L’agriculture est le secteur idéal pour l’intelligence artificielle
L’intelligence artificielle (IA) n’entraîne pas les progrès espérés de productivité dans l’économie. Pour qu’elle fasse gagner de la productivité aux filières agricoles, il faut que celles-ci soient préservées des confrontations sociétales, particulièrement fortes en France, notamment avec les écologistes, a indiqué récemment Gilles Babinet, coprésident du Conseil national du numérique.
L’IA ne tient pas les promesses de gains de productivité qu’elle permettrait dans l’économie. Pourtant, l’agriculture est le domaine par excellence où elle pourrait se révéler fructueuse, parce que l’agriculture est complexe et que l’IA se prête bien à la gestion des systèmes complexes. Mais pour se déployer pleinement en agriculture, il faudrait un environnement de confiance, loin des clivages sociétaux, a récemment exposé Gilles Babinet, à l’assemblée générale de l’Acta, la tête de réseau des instituts techniques agricoles. « On voit dans les médias un florilège d’articles extatiques sur les promesses de l’IA pour la productivité globale. Des experts internationaux comme Goldman Sachs et McKinsey disent n’importe quoi sur le sujet, en annonçant des taux d’augmentation de productivité de l’économie (de 2 à 6 % par an), a lancé Gilles Babinet. Il a cité l'économiste turco-américain Daron Acemoglu, professeur au Massachusetts Institute of technology (MIT), qui chiffre l’incidence de l’IA sur la productivité globale à seulement 0,06 % par an. « On ne voit pas dans les statistiques de productivité d’effet de la loi de Moore sur l’économie », constate-t-il. Selon cette loi (du nom de Gordon Moore, cofondateur du groupe américain Intel dans les années 1960) les capacités des transistors dans les microprocesseurs doublent tous les 24 mois. Par comparaison, les capacités du moteur à explosion n’ont été multipliées que par quatre depuis le XIXe siècle.
L’indispensable consensus
Au milieu de ce potentiel immense mais à peine développé, l’agriculture est le secteur idéal pour l’intelligence artificielle, en raison de la complexité des décisions. « Un agriculteur fait face à des centaines, voire des milliers de décisions au cours d’un cycle de production », a souligné Gilles Babinet. La condition pour que l’IA débouche sur un accroissement de la productivité en agriculture est que « toutes les parties prenantes travaillent entre elles » : les agriculteurs, les chercheurs, les innovateurs (les instituts techniques) et la société civile (la réglementation, les environnementalistes, etc.) « Nous avons un bon écosystème agricole, de bons chercheurs, de bons innovateurs. Mais la confrontation entre les agriculteurs et les écologistes bloque les interactions et la compréhension mutuelle entre les parties prenantes ». A contrario, il a cité les Pays-Bas, maintenant deuxième exportateur mondial de produits agricoles et agroalimentaires, et Israël « qui est devenu une nation d’agronomes en moins de 30 ans ». Dans ces deux pays, le fait d’avoir des interactions fortes entre les acteurs se traduit par des gains de productivité en agriculture, a-t-il expliqué. Les Pays-Bas sont connus pour leur capacité de concertation, a-t-il rappelé, citant Philippe d’Iribarne, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), qui a analysé l’organisation de ce pays où « l’ajustement entre supérieurs et subordonnés passe par le dialogue », tandis que « les données factuelles sont examinées avec attention et objectivité. En France, pour retrouver une nouvelle dynamique en agriculture, il serait nécessaire de sortir des confrontations frontales (environnementalistes/agriculteurs) et de rétablir la confiance entre les parties prenantes pour construire un projet collectif », résume l’Acta.