SYNDICALISME
La profession agricole aux abois face à la crise énergétique

Ludivine Degenève
-

La FDSEA a organisé, lundi 19 décembre, son annuel conseil fédéral. La rencontre a eu lieu à la Maison des Pays de l’Ain à Saint-Étienne-du-Bois et a réuni les membres du syndicat et les représentants des OPA. Parmi les sujets abordés, la question de la hausse du coût de l’énergie est encore et toujours au centre des débats. 

La profession agricole aux abois face à la crise énergétique
De gauche à droite, Édouard Jannot, directeur de la FDSEA, Adrien Bourlez, président du syndicat, Jonathan Janichon et Gilles Brenon, secrétaires généraux. PHOTO/ LD

En cette fin d’année, et à la vue de la conjoncture 2023, l’alarme n’a jamais été aussi forte. Lors du conseil fédéral organisé par la FDSEA le 19 décembre à Saint-Étienne-du-Bois, la question de la crise énergétique est au cœur de la discussion. « On est quand même confronté à la réalité : les coûts flambent de partout. La répercussion sur les produits va être difficile. La difficulté principale, c’est le fait que nous sommes en économie longue face à des gens qui spéculent plusieurs fois par jour », annonce en préambule Adrien Bourlez, président du syndicat. L’augmentation du prix de l’énergie s’observe depuis 2021. Cette hausse est due à plusieurs facteurs : la crise de la Covid, qui a, dans un premier temps, fait baisser la demande, mais qui est repartie de plus belle une fois le pic passé. Les centrales nucléaires françaises sont également en maintenance, de plus, le parc nucléaire français est vieillissant. Enfin, la guerre en Ukraine est aussi un critère à prendre en compte dans l’équation pour calculer le coût de l’électricité en France : les prix du gaz et de l’électricité étant liés, les cours se sont envolés. Après une première proposition de bouclier tarifaire pour limiter la hausse du coût de l’énergie pour les entreprises, la profession agricole était montée au créneau, celui-ci n’ayant aucun impact pour tous les plus gros consommateurs d’énergie. Grâce à cette mobilisation syndicale du réseau, la semaine dernière le gouvernement a annoncé de nouvelles propositions dans le but d’aider les entreprises. Tout d’abord, l’État annonce une baisse de la TICFE* de 22,5 €/MWh à 0,5 €/MWh et un maintien des tarifs Arenh à 42 €/MWh pour 2023. Également, un bouclier tarifaire sera mis en place sur l’électricité pour les entreprises consommant le moins, ce qui limitera la hausse à 15 % en 2023 par rapport à 2022. Un amortisseur tarifaire sur l’électricité pour les plus gros consommateurs est aussi envisagé par les services de l’État, qui devrait plafonner la moitié du prix payé au-delà de 180 €/MWh à partir du 1er janvier 2023. Enfin, le gouvernement mettra en place un guichet d’aide au paiement des factures d’électricité et de gaz. Cette aide est cumulable avec l’amortisseur électricité, mais selon certaines conditions d’éligibilité**. 
 
« Je pense qu’il y a encore un gros travail à faire »
 
Mais malgré la bonne volonté de l’État, pour Jérôme Martin, président de la section irrigation de la FDSEA, tout cela n’aurait pas été possible sans l’aide du syndicat : « Il y a quand même eu un travail syndical important fait par la profession agricole. Sans elle, je ne suis pas sûr que beaucoup de choses auraient bougé au niveau national. On a quand même obtenu des choses. Je ne sais pas s’il faut s’en satisfaire pour l’instant, parce que c’est mieux que rien mais ce n’est pas encore assez haut. Et puis si on regarde concrètement les choses, on voit que l’État, sur l’amortisseur tarifaire, prend en charge la moitié du surcoût au-dessus de 180 €, mais les autres pays européens comme l’Allemagne, le Portugal, l’Italie ou l’Espagne ont fait plus de choses alors qu’ils ne sont pas producteurs d’énergie nucléaire. J’ai l’impression qu’on va encore être les dindons de la farce… » Il porte ce pendant un message d’espoir : « Je pense qu’il y a encore un gros travail à faire sur le surcoût de l’électricité, rien n’est figé. L’année dernière on a eu des changements jusqu’en mars. On peut et on doit encore défendre les choses pour être compétitif, toutes productions confondues. » Et Jonathan Janichon, secrétaire général, d’ajouter : « Il faut qu’on demande ce que les autres pays ont eu. Nos voisins ne payent pas plus au-delà de 180 €, et nous, c’est ce qu’on demande. Sachant qu’il y a des pays qui ont obtenu des aides à partir de 130 €. »
Concrètement, sur certaines exploitations, notamment porcines, la hausse du coût de l’énergie était de 770 % avec le premier bouclier et ne sera « que » de 585 %, soit une hausse de 7,13 € par porc vendu. Gilles Brenon, secrétaire général, est inquiet face à la conjoncture à venir. « Aujourd’hui, si on passe une année comme ça, c’est fait, on arrête. Nous, on n’a pas les moyens. Je ne sais pas ce qu’on peut faire. On fait des choix drastiques dans nos exploitation. » Et de conclure par une phrase marquante, à l’image de ce que vit la profession agricole actuellement à l’aune des fêtes de fin d’année : « On est en train de crever la gueule ouverte ! »

*Taxe inférieure sur la consommation finale d’électricité. 
**Le prix de l’énergie pendant la période de demande d’aide doit avoir augmenté de 50 % par rapport au prix moyen payé en 2021.  Les dépenses d’énergie pendant la période éligible doivent représenter plus de 3 % du chiffre d’affaires 2021. Le montant d’aide correspond à 50 % de la différence entre la facture 2021 majorée de 50 %, et la facture 2022, dans la limite de 70 % de la consommation 2021. Enfin, le montant total de l’aide a été rehaussé à hauteur de 4 millions d’euros (M€) au total. 

Un nouveau système assurantiel

Lors du conseil fédéral, Jean-Louis Pivard, président de Groupama Auvergne-Rhône-Alpes, est intervenu sur le nouveau système assurantiel mis en place à partir de janvier 2023, qui viendra remplacer la reconnaissance de calamités agricoles, jusque-là existant en cas de sinistre non assurable, particulièrement les prairies. « La particularité de ce nouveau dispositif, c’est qu’en fonction des productions, il y aura un seuil à partir duquel ce sera la solidarité nationale qui va prendre en compte le dégât », explique-t-il. Sur les grandes cultures, à partir de 50 % de pertes, il y aura une prise en charge par le Fonds de solidarité nationale de 40 %. Mais tout n’est pas encore défini sur cette question prioritaire pour les exploitations agricoles du département. Deux points cruciaux restent encore à déterminer : l’estimation des pertes par satellite qui « dans le département et sur les milieux karstiques ne fonctionnent pas et donnent des mesures erronées » et la question de la moyenne olympique des rendements comme base d’estimation de pertes : « sur 5 ans, 3 mauvaises années comme nous venons de subir et il n’est plus intéressant de s’assurer », comme le précisait Adrien Bourlez. C’est pourquoi la profession agricole demande que cette moyenne olympique soit calculée sur 10 ans. Mais Jean-Louis Pivard de compléter que « l’assurance des exploitations passe aussi par la gestion de l’eau et de l’irrigation ».
Un sujet calamité et sécheresse qui préoccupe d’ailleurs beaucoup les représentants syndicaux qui se sont tous exprimés lors d’un tour de table. L’impact de la sécheresse, sujet de préoccupation unanime lorsque l’on sait que des coups de rabot importants ont été fait à la commission nationale sur la reconnaissance de décembre, et qui a sorti de nombreuses zones. Dans l’Ain, avec une sécheresse comparable à 1976, il serait incompréhensible que la reconnaissance ne soit pas faite sur tout le département. La suite en janvier 2023.
En cette fin de réunion, les différents représentants des cantons du département ont eu la parole pour exposer les différentes problématiques locales. Inévitablement, la sécheresse de ce début d’année et ses conséquences ont beaucoup fait parler d’elles. Mais d’autres sujets ont également été abordés, comme le coûts des intrants, le débat sur l’eau potable, notamment sur le canton de Champagne-en-Valromey ou encore les infrastructures routières inadéquates pour les engins agricoles, le tout sous l’oreille attentive d’Adrien Bourlez.  

L.D.

Le cheptel bovin en chute libre l’Ain entre 2000 et 2020

La décapitalisation est également un sujet brûlant, au cœur de l’actualité agricole. Dans le département de l’Ain, une baisse de 55 % du cheptel bovin a été recensé entre 2000 et 2020, avec une grosse accentuation entre 2000 et 2010. Sur la région Auvergne-Rhône-Alpes, des similitudes sur les baisses sont observées entre les cheptels laitier et allaitant. Et ces dernières années, la décapitalisation ne cesse de s’accentuer. « Concrètement, on n’a pas encore trouvé les solutions pour arriver à gérer cette diminution », explique Jonathan Janichon, secrétaire général de la FDSEA. Cette diminution du cheptel est aussi constatée à l’échelle nationale avec une perte de 450 000 vaches allaitantes et de 270 000 vaches laitières entre 2016 et 2022. « On a moins baissé dans la région qu’au niveau national, comme quoi, les politiques ont bien une influence sur la décapitalisation, continue le secrétaire général. On va essayer de faire en sorte de diminuer l’impact de la décapitalisation, parce que de toute façon on y sera tous soumis, quelles que soient les structures et les filières. » Et Adrien Bourlez, président de la FDSEA d’ajouter : « Si demain, on veut un modèle de ferme familiale française comme on l’a connu, c’est-à-dire que nous, agriculteurs, sommes encore propriétaires de la terre nourricière de notre pays, il faut qu’on réagisse. Sinon notre génération connaîtra une agriculture familiale qui va devenir une agriculture de firme… »
Michel Pivard, président des organisations d’élevage de Ceyzeriat soulève quant à lui sur ce sujets la question des financements de l’installation : « Il y a un problème de démographie agricole. L’arrivée des jeunes qui ne sont pas fils d’agriculteur nécessite de repenser le modèle de financement de l’agriculture. Et ça, on ne l’a pas intégré. » Un sujet ouvert qui fait bien évidemment réagir l’assemblée, et rouvre naturellement la question de la rentabilité des exploitations. Car comme le précisait Adrien Bourlez « la question du financement de la reprise des exploitations, tout comme la question de la motivation à venir vers l’agriculture est une question de rentabilité également, car si elle était suffisante la problématique de financement serait moins importante ». Un sujet n’empêchant peut-être pas l’autre. 
 
L.D.