Lucien Raccurt fut peut-être le premier, mais depuis grand nombre ont roulé dans ses sillons et ouvert la voie aux podiums de la discipline. Aujourd’hui des familles entières portent le labour dans l’Ain jusqu’aux échelons national, européen et même mondial.
Sur trois titres de champions du monde remportés par des Français, deux le sont par des Aindinois : Fabien Landré et Yves Thiévon. Quand on compte le nombre de lignées de laboureurs dans le département, il n’est pas surprenant de voir presque chaque année des Aindinois se hisser au sommet. Il y a de cela quelques années, le département a même fait quelques émules dans la région où il a depuis été décidé qu’il n’était plus possible d’envoyer deux Aindinois de la même catégorie aux échéances nationales, afin de ne plus bloquer tout de go la participation de laboureurs d’autres départements. Il faut dire que pour eux l’affaire n’est pas à l’amusement.
Les frères Landré : une préparation digne d’athlètes de haut niveau
Ce n’est pas Fabien Landré qui dira le contraire. En cette période d’olympiades, le champion du monde (à plat en Nouvelle-Zélande, 2010) n’hésite pas à rapprocher sa préparation de celle de sportifs de haut niveau : « Le but c’est de gagner. Lorsque je me prépare, je peux me comparer à n’importe quel athlète. Chaque fois que je m’entraîne c’est comme si j’y étais, je suis hyper critique envers moi-même. »
Une rigueur qu’il partage avec son frère Bertrand et qu’ils ont héritée de leur paternel, lui-même champion de labour. « Trois jours avant que je remporte mon premier départemental, à 17 ans, mon père était venu me voir m’entraîner en me disant que si je continuais comme ça il m’interdirait d’y aller. Finalement, il m’a rendu un grand service », se souvient amusé Fabien. Atteint de la maladie de Charcot, leur père s’est éteint il y a quelques temps, mais Bertrand garde en mémoire ces souvenirs de famille façonnés par le sillon des années : « J’ai fait mon dernier national pour lui, je voulais le gagner pour lui et je l’ai fait. Il était venu me voir, c’était en 2015 à plat à Metz. » Comme tous les fans mordus qui se respectent, les deux frères ont aussi leurs idoles, dont un certain Lucien Raccurt : « C’était notre père spirituel, comme les Thiévon – Yves et Claude – on les suivait, ce sont eux qui nous inspiraient. Ils ont tiré l’Ain vers le haut. »
Du reste, l’enseignement de leur père et la passion ont payé. Depuis qu’ils ont participé à leur premier cantonal, les frères enchaînent podiums et victoires. Tous deux champions de France (en planche en 2005 et à plat en 2015 pour Bertrand ; en planche en 2013 à domicile à Ars-sur-Formans pour Fabien), les frères Landré s’attaquent rapidement aux concours internationaux et cumulent des palmarès vertigineux. En 2006, Fabien termine vice-champion du monde en République d’Irlande, puis vice-champion d’Europe au Danemark en 2008 avant de décrocher la presque inaccessible timbale de champion du monde en 2010. Trois ans plus tard, il manque de quelques points le titre en planches au Canada. Petit à petit, le laboureur est devenu un véritable expert sur prairie et qu’à ne cela tienne, sa charrue de compétition Kverneland, une quatre corps de 1989 qu’il a chinée à 800 € n’est pas la seule responsable de ce succès : « Un collègue Alsacien me dit toujours que chaque geste doit devenir automatique. Mes réglages je les connais par cœur et ils ne bougent presque pas sur prairie, entre le moment où je m’entraîne et le moment où je concoure. Sur chaume je ne sais pas pourquoi, je n’y arrive pas, c’est Mathieu (Cormorèche) l’expert. » Il faut dire que les trois compères ne se quittent plus et le trio leur réussit : « Il faudrait un mélange de Landré et de Cormorèche pour tout gagner, s’amuse Bertrand. Chaque fois qu’il a gagné le national c’était avec un Landré ! » Compétiteurs dans l’âme, tous apprécient se mesurer aux autres familles de labours dont les Anglosaxons sont les parrains, la famille Gill en tête.
Une passion qui ne se départit pas de leur vie toute entière. Fabien a même abandonné le football pour se consacrer exclusivement au labour. « Certains sont à fond sur les voitures, moi c’est ça. À dix ans c’étaient des charrues que je dessinais ». S’il y a passé ses soirées et ses week-end – « il n’y a pas de secret », comme dit son frère – cela ne l’aura pas empêché de trouver l’amour, puisque c’est grâce à la compétition qu’il rencontrera sa femme alors qu’elle était interprète pour l’équipe espagnole au mondial de Suède en 2011. Et Bertrand d’ajouter par ailleurs : « Toutes les saisons quand on sent l’odeur des chaumes on se dit que ça y est, c’est le temps des labours. Ou quand on voit une belle pelouse, certains aimeraient bien courir dessus, nous on se dit qu’elle serait parfaite à labourer. » Ces dernières années, Fabien et Bertrand ont malgré tout consacré du temps au développement de l’exploitation familiale, la ferme Désiris à Bâgé-Dommartin. « On s’est mis à faire des yaourts à la ferme et on a tout mis de côté aussi avec les enfants. Aujourd’hui nous avons 13 salariés à gérer, on était que deux il y a six ou sept ans », expliquent-ils.
Difficile néanmoins de décrocher complètement. Depuis peu Bertrand et Fabien se sont remis à la compétition mais reconquérir des médailles après tant d’années de pause n’est pas une mince affaire. Inscrit par son frère, Bertrand s’est qualifié l’année dernière pour le mondial mais s’est résolu à laisser sa place à Mathieu Cormorèche en raison d’un mal de dos. En échange, il prendra sa place à l’Européen en mars prochain en Angleterre. Quant à Fabien, il se prépare pour le mondial 2026 de Norvège avec une autre charrue. Et de scander : « Je veux le titre ! ».
Mathieu Cormorèche attend son tournoi d’anciens champions
Le Mionnezan participait ces 16 et 17 août à son troisième mondial à Tartu en Estonie. Classé huitième de la compétition, Mathieu Cormorèche peut se targuer encore aujourd’hui d’être le seul Français champion du monde de labour en titre sur chaume. Un « titre » qu’il a remporté lors du mondial de 2019, dans le Minnesota aux États-Unis. Le labour sur chaume, c’est d’ailleurs sa spécialité. « La prairie je n’en fais pas assez, on n’en pas vraiment à la ferme donc il faudrait que j’aille m’entraîner chez quelqu’un d’autre, c’est trop compliqué », admet-il. Depuis l’âge de 16 ans, le céréalier et maraîcher attend chaque année la saison avec impatience, même si le métier ne lui laisse que peu de loisir à l’entraînement. Passionné lui aussi depuis sa tendre enfance, Mathieu Cormorèche aimerait un jour participer à un tournoi d’anciens champions. « Ce serait amusant je pense ». En attendant, il compte bien améliorer son entraînement pour remporter enfin le titre de champion du monde en 2030 en France.
Les Manguelin, champions de France de père en fils
Chez les Manguelin aussi, la compétition est une histoire de famille. Le fils de Pascal et petit-fils d’Henri, Alexandre, est aujourd’hui le digne successeur d’une lignée de champions de France. À dix ans déjà, il remportait sans difficulté son premier cantonal à plat. « C’était en 2005, sur mon canton à la Chapelle-du-Châtelard. » Les années suivantes, il remportera chacun des cantonaux auxquels il participera jusqu’à atteindre l’âge légal de 16 ans pour enfin se qualifier au départemental. De mémoire, il remportera quatre fois la compétition avant de parvenir à la consécration : le titre de champion de France, d’abord à plat en 2014, puis en planche en 2017. Le Marliozard avait tout juste 19 et 22 ans. « J’utilisais la charrue de compétition de mon père, une Kuhn. Je labourais une à deux parcelles par jour pour m’entraîner. C’est une passion, ça ne s’explique pas », sourit-il.
Aujourd’hui salarié de l’EARL de Clavelière chez Hugues Barbet à Saint-Nizier-le-Désert, il a levé le pied. Pénalisé d’avoir été trop bon - il a grillé toutes ses cartes pouvant le conduire au national (on ne peut être qu’une fois champion de France par catégorie) – il tente désormais sa chance à l’Européen. « Je n’ai plus trop le temps m’entraîner et pour bien faire il faudrait que je change de charrue ou que je la modifie. En 2023, j’ai terminé 11 ou 12è du classement général, j’avais eu la pire parcelle sur chaume et je n’ai pas réussi à me qualifier pour le prochain », admet-il. Malgré des résultats plus poussifs ces dernières années, Alexandre Manguelin reste un maître dans la discipline, reconnu par ses pairs. D’ailleurs, il sera jury pour la finale départementale de ce dimanche.
Albert, Yves, Claude, Romain et Clément Thiévon, une quinte flush labouresque
Taiseux de caractère, c’est au volant de leur tracteur que les Thiévon s’expriment le mieux, à l’exception peut-être du grand-père de la famille. S’il n’a jamais vraiment été féru de labour, Albert Thiévon a occupé de nombreuses responsabilités au cours de sa carrière d’agriculteur : président de la Chambre d’agriculture, de la FDSEA, gérant de l’Ain agricole et président de l’agence de presse régionale Apasec, il donne très tôt le goût de l’engagement et de l’abnégation à ses deux fils, Yves et Claude. Mais à l’âge où les yeux d’un enfant sont attirés par d’autres horizons que ceux d’un adulte, les deux frères voient leur avenir de champion se dessiner au gré des représentations : « Je suivais mon père sur les concours au début de ses responsabilités. J’ai essayé et puis ça a marché », se rappelle Yves. Sans y avoir participé, Albert Thiévon est aussi le premier à avoir organisé le cantonal en 1974.
De fil en aiguille, les deux frères nourrissent une véritable passion. En vingt ans, Yves participera à cinq mondiaux, Claude à trois dont deux fois ensemble en 2005 et 2008, chacun dans sa catégorie. En 2008, Yves manque de peu la première place, son frère sur les versoirs, devant les yeux admiratifs de leur mère Paulette qui connaît leur palmarès mieux que quiconque : « quand vous avez vos fils qui sont deuxième et troisième au mondial, je vous dis pas, mettez-vous à notre place ! ». En 2012, c’est enfin la consécration pour Yves qui remporter le titre de champion du monde de labour à plat en Croatie. « Devant un Ecossais qui m’avait battu en 2008 », explique-t-il. Vice-champion d’Europe en Allemagne en 2003, c’est le seul titre qui manque aujourd’hui à l’éleveur de Rignieux-le-Franc. Et si Claude a depuis levé la charrue, Yves poursuit son rêve et entend bien reconquérir son titr de champion du monde lors des épreuves qui se dérouleront en 2026, de nouveau en Croatie. « L’objectif, c’est d’aller le plus loin possible ! »
Famille de compétiteurs, Claude et Yves ont transmis la fièvre des labours à leur fils respectif, Clément et Romain. De nouveau en lice pour le départemental de dimanche, ils comptent parmi les favoris du concours. Une fièvre dont le petit dernier de la famille ne se semble pas avoir été épargné. Du haut de ses un an et demi, le fils de Romain Thiévon est déjà très à l’aise aux commandes d’un tracteur. La relève serait-elle assurée ? L’avenir nous le dira. En attendant rendez-vous ce dimanche pour suivre la compétition.
Margaux Balfin