AQUACULTURE
La préfecture avalise (enfin) l’élevage de crevettes d’eau douce

Margaux Balfin
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Jusqu’ici frileuse, la préfecture de l’Ain donne son feu vert à trois exploitations piscicoles et autorise l’élevage de crevettes d’eau douce à d’autres fins que scientifiques dans la Dombes.  

La préfecture avalise (enfin) l’élevage de crevettes d’eau douce
Sylvain Bernard, directeur de la Sunrise Canyon, l'une des trois exploitations piscicoles intéressées par l'élevage de crevettes, attend avec impatience la publication de l'arrêté préfectoral. Photo/MB

C’est un petit pas pour la Dombes, un grand pas pour la filière piscicole. Après deux ans d’échanges avec une préfecture frileuse, les pisciculteurs de la Dombes semblent enfin avoir trouvé un fond au tonneau des Danaïdes. Soutenus par l’Adapra, l’Association pour le développement de l’aquaculture et de la pêche professionnelle en Auvergne-Rhône-Alpes, leurs demandes d’expérimenter l’élevage de la Machrobrachium rosenbergii, une espèce originaire d’Asie, s’étaient en effet jusqu’ici heurtées à des exigences pas toujours comprises par la profession. Aux dernières nouvelles, la préfecture qui s’était tournée vers la Dreal attendait un avis consultatif du CNPN, Conseil national de la protection de la nature. 

Un coup de pouce politique 

Après une année marquée par la sécheresse et des pertes sèches sans précédent, les pisciculteurs intéressés, en mal de solutions, s’était tournés du côté des élus politiques. Député du Rassemblement national, Jérôme Buisson avait entre autres interpellé Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture à l’Assemblée nationale en 2023, arguant que la préfecture de l’Ain ne prenait pas en compte la modification d’une directive européenne qui autorisait l’élevage en « milieu fermé ». 

Également fervent soutien, le sénateur LR Patrick Chaize s’est plus récemment dit à l’initiative d’une rencontre entre les services de l’État (OFB et DDT) et les trois fermes piscicoles intéressées. La rencontre a eu lieu vendredi 17 et mardi 21 mai, directement aux sièges d’exploitation. Et l’élu de préciser : « J’avais continué à pousser le sujet vis-à-vis des services de l’État et du ministère de l’Agriculture. Je ne m’expliquais pas que des choses se fassent dans certains départements et pas dans l’Ain. Je peux comprendre que l’on soit prudent avec l’autorisation de ce type d’espèces, mais à la différence des écrevisses, pour la crevette nous avons quelques certitudes : elles meurent en-dessous de 13 °C et ne se reproduisent qu’en eau saumâtre. » Plusieurs départements de France ont en effet autorisé l’élevage de cette espèce de crevettes dans leurs fermes aquacoles. 

« Cette étape de visite était indispensable, et la DDT dispose désormais de toutes les informations pour finaliser à très court terme les arrêtés préfectoraux autorisant l’élevage de crevettes Machrobrachium rosenbergii à des fins autres que scientifiques », a reconnu de son côté Jean Royer, chef du service Protection et gestion de l’environnement à la DDT de l’Ain. Sur place, les services de l’État ont en effet pu constater le caractère fermé des installations destinées à accueillir les crevettes ; l’une des conditions sine qua non pour obtenir l’aval de la préfecture. Dans un souci de posture qu’il souhaitait « équilibrée », Patrick Chaize a par ailleurs suggéré que les services de l’État soient invités à chacune des étapes de production (mise en bassin, pêche, etc.), s’agissant d’un élevage pour l’heure davantage expérimental. Et l’élu d’arguer : « L’idée, c’est d’aller vers quelque chose de partenarial. »

Les crevettes pourront être pêchées dès cet automne

En parallèle, l’Aiced, l’association interprofessionnelle de la crevette d’eau douce dont le président Géraud Laval est le pionnier de l’élevage de la Machrobrachium rosenbergii en France, a déposé une demande officielle pour inclure l’espèce dans la liste des espèces de poissons non représentées dont l'introduction à d'autres fins que scientifiques peut être autorisée par le préfet de l’arrêté du 20 mars 2013. Cet arrêté permet entre autres d’élever la carpe herbivore et l’esturgeon. 

En attendant qu’un cadre national commun soit toutefois fixé, la préfecture de l’Ain a fait un pas du côté des pisciculteurs. Ce n’est désormais plus qu’une question de jours, voire d’heures, avant que la préfecture ne publie des arrêtés pour chacune des trois exploitations piscicoles concernées. L’introduction des post-larves en bassins ayant lieu entre la fin mai et la mi-juin, la Dombes devrait assister à ses premières pêches de crevettes d’eau douce dès cet automne. 

Une voie de diversification pour les pisciculteurs 

Dans les environs d’Ambérieux-en-Dombes, Sylvain Bernard n’attend plus que le feu vert de la préfecture. Le directeur de la SARL Sunrise Canyon, l’une des trois piscicultures intéressées par l’élevage de Machrobrachium rosenbergii, reçoit avec beaucoup d’enthousiasme l’aval de la préfecture pour lancer les expérimentations. 

Comme d’autres l’année dernière, l’exploitation avait dû procéder à des pêches de sauvetage en raison du manque d’eau dû aux sécheresses hivernale et estivale. Sur les cinq tonnes de carpes escomptées, la SARL Sunrise Canyon n’en avait pêché que deux. « L’activité piscicole n’est pas durable, et la crevette va amener cette durabilité », espère alors Sylvain Bernard. Comme le black-bass ou la carpe koï d’ornement, la crevette d’eau douce est une autre voie de « diversification ». « À ce stade, ce ne sont que des expérimentations. On ne sait pas si l’activité sera pérenne, il faudra voir s’il y a un marché. Certains veulent la vendre en vente directe, nous, nous visons plutôt les mareyeurs pour cibler les restaurants étoilés », ajoute Sylvain Bernard. Un met de luxe made in Dombes ? Rien n’est moins sûr. Il faudra compter 30 à 35 € du kilo, soit près d’un euro/pièce, estime le directeur. Une manne financière sans conteste pour la filière piscicole. 

Ses post-larves sont prêtes. Il les a achetées chez Géraud Laval dans le Gers alors qu’elles ne faisaient que 0,02 grammes et fait grandir en aquarium durant deux mois jusqu’à ce qu’elles atteignent la taille de 2 cm, propice à leur mise en bassin. « Ces crevettes ne se reproduisent qu’en eau saumâtre. Dans la nature, lors de leur second stade de croissance, elles passent par 15 à 20 mues avant de remonter le fleuve. Il faut reproduire cela de manière artificielle », explique-t-il. Cela fait déjà trois ans que Sylvain Bernard s’informe et ingurgite toute la bibliographie disponible sur l’une des crevettes comestibles les plus étudiées au monde. Il a aussi suivi une formation chez Géraud Laval et mis en pratique ses connaissances en faisant croître plusieurs crevettes en bac fermé. Avec la publication de l’arrêté préfectoral, c’est la première fois qu’il pourra les introduire dans deux de ses bassins, à raison de 5 000 post-larves par bassin. Si la saison se passe bien, la SARL Sunrise Canyon pêchera ses crevettes en septembre ou octobre prochain. 

Margaux Balfin