CHAMBRE D’AGRICULTURE
Michel Joux : « la Chambre d’agriculture est un outil indispensable au développement de l’agriculture »

Élu président de la Chambre d’agriculture de l’Ain en janvier 2019 à la succession de Gilbert Limandas, Michel Joux revient sur son expérience et sa vision de « cet outil au service des agriculteurs », à près de six mois des prochaines élections. Entretien.  

Michel Joux : « la Chambre d’agriculture est un outil indispensable au développement de l’agriculture »
Michel Joux, président de la Chambre d’agriculture. Photo/ MB

Quel est le rôle de la Chambre d’agriculture et de son président ? 

Michel Joux : « La chambre d’agriculture est un outil au service des agriculteurs. Elle a l’ambition professionnelle de mettre en œuvre un projet politique emmené dans notre département par la FDSEA et les JA de l’Ain. Le président de la Chambre est le chef d’orchestre sur la méthode de travail pour mettre en place, point par point, le projet politique. Cette méthode doit engendrer des indicateurs de progression, que ce soit sur l’installation, la gestion de la ressource en eau … dans tous les domaines. Le boulot du président avec son équipe, c’est de mettre en place le projet politique porté aux urnes en 2019, par le syndicalisme, dans notre cas, majoritaire. Aujourd’hui il y a des discussions pour bâtir le projet politique qui va être porté en janvier 2025 par je pense une liste commune avec des hommes et des femmes qui vont s’engager à porter un projet politique qui va être construit, je l’espère dans la continuité. » 

Quelles sont les qualités d’un bon président de Chambre ?

M. J. : « Le président a des convictions, des valeurs, de la persuasion, un sens de l’écoute assez affûté. La qualité d’un président de Chambre, c’est d’être là, non pas dans une certaine neutralité puisqu’il y a un projet politique, mais dans la recherche de l’équilibre, du compromis. Je ne parle pas d’un compromis mou, qui finalement fait plaisir à tout le monde et surtout à personne, mais bien de trouver un équilibre, c’est-à-dire que le président est là aussi pour trancher, après discussion. Avec l’expérience, je mets un point d’honneur, lorsque quelqu’un n’est pas d’accord, à ce qu’il propose autre chose qui puisse emmener au consensus. Le président a une responsabilité vis-à-vis de ses propos tenus. On n’est pas à la foire du village, les propos doivent être construits, auquel cas cela entacherait la crédibilité de l’organisme. Il faut aussi être en capacité de partager, de savoir déléguer, c’est-à-dire de savoir-faire confiance, c’est indispensable. Il faut laisser les équipes travailler, notamment techniquement, puis le bureau et la session tranchent. »

Au regard des dernières mobilisations des agriculteurs, d’aucuns pensent que les prochaines élections s’apparenteront à un référendum pour la profession agricole. Qu’en pensez-vous ?

M. J. : « Je n’aime pas ce terme de référendum. Quand on regarde ce qui se passe en France ces dernières années, lorsqu’il y a un référendum, les gens ne répondent pas à la question et expriment plutôt leur mécontentement vis-à-vis d’un système en ne votant pas. Dans ces cas-là les gens ne votent pas pour un projet mais contre un système en pensant que cela peut faire bouger les choses ; c’est parfois le cas, mais le vote de contestation donne aussi parfois un projet politique qui n’est pas du tout celui que l’on avait imaginé. Lors des mobilisations, on a vu des agriculteurs qui n’étaient parfois pas syndiqués, d’autres qu’on ne voyait plus depuis longtemps et qui sont revenus. S’ils sont venus, c’est qu’ils croient encore en quelque chose. À voir si ces gens se positionneront au moment des élections, mais voter sans regarder le projet politique me paraît délicat ; un vote contestataire sans proposer de solutions, c’est l’anarchie. Est-ce que tous les projets politiques qui se présenteront aux élections trouveront des solutions pour chaque problématique, ce n’est pas certain, ce serait trop beau, mais l’important pour les agriculteurs, c’est d’avoir la bonne posture face à ces élections et pour cela il faut comprendre leur enjeu. »

Quel est justement aujourd’hui l’enjeu de ces élections et pourquoi sont-elles si importantes pour la profession agricole ? 

M. J. : « Il est extrêmement fort. L’enjeu, c’est que les Chambres d’agriculture soient reconnues par les agriculteurs. L’enjeu, n’est pas de placer des personnes à telle ou telle fonction, mais bien de porter un projet politique avec des valeurs professionnelles. En fonction du résultat des élections, le projet politique n’est pas le même pour les six ans à suivre. Le défi aujourd’hui, c’est que les agriculteurs ne comprennent plus le rôle de cet outil dans ce qu’il peut apporter aux entreprises et qu’ils n’en voient qu’une structure qui coûte de l’argent. C’est vrai pour la Chambre comme pour toutes les OPA. L’enjeu majeur, au-delà d’accompagner sur les sujets, va être d’expliquer par de la discussion et des preuves que l’outil est indispensable pour le développement de l’agriculture. Et si on y arrive, cela veut dire que les gens iront voter et qu’on mettra en place un projet politique qui sera sorti des urnes. Il ne faudrait pas que l’on puisse avoir que 7 ou 8 % de votants. La crédibilité des équipes de la Chambre face à l’État, c’est aussi les urnes. On est encore à près de 50 % de votants aujourd’hui, mais tous les six ans, on s’aperçoit que les gens sont moins impliqués dans le vote. C’est à mon avis une erreur stratégique, mais cela signifie que l’on n’est pas assez bon pour expliquer son intérêt au collectif et notamment à la nouvelle génération d’agriculteurs. »

Mise en place après la Seconde guerre mondiale pour nourrir le pays et construire une agriculture forte, la politique dite de co-gestion entre l’État et la profession (représentée notamment par les syndicats agricoles et les Chambres d’agriculture) est-elle en péril selon vous ?

M. J. : « Je ne sais pas si le terme de co-gestion est le bon. Le fait d’avoir mené une politique un peu commune entre la profession et l’État a donné des choses extrêmement intéressantes, notamment sur la souveraineté alimentaire, ce qui est beaucoup moins le cas maintenant. La co-gestion, y-compris de notre côté, a-t-elle été suffisamment bien menée ? Sans doute que non. Dans les années 1960, il y avait un objectif clair : nourrir la France ; puis le balancier s’est inversé et on a commencé à dire que la production c’était trop et qu’il fallait faire de l’environnement. On a délocalisé la production agricole ailleurs, pour des raisons aussi parfois économiques parce que ça coûtait moins cher. Ça a été une erreur stratégique avec laquelle la FNSEA n’a jamais été d’accord, et là la co-gestion n’a pas été assez efficace et ça fait quinze ans que cela dure. En ce moment, on nous dit plutôt que si on ne fait pas comme si ou comme cela, on nous sanctionne. Ce n’est pas une politique de confiance. La co-gestion doit continuer. Pour avoir des résultats, il faut faire valider la méthode par le plus grand nombre en local et c’est ce que nos dirigeants ont perdu de vue. C’est ce qu’on réclame depuis longtemps. Avec cette méthode, si les résultats ne sont pas bons, on modifie la feuille de route. »

Depuis mardi 14 mai, le projet de loi d’orientation agricole est examiné à l’Assemblée nationale. Va-t-il dans le bon sens ? 

M. J. : « Elle n’a pas encore été votée et elle peut encore évoluer mais oui, elle va dans le bon sens, avec un bémol toutefois : elle n’est pas assez ambitieuse. En 1962, la loi Pisani a donné le cap pour les quarante années qui ont suivi. Avec cette nouvelle LOA, on a l’impression que seul le premier article donne un cap en inscrivant « l’agriculture, la pêche et l’aquaculture comme d’intérêt général majeur en tant qu’elles garantissent la souveraineté alimentaire de la Nation. » Les autres articles traitent davantage d’aspects techniques qui pourraient parfois faire l’objet d’un décret mais qui n’ont pas grand-chose à faire dans une loi d’orientation agricole. Cette loi doit donner le ton pour arriver à sauvegarder la souveraineté alimentaire mais il manque des chiffrages. Pour arriver à mettre en place des outils, il faut avoir un objectif autrement on navigue vue. L’intention n’est pas mauvaise mais l’ambition politique insuffisante et les 18 articles ne sont pas du même niveau, ce qui va donner des débats importants à l’Assemblée nationale alors que l’ambition de conserver une agriculture forte est partagée par tous. On est plus sur une approche dogmatique que pragmatique. »

Propos recueillis par Margaux Balfin