le premier apport d’azote va être compliqué parce que si on en met trop, ça va fortement augmenter le risque de faire verser la céréale. Si elle est couchée, on ne peut plus la récolter, ce qui induit une perte de rendement pour l’agriculteur », continue Jérémie Pasteur. Et Daniel Biez d’ajouter : « À l’œil, en voyant les cultures du colza, on sait qu’il faut diminuer la dose d’azote à mettre au printemps. » Il précise : « pas la supprimer, seulement la diminuer. »
Même son de cloche du côté des exploitants. Jean-Louis Guignard, installé en grandes cultures sur la commune de Pérouges, cultive colza, blé, orge, maïs, soja, et sorgho sur 180 ha de SAU. « Les colzas sont très avancés, mais le problème c’est l’azote. On verra en fonction de la météo, mais s’il fait beau les quinze premiers jours de février, je ne pense pas qu’il faille mettre de l’azote tout de suite. Si on le met trop tôt et qu’il fait très froid en février, ça va faire des dégâts. » Cette année, il a semé ses colzas au 28 août, contre début septembre les autres années, de peur d’avoir de trop petits colzas.
 
Risque de verse sur les ray-grass
 
Heureusement, ces températures clémentes n’ont pour l’instant pas eu d’impact majeur sur les cultures, et ce malgré la vague de froid des dernières semaines. En revanche, d’importantes chutes de neige pourraient coucher les ray-grass sur certains secteurs. « Ceux qui ont implanté des ray-grass à l’automne et qui n’ont pas fait de coupe se retrouvent avec des ray-grass qui sont haut comme la moitié du tibia jusqu’au genou. S’ils ont beaucoup de neige, celle qui est tombée sur les ray-grass va les faire verser. Quand elle va fondre, tout ce qui va être en dessous va pourrir », indique Jérémie Pasteur. Un sentiment confirmé par certains exploitants : « Pour le moment, ça n’a pas encore pourri mais c’est vrai que les ray-grass sont bien assez avancés, ce qu’il fait qu’ils ont tendance à se coucher, explique Georges Michelard, éleveur laitier à Saint-Étienne-du-Bois. L’idéal serait de commencer à les récolter assez rapidement. Après c’est la météo qui va déterminer la période de récolte. » Il ajoute : « Vu comme ils poussent, l’idéal serait de pouvoir faucher très vite pour qu’ils repoussent avec une jolie coupe mi-avril. » Pour conclure, la situation n’est pas encore critique. Reste à espérer qu’il n’y aura pas de gelées tardives.

Des températures clémentes, mais pas de quoi économiser le foin

Côté élevage, tout comme pour d’autres cultures, les conséquences des douceurs hivernales varient en fonction du département. « On a rentré les vaches plus tard que d’habitude vu qu’on avait de l’herbe dans les champs. Elles ont été rentrées au 15 novembre. D’habitude c’est plutôt au 1er novembre. On a gagné une quinzaine de jours », explique Delphine Richard, co-gérante du Gaec de Ruh, installée avec son mari en élevage laitier dans le Valromey. Dans cette partie de l’Ain, le froid est très présent, pouvant aller jusqu’à -8°C, la végétation est donc au ralenti. Mais l’exploitation ne manque pas de foin pour autant. « La première coupe ne s’est pas trop mal passée. Ce sont les coupes sur l’été qui ont manqué. On a dû en refaire cet automne, continue l’exploitante. Pour le moment pour les génisses on a le foin qu’il nous faut, c’est surtout pour les laitières qu’il manquerait du foin de qualité pour pouvoir faire le lait. »
De son côté, Fabienne Fixot, éleveuse à Saint-Martin-du-Mont craint un manque de stock de foin, bien que le troupeau soit rentré plus tard, en raison des températures relativement douces. « Cet été, on a tapé dans nos stocks d’hiver parce qu’avec la sécheresse, les vaches n’avaient plus rien à manger, explique-t-elle. Il ne faut pas qu’il fasse mauvais au printemps parce qu’on est juste bon en stock. » Enfin, concernant la viticulture, le département n’a pas été touché par la subite vague de froid, selon Jean-Luc Guillon, président du Syndicat des vins du Bugey.

L’impact est moindre pour le maraîchage

Installé en grandes cultures et maraîchage à la Boisse, Yannick Raphanel note un changement de comportement des consommateurs en raison des douceurs hivernales : « Il faisait trop lourd, et ils (les acheteurs, NDLR) ne voulaient pas les légumes du moment », enchaîne-t-il.
Par la suite, le refroidissement a eu des conséquences variables d’une culture à l’autre. « C’est un peu pénible pour le ramassage des poireaux. Comme ça gèle tous les matins et que ça ne dégèle presque plus l’après-midi, on a du mal à les ramasser, explique Jonathan Vericel, co-gérant du Gaec Flam’en Vert à Peyrieu. C’est la seule conséquence qu’on a du froid, avec le fait qu’on ne peut pas ouvrir les tunnels. Il faudrait ventiler pour que l’air ne soit pas confiné à l’intérieur par rapport aux maladies, mais on ne peut pas car il n’y a pas assez de chaleur en journée. » Les autres années, les exploitants profitaient des dernières belles journées pour ramasser un maximum de poireaux et les mettre au frigo pour passer la vague de froid. Cette année, malgré un hiver assez doux dans sa globalité, ils n’ont pas eu le temps, surpris par le changement rapide des températures. Néanmoins, les maraîchers ne pensent pas avoir affaire à une perte de rendement, mais plutôt à un creux de production.
Pour Francis Davoine, exploitant en maraîchage et co-gérant du Gaec des Plantaz, ce changement brutal de température est même une bonne nouvelle. « On est content qu’il y ait eu ce coup de froid pour justement bloquer un peu la végétation, même si ça n’avait pas vraiment bougé. Si on avait continué à avoir une chaleur comme ça, on peut penser que les pommiers et les poiriers auraient débourrés beaucoup plus tôt. Après ils sont très sensibles aux gelées printanières. » Le froid de ces dernières semaines a aussi permis de ralentir l’arrivée des insectes. « Heureusement que le froid est arrivé, parce qu’on commençait à voir voler quelques moucherons. »