Commémoration
En 2024, treize journaux agricoles fêtent leurs 80 ans !

La commémoration du débarquement du 6 juin en Normandie nous donne l’occasion de rappeler qu’en cette même année 1944, treize journaux agricoles départementaux, dont l’Ain agricole, furent créés dans une France encore occupée.

En 2024, treize journaux agricoles fêtent leurs 80 ans !
La Une du n°2 de l’Ain agricole du 1er décembre 1944. Les archives de l’Ain agricole ne disposent que d’une photocopie du numéro 1. Si quelqu’un détient toujours un exemplaire du 16 novembre 1944, merci de se mettre en rapport avec l’Ain agricole.

La concomitance de ces deux événements n’est pas fortuite car ce sont des responsables agricoles issus de la Résistance qui ont fondé dans la clandestinité la CGA, la Confédération générale de l’agriculture, et porté à sa tête François Tanguy-Prigent. Le jeune paysan finistérien, l’un des responsables de la Coopérative agricole de Morlaix, sera nommé le 4 septembre 1944 ministre de l’agriculture par le général de Gaulle. Il n’avait que 34 ans ! Dès lors, dans chaque département, la CGA est chargée de créer de nouvelles organisations agricoles pour remplacer la Corporation paysanne dissoute le 12 octobre 1944 car elle avait encadré l’agriculture tout au long de l’occupation Allemande. Dans son riche ouvrage « Une histoire de la presse agricole » (1), Denis Lefèvre rapporte qu’en « 1944, dix journaux agricoles d’avant-guerre avaient reparu et treize nouveaux titres (2) faisaient leur apparition. Le mouvement s’amplifiait en 1945 avec six reparutions anciennes et dix-neuf nouveaux titres (3). En 1947, on recense 108 publications dont 79 titres nouveaux. Entre 1948 et 1960, il n’y aura que 4 reparutions mais on dénombre 44 créations ». Chaque département est doté de son journal agricole et même parfois de plusieurs, car les rivalités d’avant-guerre ne sont pas éteintes en Rhône-Alpes et la presse est l’expression de cette dualité idéologique et religieuse qu’incarnent alors les catholiques de la rue d’Athènes et les radicaux du boulevard Saint Germain.

En 1944, la presse agricole se réinvente

Pour illustrer cette époque, l’histoire de l’Ain agricole nous montre comment à la Libération la presse agricole s’est réinventée. Il existait dans l’Ain un bimensuel agricole, « L’Est Central » fondé à Nantua en 1930 par Eugène Chanal et ses amis responsables agricoles mutualistes proches des idées républicaines du boulevard Saint Germain. Mais ce journal, bien que dirigé par des responsables agricoles favorables à la Résistance et souvent eux-mêmes résistants, continua de paraître sous l’occupation Allemande jusqu’en 1943. Une situation qui lui valut d’être mis à la Libération sous séquestre par les nouvelles autorités, comme le fut le journal « L’Abeille du Bugey et du Pays de Gex » sur les presses duquel « L’Est Central » était imprimé à Nantua. « L’Est-Central » empêché de reparaître est alors remplacé par « l’Ain agricole » et les responsables du premier, membres du Comité départemental d’action agricole issus de la Résistance, deviennent les dirigeants du second ! C’est ainsi que « L’Ain agricole » paraît pour la première fois le 16 novembre 1944. C’est un bimensuel d’un feuillet recto verso grand format tiré à seulement 5 500 exemplaires en raison des sévères restrictions alors appliquées au papier journal. Il faudra attendre 1947 pour que son tirage atteigne sa plénitude, 33 000 exemplaires pour quatre à huit pages, et soit adressé à tous les agriculteurs du département. Véritable outil fédérateur des organisations agricoles du département, le journal est un facteur d’unité professionnelle et reste encore l’organe d’information du Crédit agricole, des Mutuelles 1900, des coopératives, de la Chambre d’agriculture et de la FDSEA, laquelle, depuis l’origine, en assure la direction. Comme douze autres de ses confrères en France, l’Ain agricole fête en cette année 2014 ses 80 ans.

Serge Berra

(1)    Éditions La Baume Médias (mars 2014)

(2)    Denis Lefèvre questionné n’a pas été en mesure de nous indiquer la liste de ces journaux. 

(3)    Rappelons que l’Avenir agricole de l’Ardèche toujours diffusé, fondé en 1885, est le plus ancien des journaux agricoles français. Il fut suivi de près par le « Bulletin de l’Union du Sud-Est », créé à Lyon en 1891.

Henri Durand et Marcel Royer, fondateurs de l’Ain agricole

Les ordonnances du 26 juillet et 12 octobre 1944, signées du ministre de l’agriculture Tangy-Prigent, organisent la création dans chaque département d’un Comité Départemental d’Action Agricole. Dans l’Ain, Henri Durand fils en est le président et Marcel Royer son secrétaire.

Le CDAA (Comité départemental d’action agricole) est chargé d’organiser provisoirement l’agriculture pour remplacer la Corporation paysanne instaurée le 2 décembre 1940 par Pétain et son gouvernement de Vichy. Dans l’Ain, ce comité (1) est présidé par Henri Durand de Sandrans et son secrétariat est assuré par Marcel Royer. Tous les deux se sont connus dans les rangs clandestins de la Résistance et ont contribué, depuis le printemps 1942, date de leur rencontre dans la ferme du Bessay à Sandrans, à son organisation en Dombes. Parachutages, ravitaillement des Maquis, embuscades, sabotages de voies-ferrées, renseignements, accueil de réfractaires… sont leur quotidien. Marcel Royer et son épouse, Marie-Andrée, jurassiens d’origine, ont été mutés à Saint-Trivier-sur-Moignans où ils sont instituteurs et tous les deux de fervents résistants. À la Libération, Marcel Royer est à sa demande détaché du ministère de l’Instruction publique pour rejoindre, « son ami, son frère de combat », Henri Durand et assurer à ses côtés la fondation des nouvelles organisations agricoles départementales. Il sera ainsi fondateur de l’Ain agricole en novembre 1944. Puis, en mai 1945, il est le directeur fondateur de la Confédération générale de l’agriculture de l’Ain (CGA) et le directeur fondateur de la FDSEA de l’Ain présidées par Henri Durand. Pendant six ans, jusqu’en octobre 1950, Marcel Royer travaille à la reconstruction des organisations agricoles du département avant de réintégrer en 1950 son ministère d’origine et d’enseigner d’abord à Bourg, au lycée Lalande, puis dans le midi toulousain, à Albi, où il prendra sa retraite en 1965. Retiré à Quillan dans l’Aude il y décédera en 2007 à l’âge de 97 ans. Jusqu’au décès de son ami Henri Durand en 1990, Marcel Royer reviendra régulièrement dans l’Ain. Il était à Chatillon-sur-Chalaronne en juin 1989 pour recevoir des mains de Jack Lequertier, résistant, grand responsable de la coopération agricole tant dans l’Ain qu’au niveau national, les insignes de chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur.    

S.B

 

(1)   Composition du CDAA de l’Ain 1944 : Président, Henri Durand fils (Sandrans), vice-président, Jules Blanchet (Ambronay), secrétaire général, Henri Morandat (Polliat), membres, Léon Falquet (Charancin), Marcel Royer (Saint-Trivier-sur-Moignans).