TERRITOIRES
Avec la prédation du loup, les agriculteurs craignent le recul de l’élevage

M.B.
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Le dernier Jeudi de l’agriculture de l’année – rencontre organisée tous les troisièmes de jeudis de chaque mois par la FDSEA et les JA – s’est tenu au Gaec de Corcelles à Nivigne-et-Suran. 

Avec la prédation du loup, les agriculteurs craignent le recul de l’élevage
Une vingtaine de personnes, élus syndicaux, locaux et agriculteurs étaient présents pour le dernier Jeudi de l’agriculture de l’année. Photo/MB
 Le Gaec de Corcelles à Chavannes-sur-Suran. De gauche à droite : Alain-Alex Prin, David Bonnier et leur salarié Mathieu Varéon. Alain-Alex s’est installé en janvier 2022 à la suite de son père Bernard qui avait créé le Gaec. Aujourd’hui l’exploitation élève 70 vaches montbéliardes sur 178 ha de SAU et livre son lait en AOP Comté à la laiterie de Simandre-sur-Suran. Photo/MB

« Il y a plusieurs problèmes sous-jacents : les dégâts de sanglier et le loup », a attaqué d’entrée David Bonnier, membre du Gaec de Corcelles, hôte de la matinée. Avec la présence de Julie Guillermin, victime d’une prédation de loup sur ses génisses l’année dernière, il n’est pas surprenant que le sujet ait été au cœur des discussions toute la matinée. La jeune femme, mère de famille, élève des montbéliardes et simmentales en AOP Comté avec son compagnon aux Gaec Les Bardes de Valuy à Cuvergnat (commune de Corveissiat). En juin 2022, plusieurs de leurs génisses, âgées de sept à huit mois, ont été dévorées par un loup ou sont mortes de stress post-traumatique après une poussée de coccidiose. Depuis, le couple a perdu sa labellisation AB, contraint de modifier son fonctionnement, désormais incompatible avec le cahier des charges : « Nous ne voulons plus sortir nos vaches à six mois et devoir les rentrer tous les jours pour ne pas retrouver des cadavres. »
L’exploitation a également subi une autre attaque cette année mais le couple, en pleine période de regain, l’a déclarée trop tard aux services de l’État, ce qui a infondé son attribution au loup. Trois animaux de 200 kg environ sont morts. « Nous sommes une exploitation familiale donc nous en parlons forcément le soir à table. Il y a tellement d’impact. Mes filles de huit, cinq et trois ans ont peur de se balader seules », explique la jeune femme. Un impact émotionnel trop peu pris en compte pour Jonathan Janichon, président de la FDSEA : « L’indemnisation des attaques n’est pas à la hauteur. On ne compte que la perte directe, mais on ne prend pas assez en compte le stress des animaux, et des éleveurs. Le reproche que l’on peut se faire, c’est que l’on encaisse trop … » Le président de la FDSEA invite les éleveurs concernés à prendre contact auprès de la MSA pour faire valoir auprès de l’État le mal-être des agriculteurs lié à la prédation. 
 
« Les gens doivent déclarer » 
 
Agriculteurs et élus syndicaux regrettent par ailleurs le manque de souplesse administrative entre les départements. « La DDT nous a dit que ce n’était pas un loup alors qu’un loup a été photographié à 4 km dans le Jura. Moi je l’ai vu de mes propres yeux … », s’indigne Julie Guillermin. L’éleveuse invite tous les éleveurs à déclarer une attaque même lorsque la prédation du loup ou du lynx n’est pas certaine.
Comme une vieille rengaine, le comptage de l’animal s’est de nouveau invité dans les échanges. Difficile pour les professionnels de répondre aux interrogations d’Alain Chapuis et de Catherine Journet, conseillers départementaux du canton, quant au nombre réel de loups sur le territoire. « L’OFB et les chasseurs ne donnent pas les mêmes résultats », ironise David Bonnier, également secrétaire de la société de chasse locale. Et Justin Chatard, président des Jeunes agriculteurs, de souligner : « Aujourd’hui nous voulons compter les loups avec la bonne méthode. Je ne sais pas quelle est celle de l’OFB mais je ne comprends pas comment on trouve 200 loups en plus en deux mois. » Conscient du coup psychologique porté aux éleveurs, le maire de Grand-Corent, Benjamin Raquin, appelle toutefois à la prudence et à ne pas céder à l’émotionnel dans le comptage de l’animal, en le basant uniquement sur des témoignages. 
 
Les espaces pastoraux se ferment
 
Vivre avec le loup, oui mais comment ? Pour le président de la FDSEA, le message est clair : « aujourd’hui il y a 12 000 attaques en France (toutes prédations confondues, NDLR), nous avons un objectif de zéro attaque. Qu’on mette du loup en réserve je m’en moque tant qu’il n’y a pas d’attaques. L’État a voulu mettre du loup, maintenant il faut assumer » Et Justin Chatard d’ajouter : « C’est malheureux à dire, mais il va falloir attendre qu’un gamin se fasse tuer pour que les choses bougent »
Agriculteurs et élus s’inquiètent aujourd’hui des conséquences de cette prédation pour le maintien de l’élevage et des enjeux associés (entretien des paysages, souveraineté alimentaire, activités liées en amont et en aval d’une activité agricole, etc.). « Je prends toujours l’exemple de l’abattoir de Mézériat. Nous avons attendu que 300 personnes soient licenciées pour bouger. À Mantenay-Montlin, on a aussi attendu la disparition d’une grosse exploitation laitière et la charrue est arrivée, tout est parti en grandes cultures … », alerte Gilles Brenon, président de la CGA et élu à la Chambre d’agriculture. « Après on nous parle pollution mais quand tu regardes le bilan carbone des anciennes prairies réaménagées, il est souvent pire », renchérit Jonathan Janichon. 
Avec la disparition de l’élevage, il n’existe plus qu’une exploitation sur sa commune, Benjamin Raquin constate lui aussi la fermeture des espaces pastoraux, mais il s’interroge sur les bénéfices du loup en matière de biodiversité. « Avec une baisse des éleveurs on en revient à ce qui se passe à Grand-Corent, c’est-à-dire la fermeture des espaces, des pistes de ski, etc. », répondait sans détour Romain Godet, agriculteur sur la commune de Saint-Nizier-le-Bouchoux « Ça choque les gens quand on dit qu’on veut tuer du loup mais l’année dernière dans le Jura et dans le Doubs, les éleveurs ont arrêté les sorties nocturnes. (…) On parle des agriculteurs mais il y a aussi les chasseurs. En Ardèche et en Drôme, le soir, s’ils laissent leurs chiens ils ne retrouvent que les colliers », ajoutait de son côté David Bonnier. 
Très actif sur sa commune – l’éleveur est aussi chasseur et chef de Corps du CPI de Chavannes-sur-Suran – il regrette aujourd’hui la baisse de représentativité de la profession dans les conseils municipaux. Bernard Prin, ancien agriculteur sur l’exploitation et maire du village, a toutefois appelé à mieux communiquer auprès du grand-public pour expliquer les conséquences de la prédation sur les élevages, et de manière générale sur l’ensemble des sujets qui concernent les agriculteurs. 
La parfois difficile cohabitation avec les riverains a d’ailleurs été soulignée dans la matinée, sans parler des intrusions sur les exploitations. « Le centre d’insémination de Ceyzériat reçoit régulièrement des menaces, a admis la brigade de gendarmerie de Ceyzériat (COB Ceyzériat-Treffort). La gendarmerie s’est professionnalisée, presque trop et nous passons notre temps à faire des enquêtes. Il y a aussi une certaine inertie et de gros problèmes de recrutement. Nous manquons de lien avec le terrain, ce qui est préjudiciable. » À défaut de porter plainte, souvent par manque de temps, les gendarmes invitent les agriculteurs à ne pas hésiter à appeler ou envoyer un SMS aux référents agricoles des brigades lorsqu’ils rencontrent ce genre de problème. Face aux incivilités répétées, et aux lourdeurs administratives, Justin Chatard rappelle qu’il est désormais possible aux gendarmes de se déplacer sur les exploitations pour enregistré un dépôt de plainte. 
 
Dégâts de gibier : un drone pour réaliser les expertises 
 
Territoire pourtant d’élevage jalonné de prairies, le Revermont est lui aussi bien concerné par les dégâts de gibiers. Sur les 800 000 € payés par la Fédération de chasse départementale l’année dernière, plus de la moitié est dédiée au coût des expertises. Jonathan Janichon a expliqué vouloir faire évoluer le système d’évaluation : « À la FDSEA, nous avons mis en place des estimations grâce à l’aide d’un drone. À termes, nous souhaiterions qu’il remplace les expertises réalisées par les chasseurs. La fédération est d’accord avec ça ». Outre les dégâts, c’est la propagation de la Peste porcine africaine (PPA), présente en Italie et Allemagne, par le sanglier qui inquiète Gilles Brenon, lui-même éleveur de porcs à Saint-Martin-du-Mont.  
Pour terminer en légèreté, Alain-Alex Prin, membre des JA, s’est fait un plaisir de rappeler l’accueil de la Fête de l’agriculture les 24 et 25 août prochains sur le canton, à Meillonnas.