DROIT RURAL
Agrivoltaïsme : le socle juridique reste fragile

La réglementation française sur l’agrivoltaïsme va loin dans les détails, mais elle risque d’être malmenée car son socle juridique n’est pas garanti. La journée récemment organisée par le think tank Agridées a révélé que la réglementation pose des questions juridiques, parfois plus qu’elle n’en résout, et que la construction du droit de l’agrivoltaïsme ne se fera efficacement qu’à l’examen des réalités du terrain.

Agrivoltaïsme : le socle juridique reste fragile
"Le régime de l’agrivoltaïsme mérite d’être clarifié », estime Bernadette Le Baut-Ferrarese, professeure de droit public à l’Université Jean Moulin Lyon 3. ©DR

La loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération des énergies renouvelables (AEnR) est à peine promulguée, et ses décrets toujours en attente, que des failles juridiques apparaissent. Lors des 21èmes Rencontres de droit rural co-organisé par Agridées et l’Association française de droit rural (AFDR) sur le thème « Le photovoltaïque agricole à la lumière du droit », les juristes ont voulu prévenir que les choses ne se passent pas forcément comme prévu. Des surprises s’annoncent : les sociétés civiles agricoles peuvent être juridiquement attaquables, le droit le mieux adapté n’est pas forcément le droit rural mais plutôt le droit urbain mais, enfin et surtout, des conflits d’usage des sols peuvent apparaître, les agriculteurs et les énergéticiens étant chacun dotés de munitions juridiques puissantes. Un champ de bataille en perspective si les questions juridiques ne sont pas anticipées.

Sociétés civiles : risque de la dissolution

« Les sociétés civiles en matière agricole se développent. Elles sont 180 000, toutes formes confondues », a indiqué Lionel Manteau, avocat honoraire au barreau de Compiègne, spécialiste en droit rural. L’activité photovoltaïque étant dissociée de l’activité agricole, il peut être commode pour des agriculteurs de constituer des sociétés civiles. Mais ces sociétés civiles ne sont pas en sécurité juridique. « Vous risquez à tout moment de voir le principe d’acte de commerce devenir prépondérant et d’avoir ainsi une société commerciale de fait. On peut alors avoir à dissoudre la société civile. » La réalisation d’une action étrangère à l’objet social « est constitutive d’une faute de gestion, avec des conséquences possibles comme la nullité d’un acte, un risque en termes de protection sociale, de droit du travail ou de non prise en charge d’un sinistre par une compagnie d’assurances », a-t-il signalé. Une autre fragilité de la réglementation est que les décrets le concernant ne sont pas encore publiés. Le droit qui régit les questions d’espace est celui de l’urbanisme, a indiqué Bernadette Le Baut-Ferrarese, professeure de droit public à l’Université Jean Moulin Lyon 3. Avant d’implanter des panneaux photovoltaïques, il faut s’assurer que l’installation ne contrevient pas à la loi climat et résilience (LCR) du 22 août 2021. Celle-ci comporte un volet important de garantie contre l’artificialisation des sols, l’artificialisation étant caractérisée par « l’altération durable d’un espace ». Traduction de cette obligation dans le code de l’urbanisme : les installations « n’affectent pas durablement les fonctions écologiques des sols (fonctions biologiques, hydriques et climatiques ni, bien sûr, le potentiel agronomique du sol) ». La réglementation est formelle, mais le décret d’application de la LCR qui garantit le maintien d’un couvert végétal adapté à la nature du sol n’est toujours pas paru, alors que la loi AEnR est promulguée. « Le régime de l’agrivoltaïsme mérite d’être clarifié », a commenté la professeure de droit public.

Conflit possible

S’il est un sujet sur lequel la complexité des réalités de terrain peut apparaître en vraie grandeur, c’est celui des interférences entre le bail emphytéotique (bail de long terme, d’au moins 30 ans), consenti à l’exploitant photovoltaïque, et le bail rural, consenti en faveur de l’exploitant agricole. « Aucune restriction ne peut être insérée dans un bail emphytéotique. Le titulaire d’un tel bail est pour ainsi dire titulaire d’un droit de propriété temporaire », a expliqué Guillaume Lorisson, notaire à Dijon. « Le cœur de la difficulté réside dans l’équilibre à trouver entre le droit de deux preneurs sur un même site », a-t-il résumé. Le statut du fermage donnant un droit fort à l’exploitant agricole, aucun contrat photovoltaïque ne pourra être régularisé sans son consentement préalable. De plus, le fermier fait partie du tour de table entre le propriétaire foncier et l’énergéticien lors du versement de la redevance versée par l’exploitant photovoltaïque. Souvent, la moitié de la redevance est versée au fermier. Pour autant, si les raisons économiques de la rémunération du fermier semblent évidentes, « leur fondement juridique est contestable », a-t-il poursuivi. En effet, n’étant pas le bailleur, il n’a pas vocation à percevoir de rémunération de la part de l’énergéticien. « Se pose alors la question de la nature juridique d’un tel versement », a fait observer Guillaume Lorisson. En pratique, « il est généralement convenu, qu’à terme, cette indemnité aura vocation à revenir en totalité au propriétaire foncier ». Toutes ces interrogations font partie des « ambivalences du régime » de l’agrivoltaïsme résumées par Benoît Grimonprez, professeur à l’université de Poitiers. « Même si on nous dit que les installations solaires sont des composantes structurelles de l’exploitation agricole, elles n’entraînent pas de fusion d’activités économiques. Demeurent alors sur le même site deux activités, « avec tous les risques d’étincelles avec le droit rural », a-t-il lancé, estimant que ce serait « une erreur de tout réglementer ». « Pour l’homme de la rue, le droit s’arrête à la réglementation. Pour nous, le droit commence à la réglementation », a-t-il conclu.

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