ENVIRONNEMENT
Phytosanitaires : comment concilier production agricole et santé publique ?

Patricia Flochon
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Organisée par le syndicat d’Eau Potable Bresse Dombes Saône le 8 novembre dernier à Saint-André-de-Corcy, la soirée ciné-débat sur le thème « Agriculture et eau du robinet » aura eu le mérite de faciliter les échanges et de dépasser les clivages entre acteurs de l’eau, agriculteurs, citoyens et monde associatif. 

Phytosanitaires : comment concilier production agricole et santé publique ?
Ils étaient nombreux à venir s’informer et échanger sur les enjeux de préservation de l’eau mais aussi sur les problématiques agricoles. PHOTO/PF

En préambule de ce débat qui ne se voulait pas « à charge » contre le monde agricole, mais au contraire constructif pour trouver collectivement des leviers de progrès, était projeté le documentaire La Beauce, le glyphosate et moi, suivi d’une table-ronde autour de l’agriculture du secteur Dombes Saône. Le pitch du film (réalisé par Isabelle Vayron, journaliste / documentariste) : « Personne ne veut de résidus de glyphosate dans son assiette. Mais j’habite au cœur de la Beauce et mes voisins agriculteurs disent qu’ils ne peuvent pas s’en passer : interdire le glyphosate ce serait le remplacer par d’autres herbicides, consommer plus de carburant pour labourer, voir ses champs envahis de mauvaises herbes et ses rendements s’effondrer. Sans compter qu’ils ne sont pas bien sûrs que le glyphosate soit vraiment dangereux pour la santé. Comme je les ai côtoyés pendant deux ans, ils m’ont presque convaincue. » Un film documentaire qui prend des allures de road movie, puisque qu’on y voit Isabelle Vayron sillonner la Beauce à la rencontre d’agriculteurs et agricultrices, donnant la parole aussi bien aux producteurs conventionnels qu’aux bio, offrant un regard lucide sur les enjeux liés à l’évolution des pratiques agricoles. Un regard qui incite aussi à l’analyse du comportement du consommateur, ainsi que la responsabilité de la classe politique…
 
Changement de pratiques : du raisonné au raisonnable
 
Didier Muneret, président du syndicat d’Eau Potable Bresse Dombes Saône, avouait son inquiétude quant à l’avenir : « On a un peu l’impression d’être pris entre le marteau et l’enclume, entre l’ARS* et l’administration. Un programme réglementaire d’analyses est établi par l’ARS que l’on doit suivre. Sur 1 000 pesticides connus, on en recherche à peine 300 dans l’eau. Donc du jour au lendemain on peut avoir des non conformités par rapport à des données que l’on recherche. Les analyses changent et évoluent au fil de l’eau. Et dès lors qu’un pesticide est interdit, on nous en sort un autre d’un carton. On peut comprendre le monde agricole qui fait évoluer ses pratiques, mais je ne suis pas serein ». Sur ce volet du changement des pratiques, des solutions existent et sont appliquées, depuis déjà longtemps parfois, en Beauce comme ailleurs : rotation des cultures, désherbage mécanique, nouvelles cultures, etc. Jean Ray, céréalier à Civrieux, témoigne : « Une partie de mes parcelles sont dans le périmètre d’approche du captage. J’ai un triple objectif sur mon exploitation : produire, le faire dans des conditions durables pour pouvoir transmettre une exploitation viable et résiliente à mon successeur, et dégager un revenu dans un contexte de prix mondialisés et réglementaire. Ce n’est pas simple. J’ai fait le choix d’une agriculture raisonnée. Sur la base de données agronomiques et l’utilisation de produits de synthèse uniquement lorsque c’est nécessaire, sur la base d’observations ».
 
« Nous sommes des gens responsables »
 
Dans la salle, on réagit. Les questions s’enchaînent : existe-t-il un accompagnement pour la mise en place de nouvelles plantes moins gourmandes en eau ? Quid des agriculteurs des irriguent durant les périodes de sécheresse ? Pourquoi utilise-t-on encore de l’eau potable pour tirer la chasse de nos toilettes ? etc. À la première, Laurence Garnier, chargée de mission agronomie environnement à la Chambre d’agriculture, répond : « Le rôle de la Chambre d’agriculture est d’accompagner, de conseiller les agriculteurs, de recueillir des références, et de développer des partenariats avec les collectivités. Il faut mettre en place des filières structurées. La rotation passe aussi par ces nouvelles cultures ». Et Jean Ray de préciser : « Cela fait déjà 20 ans que je cultive du sorgho, mais en période de stress hydrique j’observe la même chute de rendements aussi bien en sorgho qu’en maïs. Il ne faut pas non plus tomber dans le catastrophisme. L’agriculture évolue. On a des leviers pour utiliser moins de pesticides, des produits moins persistants. C’est aussi la sélection variétale, la rotation des cultures, les couverts végétaux… Il faut faire confiance aux capacités d’évolution du monde agricole ». Gilles Dubost, éleveur, apporte alors un témoignage fort : « Nous sommes des gens qui ne faisons pas n’importe quoi. On est très encadrés. On utilise des produits homologués. On fait des plans de fumure, et nous avons un suivi très réglementé. Nous sommes des gens responsables ! Nous avons les moyens de rester productifs tout en utilisant un minimum de produits phytosanitaires, avec des outils de plus en plus performants et de plus en plus précis ». Et d’ajouter à propos de la gestion de l’eau : « Aujourd’hui on ne consomme qu’1 % de la quantité d’eau qui tombe sur notre département. Il faut réfléchir à la stockée. Le maïs est la plante qui valorise le mieux l’eau. Il sert à nourrir les animaux. La nature, c’est un équilibre. On essaie de faire notre métier au mieux mais il faut aussi que l’on puisse le faire correctement, et nous n’avons pas parlé du rôle de la grande distribution… ».
 
Responsabilités partagées…
 
Trop souvent accusé, pointé du doigt, l’agriculteur ne serait-il pas l’arbre qui cache la forêt… Car comme l’explique dans le film Aurélie Hallain, agricultrice en Eure-et-Loire, « les imports du Canada et du Brésil ont des résidus de produits phytosanitaires, dont le glyphosate. Or pour permettre l’importation de ces produits agricoles, l’État a relevé les seuils. Cette concurrence déloyale est intenable pour les agriculteurs ». Et quid des plats préparés, dont on ne connaît pas la provenance des aliments qui les composent. Le documentaire dénonce également « une volonté des politiques de développer du local alors que dans le même temps on ferme les yeux sur les accords du Gatt**». Entre accords de libre-échange mondiaux en décalage avec les normes imposées aux agriculteurs français, un étiquetage flou, voire inexistant de certains produits transformés, un consommateur qui dit comprendre les agriculteurs mais victime du système au moment de passer à la caisse…, l’équation est complexe pour trouver le juste équilibre entre préservation de l’environnement et de la qualité des eaux, une juste rémunération des agriculteurs, et la préservation du pouvoir d’achat.  
 
* Agence régionale de santé.
** Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce.