ADVENTICES
Désherbage mécanique : échanger pour faire des choix éclairés

Margaux Legras-Maillet
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En système grandes cultures ou polyculture-élevage, sur terrain limoneux, argileux ou argilo-calcaire, en agriculture biologique ou conventionnelle, la question de la gestion des adventices se pose chaque année. Le désherbage mécanique est une des réponses, mais comment l’intégrer à son itinéraire technique ? Quels outils, quels coûts ? L’Adabio, la FDCuma et David Stephany d’Alter agro conseil, ont décidé d’organiser trois matinées d’échanges sur le sujet.

Désherbage mécanique : échanger pour faire des choix éclairés
Le désherbage mécanique est une des réponses à la lutte contre les adventices, le tout sans utiliser de produits phytosanitaires. Photo/MLM

C’est sur le sol limoneux de la Dombes que le premier rendez-vous de ce rallye d’échanges a été donné, sur l’exploitation de Nicolas Girard à Romans. Une initiative prise dans le cadre du plan « Écophyto » pour réduire et améliorer l’utilisation des produits phytosanitaires. Au programme : témoignages de pratiques et conseils de techniciens sur trois types de matériels : bineuse, herse étrille et houe rotative. 
 
La bineuse pour travailler l’inter-rang
 
Mathieu Cormorèche, est installé à Mionnay, en agriculture biologique, sur 85 ha de SAU. Il cultive maïs, blé, soja et tournesol ainsi que des carottes et pommes de terre sur 8 ha et pratique le désherbage mécanique depuis le début des années 2000. En 2018, il fait l’acquisition d’une bineuse Monosem 6 rangs 80 cm avec guidage (à savoir RTK, caméra Claas 2D et relevage guidé par GPS). Elle entame sa sixième campagne. « Auparavant j’utilisais une bineuse frontale, puis j’ai voulu essayer la caméra pour corriger les écarts du GPS qui ne permet pas de s’approcher suffisamment de la ligne », explique-t-il. La bineuse avec système de guidage est également bien moins éreintante qu’une frontale, ajoute-t-il : « J’arrive à biner 30 ha maximum par jour aujourd’hui, contre une quinzaine maximum avant. » Le système de relevage permet aussi d’être plus précis, d’autant plus avec la nouvelle génération de caméra 3D, mieux adaptée lorsque la parcelle est infestée d’herbe. Le système permet par ailleurs de limiter en partie les effets du vent grâce à des palpeurs intégrés.
Techniquement parlant, la bineuse permet de travailler l’inter-rang, mais il est aussi possible de travailler le rang grâce à des équipements spécifiques ajoutés à l’outil. C’est le choix qu’a fait Mathieu Cormorèche en installant des roues de rotoétrille pour travailler le sol sur deux ou trois centimètres de profondeur. Celles-ci sont réglables et il est conseillé de les laisser le plus souple possible afin de ne pas arracher les plants. Lorsque ceux-ci sont trop grands (jusqu’à 15 cm pour les sojas par exemple), Mathieu Cormorèche invite à utiliser les doigts Kress de la bineuse : « Ils sont moins passe-partout et on roule moins vite avec, mais on n’arrache moins de feuilles. L’enjeu avec cet équipement, c’est de bien maîtriser la profondeur », précise-t-il.
 
Profondeur, temps de travail et coûts
 
En moyenne, Mathieu Cormorèche réalise trois à quatre passages de bineuse par parcelle, soit toutes les semaines ou tous les dix jours environ. Il réalise un premier passage dès le stade deux feuilles pour les maïs (soit trois ou quatre centimètres de haut), et de la première feuille pour les sojas. L’agriculteur avoue ne quasiment plus utiliser d’outil de désherbage en plein, type herse étrille ou houe rotative. « Cette année j’ai passé la houe parce qu’il a beaucoup plu, et je passe la bineuse même s’il n’y a pas d’herbe. » Pour le passage de la bineuse, Mathieu Cormorèche a pour habitude de commencer assez tôt le matin pour que les adventices arrachées prennent le soleil toute la journée et n’aient aucune chance de repartir. Ce travail nécessite un peu d’organisation, concède David Stephany, conseiller indépendant polycultures-élevage en techniques alternatives et biologiques. Quitte à décaler la période de semis pour être sûr d’avoir de la chaleur au moment du passage. 
Avec l’expérience, Mathieu Cormorèche préfère aujourd’hui travailler de moins en moins en profondeur, deux ou trois centimètres seulement afin de ne pas remonter la terre fraîche sur le dessus, ce qui ferait germer l’herbe en dormance dans le sol. « J’ai mis des socs plus fins à l’avant pour passer vers les protège-plants (permet de ne pas mettre de la terre sur le plant, mais au pied pour étouffer l’herbe et autres adventices, NDLR). Ceux de l’arrière sont plus larges pour ne pas aller trop profond », détaille-t-il. La bineuse de l’agriculteur est également équipée de dents renforcées, utiles sur terrains caillouteux. 
Pour une première utilisation, il conseille d’aller doucement, le réglage de l’outil étant relativement pointilleux. L’agriculteur estime qu’une puissance de 100 cv est nécessaire pour une bineuse six rangs, et 120 cv pour une huit rangs, pour une vitesse variant de 5 à 10 km/h.  Côté coût, compter environ 15 000 € en moyenne pour une bineuse six rangs classique et 20 à 30 000 € de plus avec système de guidage. Selon la vitesse, la FDCuma et David Stephany estiment la consommation entre 2 l et 5 l/ha. Quant au temps de travail, il varie aussi selon la vitesse, entre 3 et 5 ha/h. De son côté, Nicolas Boinon, directeur de la FDCuma conseille de bien prêter attention au service après-vente des concessionnaires. 
 
La houe pour le décroutage
 
Après la bineuse, place aux échanges sur la herse étrille et la houe rotative, deux matériels de désherbage mécanique en plein, appartenant pour la première à la Cuma de Romans, pour l’autre à un adhérent de la Cuma. Nicolas Girard cultive soja, tournesol, blé, orge, féverole et mélange de triticale et de pois sur 95 ha. Le reste de sa SAU, 25 ha, est en prairies permanentes ou plantées de luzerne ou de mélange de ray-grass anglais, trèfle violet et fétuque. Il laisse également volontairement en jachère quelques parcelles mellifères à disposition des abeilles d’un collègue apiculteur et des chasseurs. Le tout en agriculture biologique. 
L’agriculteur utilise les deux outils sur son exploitation. La houe, Carré, de six mètres, est un matériel indiqué dans le décroutage des sols. « Des cuillères vont venir taper dans le sol, mais pour que ça marche, il faut avancer », explique-t-il. Une vitesse minimale de 10 km/h est conseillée. David Stephany conseille de ne pas hésiter à monter à 16, voire 18 km/h. Nicolas Girard conseille vivement d’équiper le tracteur d’un pare-pierre. La houe rotative peut paraître agressive, en particulier sur sols limoneux mais elle se complète bien avec la herse étrille très peu efficiente sur croute de battance. « On peut l’utiliser dès la sortie de l’hiver au mois de mars sur du blé, en plein. Pour les cultures de printemps, le mieux est de la passer quatre jours après le semis », remarque l’agriculteur. Certains montent également les cuillères à l’envers pour un travail du sol plus en douceur. 
 
La herse étrille en complément
 
La herse étrille, une Einböck à plateaux (six paniers) de neuf mètres, pour celle de la matinée d’échange, vient, elle, en complément. « L’idéal, c’est de faire un faux-semis et de passer la herse étrille avant de semer pour bien arracher les adventices. On ne peut pas toujours le faire, surtout quand on a 40 ha à semer et que la fenêtre d’ouverture est courte. D’autant plus qu’on ne prépare pas forcément des sols limoneux un mois à l’avance », concèdent Nicolas Girard et Franck Loriot, conseiller machiniste à la FDCuma. Toutefois, lorsque cela est possible, cela permet de réaliser 40 % du travail de lutte contre les adventices avant semis estime l’agriculteur. Franck Loriot alerte par ailleurs : si certaines herses sont vendues comme adaptées aux cultures et aux prairies, c’est rarement le cas. « Pour une prairie, comptez 8 mm pour les dents et 6 ou 7 mm pour le désherbage. » Une observation partagée par Nicolas Girard : « J’ai essayé ma herse sur prairie. Elle a fait 100 ha la première année. J’ai vite arrêté, les dents cassaient toutes les unes après les autres et le châssis n’était pas adapté. » 
Nicolas Girard réalise au moins trois passages par parcelles entre la houe et la herse sur culture de printemps, en plus d’un passage de bineuse. « On ne peut pas commencer trop tôt le matin, il ne faut pas qu’il y ait de rosée et il doit faire chaud, note Nicolas Girard. Il faut donc réfléchir à son organisation, notamment si on est en Cuma parce qu’on ne peut pas utiliser le matériel dix heures par jour. » À noter que la herse étrille peut s’utiliser en pré et post-levée, jusqu’au stade six feuilles. 
 
Des conditions de pratique à évaluer 
 
Pour pratiquer le désherbage mécanique, plusieurs conditions sont à prendre en compte. En particulier les périodes de chaleur au moment du passage ou encore la profondeur du semis. Ces circonstances demandent parfois de décaler la date de semis. Parce que c’est une pratique particulièrement sensible aux conditions météorologiques et aux types de sols, Franck Loriot estime qu’il est difficile de faire l’économie d’un de ces matériels (bineuse, houe ou herse) pour avoir le choix. Toutefois, il souligne le poids financier de ces investissements. « Mieux vaut bien réfléchir avant de s’en mettre pour 80 000 € autour du ventre. »
Le désherbage mécanique est par ailleurs utilisé pour gérer une infestation aux adventices sans utiliser de produits chimiques. « C’est un des leviers, mais cela ne suffit pas », insiste Margaux Thirard. Pour la conseillère Adabio, la première chose à penser, c’est la rotation et la diversité des cultures. La gestion de l’inter-culture est également un point important. Durant cette période, il est possible d’avoir recours à plusieurs stratégies pour lutter contre les adventices : déchaumage, faux-semis, couverts, etc. Décaler la date de semis et opter pour une fenêtre moins propice à la levée des graminées est aussi une solution intéressante pour limiter la contamination des céréales. En d’autres termes, le désherbage se réfléchit bien avant le semis et doit s’intégrer dans l’ensemble de l’itinéraire technique pour être efficace et rentable.