SYNDICALISME
Les campagnes s’embrasent !

La gronde monte dans les rangs des agriculteurs partout en Europe. En Auvergne-Rhône-Alpes aussi, le monde agricole est en colère et compte bien se faire entendre. Depuis une dizaine de jours maintenant, les mobilisations se multiplient sur le territoire.

Les campagnes s’embrasent !
Les tracteurs sont arrivés en début d’après-midi mardi dernier sur l’A75 à hauteur Saint-Flour dans le Cantal. Le blocage de la sortie 29 était assuré par les agriculteurs du réseau FDSEA-JA. Le blocage devrait durer plusieurs jours grâce à des relais. ©SC_Pamac

Avant les fêtes déjà, la campagne était aux abois. Partout en Auvergne-Rhône-Alpes et dans la France entière les panneaux de signalisation des communes ont été retournés. Un message symbolique envoyé au gouvernement pour clamer haut et fort que la France marchait sur la tête. Un cri d’alarme qui n’a pourtant pas été entendu au plus haut rang de l’État. Par voie d’un communiqué commun lundi 22 janvier, avant que le Premier ministre ne reçoive les syndicats majoritaires, Jeunes agriculteurs et la FRSEA Auvergne-Rhône-Alpes l’affirmaient, « les campagnes s’embrasent et des mobilisations vont avoir lieu toute la semaine ». Le ras-le-bol est général et les syndicalistes appellent à dire « Stop ». Ils s’élèvent contre les distorsions de concurrence que subissent les agriculteurs avec les importations toujours plus nombreuses ne respectant pas obligatoirement les mêmes normes imposées aux producteurs français. Autant de non-sens qui empêchent les agriculteurs d’assurer la souveraineté alimentaire nationale de la France, leur mission première et pourtant si chère au gouvernement. « D’ici 2027, la France aura complètement perdu son autonomie alimentaire. Aujourd’hui, tout le monde le sait et ce sont les discours populistes qui prennent le dessus. Je suis écœuré. S’il n’y a pas de prise de conscience, de sursaut politique, tout peut disparaître. Il y a un véritable mal-être dans le monde agricole et ce à l’échelle européenne », a expliqué Stéphane Joandel, le président de la section laitière régionale et vice-président de la fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), le vendredi 19 janvier, au lendemain du blocage de l’usine Lactalis dans la Loire.

Un sursaut politique nécessaire

En effet, si en début de semaine, les syndicalistes aurhalpins annonçaient un embrasement des campagnes pour les jours à venir, celui-ci a débuté il y une dizaine de jours dans le Sud de la France en Avignon où les viticulteurs et arboriculteurs ont battu le pavé et en Occitanie où les autoroutes toulousaines sont depuis paralysées par la colère paysanne. Plus proche, dans la Loire, jeudi 18 janvier, une dizaine de tracteurs et une centaine d’agriculteurs ont bloqué l’entrée de l’usine Lactalis à Andrézieu-Bouthéon brandissant une banderole, « Alimentation, bientôt la faim ? » faisant référence aux mobilisations qui se sont tenues en fin d’année dernière. La manifestation faisait suite à la réunion de négociation du 3 janvier entre l’Unell (Union national des éleveurs livreurs Lactalis) et la multinationale de l’industrie agroalimentaire. Les négociations n’aboutissent pas et le désaccord se creuse. Le plus gros collecteur français a décidé d’inscrire dans les conditions générales de vente une augmentation de 1 % de la matière première quand les agriculteurs demandent 5 %.

Un exemple à ne pas suivre

« Il y a quelques années que nous n’étions pas venus devant le portail d’une usine », concède Julien Derory, président de la section lait de la FDSEA de la Loire. L’éleveur est remonté contre la multinationale. « Depuis la loi Égalim, les prix montaient. Doucement, certes, mais ils montaient. Et depuis cet été, Lactalis ne joue plus le jeu », déplore-t-il. Il est rejoint par un collègue qui abonde : « Si Lactalis s’assoit sur ces négociations alors que c’est le plus gros collecteur français, tous les autres vont suivre son exemple ». Sur la formule du calcul du prix du lait fait par l’entreprise, le coût de revient pour l’agriculteur est de 25 %. « En réalité, c’est 50 % », grince Julien Derory. La moitié du lait vendu par Lactalis l’est sur le sol français. « Nous demandons que la loi Égalim 2 s’applique, tout simplement ! » À Stéphane Joandel d’ajouter : « La Loi Égalim arrive à mettre un prix. À la FNPL, nous sommes convaincus que nous devons tenir, car cette loi sécurise les choses ». Les agriculteurs estiment qu’il n’y a pas de surproduction en Europe comme ça a pu être le cas dans le passé. « Il n’y a pas trop de volumes de lait, détaille Julien Derory. La Pologne, éventuellement, progresse en volume, mais pas suffisamment pour inonder le marché. » Pour se défendre, Lactalis veut s’appuyer sur la baisse de pouvoir d’achat des Français. « Du pipeau », pour les agriculteurs présents le jeudi 18 janvier devant l’usine ligérienne. « Augmenter le prix d’un yaourt d’un centime, ce n’est rien ou presque pour le consommateur. En revanche, pour l’éleveur, ceci représente 96 euros pour 1 000 litres. C’est énorme ! » poursuit le président de la section lait de la FDSEA de la Loire. Devant le portail de Lactalis, les visages juvéniles ne sont pas légion. C’est d’ailleurs l’une des raisons de la colère des professionnels présents. « Tout est lié. Nous sommes aujourd’hui face à une problématique de renouvellement des générations. Si on veut attirer les jeunes, il faut que les prix tiennent la route. Nous avons un métier contraignant. La passion ne suffit pas si on ne gagne pas sa vie », lâche, amer, Julien Derory. Autre point de crispation pour les promesses non tenues. « Le grand plan élevage annoncé au Sommet de l’élevage 2023 n’en n’est pas un : dans les faits, les agriculteurs attendent toujours des mesures concrètes ! Les membres du gouvernement doivent être responsables de ce qu’ils annoncent et le faire appliquer par leur propre administration », explique le communiqué de presse JA-FRSEA. À l’heure où nous bouclons ces lignes, mardi 23 janvier, le feu continue de courir. Les agriculteurs du réseau FDSEA-JA ont commencé à bloquer l’autoroute A75 à Saint- Flour (Cantal) dès mardi midi, annonçant un blocage qui pourrait durer plusieurs jours grâce à des relais. L’ensemble des départements régionaux ont annoncé des blocages routiers tout au long de la semaine. Comme à Toulouse et en Ariège, où la mobilisation a été endeuillée par le décès d’une manifestante heurtée par un véhicule, tous promettent de ne pas reculer tant que des mesures concrètes n’auront pas été mises en place. Mesures que le ministre de l’Agriculture a promis d’annoncer cette semaine après la rencontre entre le Premier ministre et les représentants de Jeunes agriculteurs et de la FNSEA lundi 23 janvier au soir.

Marie-Cécile Seigle-Buyat et Alexandra Pacrot