CRISE ÉNERGÉTIQUE
La profession demande un « bouclier tarifaire plus ambitieux »

Margaux Legras-Maillet
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Face à l’explosion des prix de l’énergie et aux estimations inquiétantes pour 2023, la FDSEA, les JA et la Chambre d’agriculture de l’Ain ont convié les élus parlementaires du département à un petit déjeuner ce lundi 21 novembre. 

La profession demande un « bouclier tarifaire plus ambitieux »
Justin Chatard, président des JA 01, Adrien Bourlez, président de la FDSEA, et Michel Joux, président de la Chambre d'agriculture ont rencontré les parlementaires ce lundi. PHOTO/MLM

Malgré la confirmation de leur présence de six des huit parlementaires du département, seuls deux ont finalement honoré l’invitation des représentants de la profession agricole : Xavier Breton, député LR de la première circonscription, et Patrick Chaize, sénateur du même groupe politique. Les élus de la majorité présidentielle et des principales oppositions à l’Assemblée nationale (NUPES et Rassemblement national) se sont finalement excusés de leur absence. Pourtant, si la crise énergétique fait bien l’objet de discussions au sein du Parlement, selon Xavier Breton, « il n’y a pas encore eu ce zoom à ce sujet au niveau de l’agriculture ».
 
Malgré les mesures, « ça ne passera pas » 
 
L’objectif de ce petit déjeuner était justement de faire remonter auprès des élus les inquiétudes du milieu agricole sur la hausse du prix de l’électricité et du gaz. « La crise tarifaire est importante pour l’agriculture. Aujourd’hui, ce qui est annoncé ne passe pas. C’est un délire, un non-sens, soulignait Adrien Bourlez, président de la FDSEA, en introduction. Les annonces faites sont bien insuffisantes à l’égard des enjeux et dans une économie comme la nôtre, on ne sait pas comment on va faire ». Pour rappel, le 27 octobre dernier, le gouvernement a annoncé la mise en place d’un amortissement des prix de l’électricité, en application du règlement européen qui faisait suite au Conseil énergie du 30 septembre autorisant la mise en œuvre d’un bouclier tarifaire pour les PME. Malgré ces mesures, la profession a en effet de quoi sourciller. Malgré le bouclier tarifaire de 4 % promis par l’État plusieurs ménages ont déjà vu leur facture d’électricité augmenter de 10 %. 
 
Jusqu’à 770 % de hausse estimée sur certaines exploitations
 
Côté agricole, les exploitations hors-sol, irrigant, maraîchères et laitières sont parmi les plus touchées. « Cela impacte toutes les filières et les exploitations du département, mais aussi tout ce qui tourne autour. Les industriels qui transforment nos produits sont également impactés et derrière eux le consommateur », soulignait Justin Chatard, président de Jeunes agriculteurs 01. Afin d’illustrer leurs propos, plusieurs cas concrets ont été exposés aux parlementaires présents. 
Thierry Thénoz, naisseur et engraisseur, élève quelques 270 truies sur la commune de Lescheroux pour 6 500 porcs vendus chaque année. Il auto-consomme l’électricité qu’il produit grâce à ses trackers photovoltaïques, d’une puissance de 22 kWc. Son exploitation est sur la base du tarif jaune, avec une puissance de raccordement inférieure à 36 kVA. Avec une hausse de 0,4602 €/kWh entre 2022 et 2023 (soit une hausse de 770 %), le surcoût de l’énergie pour l’exploitation pourrait s’envoler à plus de 70 300 l’année prochaine, soit une hausse de près de 11 € par porc vendu. 
Autre cas concret, chez Florian Berne, éleveur laitier dans le Haut-Valromey. Entre octobre 2021 et octobre 2022, son exploitation a produit 612 953 litres de lait pour une consommation électrique de 49 207 kWh/an, sur la base du tarif bleu et d’une puissance de raccordement inférieure à 36 kVA. Sur l’exploitation, la hausse du prix de l’électricité devrait avoisiner les 15 % par rapport à 2023, soit tout juste la hausse permise par le bouclier tarifaire promis par le gouvernement. Derrière ces chiffres se cache par ailleurs une explosion du prix de l’électricité de 40 % en heures pleines à 75 % en heures creuses en 2023 par rapport à 2021. Soit un surcoût de l’énergie de plus de 1 525 €, soit de + 2,5 €/ 1 000 l de lait. À noter qu’aujourd’hui, plusieurs exploitations productrices d’électricité sont exonérées de la CSPE (Contribution au service public de l’électricité) avec une échéance à février 2023. D’après Patrick Chaize, les discussions pour la reconduire sont en cours, mais rien n’a aujourd’hui été arrêté par l’État. 
 
Les irrigants pris entre le marteau et l’enclume 
 
Ces derniers ne sont pas non plus épargnés. Pour un compteur électrique vert et une puissance de raccordement supérieure à 36 kVA, le surcoût pour 2023 avoisinerait les 67 450 €, à consommation équivalente pour 100 ha, dont 25 ha en culture d’hiver, le reste en culture d’été., soit une hausse de 253 % en 2023 par rapport à 2021 (+ 674 €/ha). « Pour une exploitation comme la mienne, je vais perdre à peu près 100 000 € l’année prochaine », surenchérissait Jérôme Martin, irrigant à Loyettes. Pour les adhérents de l’Association des irrigants de l’Ain (Asia), la situation est plus que tendue. Établissement public, l’Asia ne respecte pas les critères de France Résilience. L’association, dont le contrat induit de l’Arenh et du prix de marché, a vu sa facture exploser : en 2021, elle achetait l’énergie sur la base d’un prix moyen de 25,9 € Ht/MWh contre 79,7 € HT/MWh en 2022. L’année prochaine, la note frôle l’inimaginable pour atteindre 405 € HT/MWh selon les estimations. De quoi mettre le feu aux poudres en cas de nouvelle sécheresse. 
 
Des attentes syndicales structurelles et conjoncturelles 
 
Face à ces hausses démesurées, la FDSEA et JA 01 attendent un bouclier tarifaire plus ambitieux, élargi à l’ensemble des tarifs jaunes et verts, mais aussi que le marché de l’électricité soit dissocié du prix du gaz et que le prix de l’électricité soit adossé au coût de production des exploitations. Afin d’éviter les coupures ou les délestages, les deux syndicats souhaitent également que l’agriculture soit classée comme prioritaire et que les détenteurs de méthaniseurs ou photovoltaïques soient protégés. Sur un plan plus conjoncturel, FDSEA et JA O1, dans la ligne de leur position nationale, demandent une déconnection des règles européennes actuelles critiquées pour avantager certains pays plus que d’autres, de relancer la production du nucléaire français, de négocier une augmentation du volume de l’Arenh (ceux-ci doivent en effet passer à 100 TWh en 2023 contre 120 TWh aujourd’hui) et enfin de revoir le type de facturation de l’électricité. Attentif, Xavier Breton a souhaité rappeler certains éléments historiques : « Il ne faut pas ressasser le passé, mais quand je vois dans vos propositions qu’il faut relancer le parc nucléaire français, il y a quand-même des mauvais choix qui ont été fais il y a dix ans, il faut rappeler les responsabilités (…) On a demandé une commission d’enquête pour comprendre pourquoi on a perdu cette indépendance énergétique. » Et alors que d’autres pays européens ont instauré des plafonnements tarifaires, pourquoi est-ce si difficile pour la France. « Parce qu’on est faible politiquement. Je ne comprends pas qu’il n’y ait pas de réaction plus rapide de l’État à ce sujet », lance Patrick Chaize avant de conclure : « Il faut se focaliser sur le prix. Je ne comprends pas que le kilowatt produit à Saint-Vulbas à un prix défiant toute concurrence soit vendu à un prix avec de telles marges, et tout ça pour faire plaisir aux Allemands. Aujourd’hui ce qui se passe, c’est qu’EDF s’en met plein les poches.  Tout ce qu’EDF fera comme marge, c’est tout ce que l’État ne payera pas pour le parc nucléaire français (…) Aujourd’hui nous on veut dissocier ces mécaniques européennes parce que l’agriculture est touchée mais pas que ! »

Leur position

Michel Joux, président de la Chambre d’agriculture : « On aimerait avoir de la transparence. Rien que sur les postes engrais, GNR et électricité, ça va être compliqué à enquiller et à mon avis c’est déconnecté d’une réalité de marché. »
 
Adrien Bourlez, président de la FDSEA : « Les prix 2023 seront irrépercutables pour le consommateur. »
 
Thierry Thénoz, président de la section porcine départementale : « Sur le territoire Aura, nous avons 34 abattoirs dont deux sont spécialisés porcs. Si on n’a pas les volumes pour maintenir les outils, ces abattoirs sont voués à disparaître… »
 
Jonathan Janichon, président de la section porcine départementale : « Les conséquences on les mesure déjà, c’est 10 % de viande produite en moins en France. On n’a pas arrêté de la consommer, on est allé l’acheter ailleurs, et si ça continue, ça risque d’exploser. »
 
Fabien Thomazet, président de l’association des irrigants de l’Ain (Asia) : « Si d’un côté on se retrouve avec des prix qui explosent et que de l’autre on nous ferme les robinets par pure démagogie, on va générer des situations de faillite. »
 
Jérôme Martin, président de la section des irrigants de l’Ain : « Les tarifs d’achat de l’Arenh doivent être payés entre le 1er et le 15 décembre, dont soit derrière il y a quelque chose de la part de l’État, soit ça va voler. »

Trois niveaux d’amortissement

Le 27 octobre, le gouvernement a annoncé la mise en œuvre de trois niveaux de protection pour amortir la hausse du coût de l’énergie dans les entreprises. 
Le premier niveau prend la forme d’un bouclier tarifaire pour les TPE dont la puissance de raccordement est inférieure à 36 kVa. Ce bouclier bloque la hausse de la facture à 4 % maximum jusqu’au 1er janvier 2023. Après cette date et jusqu’au 1er janvier 2024, la facture pourra prendre jusqu’à 15 % en plus. Sur ce premier niveau, la FNSEA s’est dit satisfaite des mesures annoncées par le gouvernement et de la mise en place de l’amortissement sur les tarifs de l’électricité, mais déplorait dans un communiqué du 28 octobre que « le plafond de puissance électrique de 36 kVA continue à s’appliquer, de nombreuses exploitations électro-intensives se voyant exclues. » Le syndicat agricole majoritaire demandait alors que « toutes les TPE puissent bénéficier de ce bouclier sur les tarifs de l’électricité́, d’autant que ce plafond n’est pas un critère communautaire ! »
Le second niveau d’amortissement instauré par le gouvernement s’applique pour les TPE disposant d’un compteur électrique dont la puissance électrique excède 36 kVa, ainsi que toutes les PME. Les entreprises de taille intermédiaire (ETI) en sont exclues et le dispositif est mis en œuvre dans le cadre d’une enveloppe de 7 milliards d’euros. Sur l’ensemble du volume de consommation contractualisé par une entreprise, 50 % du volume sera au tarif de l’Arenh, 25 % du volume sera au tarif du marché, et le quart restant sera pris en charge par l’État dans un couloir de prix compris entre 325 €/MWh et 800 €/MWh. Ce tunnel tarifaire s’appliquera aux contrats déjà conclus comme aux futurs qui s’appliquent au 1er janvier 2023 pour une durée d’un an. 
Enfin le troisième niveau est une aide aux entreprises énergo-intensives en gaz et électricité. Si ces évolutions vont dans le bon sens pour la FNSEA, celle-ci regrette certains critères de conditionnalité tels que la part minimum de 3 % de la facture énergie dans le chiffre d’affaires qui là encore exclut plusieurs exploitations. 

Les interprofessions appellent à un plafonnement

Dans un communiqué du 16 novembre dernier, plusieurs interprofessions (Interbev, Inaporc, Semae, Interfel, Intercéréales, Cniel, Cipa, CNPO, Cifog, Interapi, etc.) ont appelé à un plafonnement des prix du gaz et de l’électricité afin de protéger les filières agricoles : « Dans ce contexte, nos entreprises ne pourraient survivre à des prix de l’énergie significativement supérieurs (au-delà de 180 €/MWh) à ceux de nos homologues européens. » Les représentants de filières dénoncent l’échec des négociation européennes pour définir un bouclier tarifaire commun. En conséquence, chaque État a donc pris des mesures sur son propre territoire, mais la France reste à la traîne, subissant de plein fouet la double-peine de la hausse des charges et du manque de compétitivité face à ses voisins. « L’absence en France d’un plan énergie à hauteur de la crise actuelle va impacter chacun des maillons des filières agro-alimentaires et faire peser de l’incertitude sur toutes les entreprises. (…) Face à ces distorsions, si beaucoup d’entreprises ne peuvent pas répercuter l’explosion des coûts de production, elles n’auront pas d’autres choix que de rationaliser leur gamme et/ou de réduire drastiquement leurs activités voire de les arrêter définitivement. »