FORÊTS PRIVÉES
Fransylva Ain revendique une ligne « pédagogique mais persuasive »

Margaux Legras-Maillet
-

Le syndicat de propriétaires forestiers privés Fransylva Ain a tenu son assemblée générale vendredi 2 décembre à Péronnas. Achats de bois, reconnaissance de la propriété privée, aires protégées …, certaines positions du président Jean-Pierre Bouvard n’ont pas manqué de faire des émules. 

Fransylva Ain revendique une ligne « pédagogique mais persuasive »
A droite, Jean-Pierre Bouvard, président de Fransylva Ain, à l'assemblée générale du syndicat. Photo/MLM

Avec une canicule historique cet été, Jean-Pierre Bouvard ne pouvait commencer son allocution sans évoquer les dégâts assénés à la forêt au gré de la sécheresse et des incendies qui se sont multipliés sur le territoire français. Le réchauffement climatique accroît davantage la mortalité des arbres en faisant le jeu de parasites xylophages comme les scolytes. Une inquiétude pour les propriétaires forestiers privés qui détiennent près de 75 % de la surface forestière du département. Aussi, malgré l’augmentation du volume de la forêt cette dernière décennie, le syndicat affiche plus que jamais une ligne défensive de la propriété privée. Quitte à être frileux sur certains projets de zones protégées comme le parc Natura 2000 Dombes, les aires protégées 2030 de Champfromier et la Basse Vallée de l’Ain, parfois symboles de démagogie écologique pour Jean-Pierre Bouvard. « (Je porte un regard) très négatif sur ces projets, assume le président. Dès que les services de l’État veulent gérer quelque chose, c’est une catastrophe. Les ruraux connaissent très bien la nature. Les plus grands écologistes, ce sont les propriétaires. » Vision extrémiste ? Jean-Pierre Bouvard craint surtout l’indigence chez les propriétaires privés. 
 
L’achat de bois, une épine dans le pied 
 
Son credo est simple : défendre les propriétaires forestiers privés. Un parti-pris qui ne va pas non plus toujours dans le sens de l’exploitation forestière. En particulier lorsque l’on va sur le terrain des achats de bois. Lors de l’assemblée générale, le président a ainsi jeté un pavé dans la mare en faisant intervenir un négociant de bois, Nicolas Talpin. Celui-ci achète le bois sur pied et le valorise en grumes et bois de chauffage. L’exploitant forestier, concurrent direct des scieurs, négocie environ 50 000 m3 de bois chaque année, dont il exporte une partie. En particulier du chêne, hêtre, frêne, châtaignier et chêne rouge qu’il dit vendre plus cher qu’au prix du marché local. « J’ai essayé une fois de vendre en local, ça ne paye pas le coût de l’exploitation du bois », a-t-il justifié. Selon lui, certaines essences ne trouveraient pas non plus leurs clients en France, à l’instar du hêtre. « Je vends entre 8 et 10 000 m3 de hêtre par an, je ne pourrais pas le faire sans le marché asiatique. En faisant ça, je valorise du bois, et le propriétaire gagne plus d’argent. » Un pied de nez pour une partie de la filière. L’intervention n’est en effet pas du goût de tous, à l’instar de Patrice Janody, co-directeur de la scierie LBSA à Viriat : « Je suis surpris, je n’ai pas la même analyse du marché. Je suis également surpris parce qu’au début de l’année, le syndicat national a signé pour que l’exploitation des grumes de chêne se fasse prioritairement en France. » « C’est la plus grosse scierie de chêne de France qui drive tout ça, s’est alors défendu Nicolas Talpin. On trouve cela complètement illogique que le président de la chambre de chêne soit le directeur de la plus grosse scierie de chêne ! ». Présent à l’AG, Jean-Baptiste Menendez, propriétaire forestier, mais également technicien forestier indépendant, s’est lui aussi insurgé dans un entretien a posteriori : « Pour un président censé représenter les propriétaires du coin, c’est un peu fort … C’est hyper clivant parce que nos scieurs c’est le fleuron de notre filière. » En tout cas, pas de quoi faire frémir le poil provocateur président du syndicat. Jean-Pierre Bouvard reste droit dans ses bottes. « Je suis là pour défendre les propriétaires forestiers, pas les scieurs », rappelle-t-il dans un entretien a posteriori. Qu’à cela ne tienne, le président de Fransylva Ain assume haut et fort ses positions : « On fait toujours venir des scieurs locaux qui faisaient un peu la loi sur le marché local. J’ai eu l’opportunité de travailler avec Nicolas Talpin et le jour où il est venu, il s’est mis au prix du marché, c’est-à-dire 30 % plus cher que les autres. C’est-à-dire 250 €/m3 pour la totalité de l’arbre alors que certains proposent 250 €/m3 mais jusqu’à la première branche, et certains s’arrêtent même à 180 €/m3. » Jean-Pierre Bouvard n’hésite pas à taxer les scieurs locaux de « destructeurs de la forêt ». « Les gens oublient de dire que sur les 580 000 m3 de chêne exportés chaque année en Chine, 400 000 m3 partent des scieries. Ce qu’ils n’ont pas aimé, c’est qu’on leur amène quelqu’un qui va les obliger à payer le prix. Eux ils nous payent moins cher donc on n’a plus les moyens d’entretenir nos forêts. Ils sont en train de scier la branche sur laquelle ils sont assis ! »
 
Pour une protection juridique des propriétaires
 
Hormis ce point d’achoppement, l’AG s’est déroulée sans anicroche. Fransylva Ain manifeste autrement son souhait de renforcer la protection des propriétaires forestiers en leur proposant de souscrire à un contrat de protection juridique. En effet, plusieurs procédures engagées par des propriétaires avec le soutien du syndicat ont avorté, faute de capital suffisant pour assumer les frais d’expertise. « Dans le cadre de l’assurance, vous avez l’assurance civile, ce qui signifie que s’il y a dommage par vos bois, vous avez une protection civile mais pas une protection juridique. En cas de procès l’assurance civile s’applique mais ne couvre pas les frais, je suggère donc de prendre une assurance spécifique qu’est la protection juridique », précise Maître Velly, avocate du syndicat. 
Jean-Pierre Bouvard désire également intensifier la signalétique auprès du grand public afin d’alerter sur le caractère privé des parcelles en installant des panneaux le long des sentiers. « Nous allons nous rencontrer en janvier avec Gontran Bénier (président de la Fédération départementale de chasse, NDLR), à ce sujet, a-t-il par ailleurs précisé. Il faut que les gens comprennent qu’entre les quads, les motos, les VTT, etc. il y en a assez ! C’est louable d’aller dans la nature mais on ne peut pas faire tout et n’importe quoi. » Sur ce volet, Jean-Yves Flochon, vice-président départemental délégué à l'agriculture, à la préservation de la biodiversité et des ressources et à l'environnement, a souligné l’importance pour le grand public de se « réapproprier positivement la forêt ». Lors de l’assemblée générale l’élu a également rappelé le soutien du Conseil départemental à la filière : « Étant donnés les cours du bois, on ne peut pas tout faire, mais nous avons essayé de majorer nos interventions financières en portant notre Livre blanc de 550 000 à 800 000 €/an. Eu égard des besoins, ce n’est pas grand-chose, mais c’est un geste fort. Pour ce qui est de la gestion forestière, nous sommes revenus sur des points que nous avions abandonnés, notamment le soutien aux propriétaires pour acheter des parcelles voisines. »
 
Former les propriétaires
 
L’assemblée générale a enfin été l’occasion de faire le point sur des sujets divers. Tout d’abord, l’adhésion à la cellule Kogefor Aura qui donne accès à un stage d’initiation de quatre jours pour apprendre les rudiments liés à la forêt ou encore les incivilités en hausse avec l’augmentation des cours du bois. Et Jean-Pierre Bouvard d’ajouter : « À ces problèmes s’ajoutent les actions des écologistes qui brulent les machines ou s’opposent aux bucherons pour arrêter les coupes des arbres. Les temps changent mais pas favorablement pour la filière. »