Communication
Écoutez gens des villes !

Comme tout un chacun, l’agriculteur a besoin de respect et de reconnaissance. Pourtant des vagues de dénigrement déferlent sur nos campagnes et mettent en cause les pratiques agricoles en usage. Si le phénomène a pris de l’ampleur avec l’apparition des réseaux sociaux, il n’est pas nouveau. Déjà, dans les 80, les organisations agricoles de l’Ain avaient lancé deux journaux gratuits pour tenter d’engager un dialogue avec les gens des villes.   

Écoutez gens des villes !
« L’Ain mon Pays », journal gratuit diffusé dans les principales villes de l’Ain entre 1984 et 1988.

Si les générations les plus âgées restent encore imprégnées d’une culture rurale, voire agricole, force est de constater que les nouvelles générations se sont éloignées de leurs origines paysannes et de la culture qui était la matrice. Ce basculement date du début du 20e siècle renforcé dans les années 1950-1960 lorsque, dans les familles, le rêve des enfants - et même souvent celui des parents - était de devenir ouvrier, employé ou fonctionnaire plutôt que de rester paysan. Claude Michelet dans son roman « Des grives aux loups » (1) et Jean Ferrat dans sa chanson « La montagne », évoquent avec justesse et poésie cette rupture et la volonté des jeunes de vivre « loin de la terre où ils sont nés ». Ainsi, le lien avec le monde agricole s’est-il peu à peu distendu, effiloché jusqu’à l’incompréhension réciproque.

Deux visions de la campagne

Les citadins oublieux de leurs racines ont une vision bucolique de la campagne lorsque, chez les agriculteurs, cet espace est d’abord leur premier outil de travail et de production. Le débat passionné sur le retour du loup est emblématique de cette vision divergente. Les uns voient dans le loup un être vivant intelligent trônant au sommet de la chaîne alimentaire, ce qu’il est, pendant que les autres, ceux dont les troupeaux sont cruellement attaqués, ne voient en lui que le grand prédateur cruel qu’il est aussi. La différence entre ces deux mondes, c’est que les premiers, dans le confort de leurs cités suréquipées, vivent de l’espérance du retour du loup pendant que les seconds meurent d’angoisse de sa présence dans nos campagnes délaissées !

Tenter le dialogue…

En quarante ans, à deux reprises, les responsables des organisations professionnelles agricoles de l’Ain, conscientes de la nécessité de rétablir un dialogue entre citadins et agriculteurs, ont pris l’initiative de créer un outil de communication destiné à expliquer aux citadins les réalités d’une agriculture de production. En septembre 1984, La FDSEA, la Chambre d’agriculture, le Crédit agricole, la coopération agricole, les mutuelles agricoles ont décidé de créer « L’Ain mon Pays ». Un journal gratuit destiné aux gens des villes de l’Ain dont un éditorial explique qu’il s’agit de faire partager aux urbains et aux élus « l’intérêt que les agriculteurs portent aux choses de la terre et à la préservation de l’environnement ». S’en suivent 19 numéros, jusqu’en avril 1988, qui vantent les produits agricoles de l’Ain, le rôle que joue les agriculteurs dans l’aménagement du territoire, dans leur contribution à l’économie départementale, dans leur lutte face à une désertification des zones rurales et leurs efforts pour réduire l’impact de leur activité sur l’environnement. Diffusé à 56 000 exemplaires dans les chefs-lieux du département « L’Ain mon pays » était écrit et mis en page par l’équipe de l’Ain agricole d’alors. Des changements dans son équipe de direction amenèrent à suspendre la publication de « L’Ain mon Pays ». 

Une deuxième tentative avec « Terre de l’Ain »

Mais l’immense besoin de l’agriculture de communiquer avec la société, son souci d’être reconnue et d’être enfin mieux comprise, son exaspération aussi face aux injustes attaques dont elle est l’objet, ont poussé ses responsables à tenter une nouvelle expérience. En 2002, un nouveau journal, « Terre de l’Ain », est créé. C’est un format magazine (2) élégant, plein de couleurs, dynamique, gracieusement diffusé à 80 000 exemplaires dans les boîtes à lettres des villes de l’Ain. Là encore, faute de moyens financiers et de motivation partagée, l’initiative prendra fin après quelques années. 

Faire front face au dénigrement de l’agriculture

Pourtant, plus que jamais, l’agriculture a besoin de mieux se faire comprendre du reste de la société et parfois même des élus comme des administrations. Elle se doit de répondre aux attaques dont elle est victime de la part de militants radicaux ignorants des réalités de terrain qui, sans mesure, condamnent ses modèles techniques et économiques. Pourtant, personne ne prétend que l’agriculture et les agriculteurs ne doivent pas faire évoluer leurs pratiques et dans un très grand nombre de cas, ils le font avec succès. C’est ce qu’il convient encore et toujours d’expliquer au grand public, en utilisant aujourd’hui les outils de communications du moment comme les réseaux sociaux, la vidéo ou des conférences publiques. Il faut montrer quels sont les enjeux économiques, sociétaux et environnementaux que l’agriculture apporte à la société. C’est un combat qui ne peut s’inscrire que dans la durée car la pédagogie reste « l’art de la répétition !».

Serge Berra

 

(1)  Le roman « Des grives aux loups » de Claude Michelet, prix des libraires 1980, raconte cette évolution de la campagne Corrézienne dans les années de la Première Guerre mondiale. Éditions Robert Laffont.

(2)  Terre de l’Ain, se présente comme « le magazine des agriculteurs et des filières agricoles de l’Ain ».